[Thème] Le Train-train

Le Train-Train

"L'histoire de ce train ne me dit rien."

Bon Voyage...

Premier wagon, début de l’histoire. Un espace clos et surpeuplé, peuplé par une foule qui marche au radar, qui évite les regards, mais l’air autour d’elle en est saturé, alors les yeux de la foule sont en mouvement perpétuel. Moi, j’ai choisi un petit point ou je peux poser mes yeux sans craindre de croiser ceux des autres, un petit point sur la vitre qui exclu de tomber sur les reflets de toutes les pupilles de cette gentille petite classe.
Je regarde ailleurs, à travers cette petite vitre de solitude qui me coupe du reste de mon monde, de mon petit wagon plein de monde. Et les paysages défilent dans toutes leurs robes et fourrures. Et les couleurs s’entrecroisent et s’emmêlent. Et les sons des planches sur lesquelles tout le train s’appuie m’emmènent.
La foule grossit, et la pression m’envoie m’exploser contre mon petit point qui se referme petit à petit. L’air vient à manquer et la douleur s’en mêle. Aucune importance, mon voyage n’en finit pas. La maîtresse, habillée en micro qui donne des ordres, entourés par des formules de politesse, nous dit que le train fera une escale pour des raisons techniques pendant une période de… Je ne comprend pas, le bruit de mes côtes qui explosent étouffe et avale le bruit. « Don’t be affraid » résonne le chant des Beatles comme un appel à l’ascétisme. J’ai le visage rouge et les poumons en feu. Je suis une palette de couleurs et d’éléments, tout ça pour peindre un grand tableau en forme de wagon.
Quelqu’un pousse son doigt sur un instrument, un interrupteur, et mes yeux s’enfoncent dans leurs orbites. Manœuvre de défense. Me voila homme de Cro-Magnon, et je pousse des hurlements pour me faire entendre, mais c’est la foule qui hurle ses mots bien ficelés, ces mots enfermés dans des phrases et je ne me fais pas entendre.
Tant pis, le train avance et découpe l’horizon en deux parts égales, à gauche, à droite. Et mon attention est maladroite alors je me fixe, comme une drogue.

Mr. Bones

Vag(ab)on

En décalé, toujours à côté de la plaque. C’est comme ça avec moi. Je suis dans le couloir du wagon. Je viens de sortir du compartiment. Les trois autres personnes dorment dans les couchettes grinçantes. J’ouvre la fenêtre, m’accoude au rebord et contemple l’obscurité saisissante. Des frissons parcourent mon corps. Le froid, l’émotion, le bruit monotone et pourtant si agréable du train. Les secousses aussi. J’allume une cigarette. Pas un bruit humain, tout le monde dort et moi, je rêve, les yeux ouverts. Est-ce réel ? Je suis peut-être en train de rêver vraiment. Ou alors je suis dans le rêve de quelqu’un d’autre.
Le vent froid et nocturne me gifle et me caresse tour à tour le visage. Agréable… Agréable sensation de douceur et de violence. Tout ce dont j’ai besoin.
Des pas, au loin. Ils se rapprochent. La porte qui sépare les deux wagons s’ouvre sur un contrôleur : petit et gros, la cinquantaine, une petite moustache, les yeux fatigués. Il continue sa remontée du train, me souhaite une bonne nuit, "vous allez en avoir besoin", ajoute-t-il, puis il disparaît et sort de mon esprit. Une bonne nuit. Blanche, pâle, encore une fois.
J’entends quelqu’un tousser, s’agiter, puis le silence revient. Je profite. Tout ce calme va s’arrêter, les gens vont se réveiller, parler, circuler, faire du bruit, le soleil va éclairer ce vide désertique. Je profite de cet instant intemporel, qui ne ressemble à rien. Je profite et médite. Le voyage, rien de mieux, découvrir, rencontrer, partager. Pour moi, le voyage c’est le trajet et c’est ce qu’il y a de plus beau. Une envie soudaine de train, d’avion, de voiture, de bateau, de mