[Thème] Le cadavre exquis

1. Coma n'était pas le genre de mec patient. Il a toujours tout voulut avoir, tout de suite. Un peu comme une starlette, vous savez, exigeant, et tout, il voulait tout dans la minute. C'était un capricieux, Coma. Il pouvait en devenir insupportable, mais la plupart du temps, les gens l'aimaient pour son caractère bien trempé.
Il s'est marié tôt, à l'âge de 19 ans. Et 5 ans après, il avait déjà deux gamins. Il a voulut très vite des gamins, il voulait montrer combien il pouvait être bon, bien meilleur père que ne le fut son paternel, ce « parasite, paresseux, lâche vieillard ». Tout sauf son père ! Je l'entends encore, en train d'épiloguer indéfiniment sur lui, me contant combien ce n'était qu'un fumier alcoolique, une ordure pathétique, sans passion, sans motivation, sans envie.
Et surtout, sans ambition ! Car Coma, lui, il en avait de l'ambition. Enfin, ce n'était peut-être pas tout à fait de l'ambition, parce qu'il ne savait pas exactement ce qu'il voulait. Mais les rares fois où il le savait, tout le monde le savait ! Parce qu'il était capable de gonfler tout son entourage pendant des mois et des mois parce qu'il comptait construire une véranda. Il faut savoir que Coma, sa femme et ses deux gosses habitaient au sixième étage d'un HLM miteux. C'était son nouveau projet, vous savez, le Truc qu'il allait concrétiser. Il en avait un autre à chaque fois qu'il se rendait compte que le précédent était impossible. Tout ce que souhaitait Coma tenait du fantasme. Il disait souvent qu'il aimerait que sa mort soit annoncée dans un flash spécial au beau milieu d'une émission débile que les gens moyens se plaisent à regarder. Il aurait fallut que tout le monde voit en lui un être unique, exceptionnel.
Il se croyait exceptionnel, ou peut-être, il se savait exceptionnel.
Coma était un mec impatient, et exigeant, ouais. Mais il foirait automatiquement tout ce qu'il entreprenait. Ses gosses étaient les plus insupportables de tout le quartier, et sa femme croisait les doigts lorsqu'elle le rassurait en lui disant que non, il n'était pas un looser. Il essayait de rendre sa vie passionnante, il changeait de boulot tous les trois mois, tout en étant persuadé que « cette fois-ci, ce poste de secrétaire médical allait le mener loin ». Une fois, il a été contractuel, tout en restant persuadé qu'on finirait bien par remarquer sa précision, sa dextérité, son courage... Il pensait peut-être que ça le mènerait au 36 quai des Orfèvres.
Enfin tout ça pour dire qu'un jour, il a connu la gloire. Et ça vaut vraiment le coup d'être raconté. Coma est devenu un mec, enfin, j'veux dire, un mec dont on se souviendra encore dans des années. Ça a commencé par un hasard, et, peut-être certains penserons que le hasard ne fait pas bien les choses, que Coma n'était pas l'homme de la situation. Ça a commencé par hasard, alors qu'il cherchait un cadeau pour l'anniversaire de son cadet, dans une de ces grandes surfaces toujours surpeuplées, que Coma détestait d'ailleurs. Jamais Coma n'aurait pensé que sa vie changerait alors qu'il se trimbalait dans un centre commercial.

« On demande monsieur Coma à l'accueil, monsieur Coma est demandé à l'accueil, merci »

2. Alors c'était lui. L'homme de sa gloire. Petit, courbé, fatigué, presque trop usé pour être utilisable... Voilà qui était parfait.
« Monsieur Coma ? [...] Vous allez devenir célèbre.
Regard hagard - Hein ?
[...]
Incrédule - Qu'est ce que je dois faire ? »
Elle s'agace. Ca ne va pas, mais alors pas du tout. Il aurait du s'enthousiasmer, elle, insensible à la liesse humaine, elle lui aurait expliqué. Fallait que ça lui arrive à elle, tomber sur un pragmatique.
« Hein ? Qu'est ce que vous voulez ? »
Un éclair bleu lancé entre deux battements des paupières brunies le cloue sur place. Tétanisé.
Comme s'il ne comprenait pas l'ordre des choses ! C'est elle qui fait parler ici ! Elle a toujours fait parler la Terre entière trônant derrière son micro sous sa robe de poudre et de feutre. C'est quand même pas ce pauvre pecno qui va lui enlever son aura de déesse, elle qui fait tomber les nouvelles et pleuvoirs les catastrophes, elle qui incarne la joie et concrétise l'émulsion des hommes. Fétiche des temps modernes un mot, un seul mot prononcé par elle suffirait à le détruire, le larver lui et sa vie misérable. Il devrait déjà lui être reconnaissant de ne pas l'enterrer en appuyant sur la détente.
Dédain « Alors ? »
Elle rage doucement, caché sous son broshing d'une heure et derrière son sourire de condescendance. Ce même sourire qu'elle arbore tous les jours l'air de dire « Oui, ne vous inquiétez pas c'est enfin moi. Vous m'avez attendu mes agneaux, je comprends. Maintenant je vais vous dire le monde et vous raconter la marche des événements. »
[...]
« Bon bah c'est pas tout moi, j'ai encore mes Kro à acheter, le bourbon de ma femme à siffler et des Hertas à chipper. »
Elle fulmine, bouillonnante à en griller ses bas résille. Quel salaud, comment peut-il lui tourner le dos ? Il avait pourtant pas grand chose à faire, juste à bondir de surprise, à être euphorique puis à ne pas en revenir ! Mais non, Monsieur devait faire des siennes...
Il s'en allait et avec lui, la révolution médiatique qu'elle aurait pu mener, le nouvel ordre qu'elle aurait pu instaurer. Et puis c'est trop bête, elle va pas laisser ce minable lui retirer son chef-d'oeuvre...
Inspiration prfonde : « Monsieur Coma ? Ca vous dirait d'être l'objet d'un flash spécial sur la chaine nationale à 18h30 ?
- Pardon ? »
La voilà sa surprise ! C'était pas si dure que ça finalement.
« Et pas de n'importe quelle émission s'il vous plait ! Non, vous siffleriez la réplique à Sue Helen, avec autant d'impunité que le Président lui-même ne pourrait en rêver !
- Comme le Président ? »
Là il n'en revenait pas ! Sourire satisfait, regard entendu : « Mieux que le Président : se sera nouveau, et vous, personne ne vous oubliera... » Elle avait retrouvé son ton rassurant, son expression de compassion, elle réendossait son rôle de mère freudienne une nouvelle fois.
Lui abasourdi, elle : « Mieux que le Président... Du jamais vu ! »
Lui inconscient, elle triomphante, lui : « Mieux que le Président... »

3. T’as la tête qui tourne quand l’idée de l’audimat t’étouffe. Et dans ses pensées, ses désirs font désordre. Mais ses pensées s’éloignent, car ses yeux sont trop accaparés par les fesses rebondies et sautillantes, serrées et si près, dans son jean. Cette nana! Elle sait bouger son corps.
Elle le tire par les pulsions, par les fantasmes, par les envies ratées de sa vie frustrée. Elle l’emporte et le supporte jusqu’à un fauteuil en cuir, dans un grand bureau. Un téléviseur ultra plat, son dolby suround, comme ils disent, descend depuis une trappe mécanique au plafond. L’écran s’allume.
BAF. Une bande annonce, encore une de ces émissions de reality show pour les jeunes, de celles qui polluent sa télé. Une musique techno, très rapide, très entraînante et musicalement minable, comme ils aiment. Des jeunes hommes musclés, des paires de seins partout, des bombes sexuelles sur chaque pixel de l’écran. Des dents incroyablement blanches. Et au milieu de tout ça, moi, affalé sur mon canap’, en marcel slibard, une main engourdie dans mon paquet de chips vide, l’autre sur une partie intime de mon anatomie qui jamais, oh grand dieu jamais, n’aurait du apparaître sur un écran aussi grand. PAF, fondue et lettre en fluo « The comateur show »
L’idée me prend, comme ça, moi, cheveux décolorés, corps body buildé, tout un tas de petites belettes tout juste majeures au tour de moi, réunies sous un prétexte débile comme survivre dans la jungle, ou tenir une ferme, construire des maison, voir même encore de s’occuper de la réinsertion sociale des jeunes des banlieues riches sur favorisés. Il me faut une bière !
Elle, dans sa tête de poupée barbie, se repasse le scénario, coche des cases dans sa check-list, dénombre mentalement les détails qui restent à régler. Pour le déchet humain, on coche, il ne reste plus qu’à réaliser ses rêves, lui donner tout ce dont il a toujours rêvé, et plus encore, et là, quand il sera parfaitement contenté, satisfait et pourquoi pas même…heureux ; alors, tout lui reprendre et le rendre à son existence merdique. La réaction d’un homme face à sa vie après avoir vécu la vie des surhommes. Il faut que ce soit humain, il faut que ce soit glauque et sanglant, il faut que cela rende bien à la TV.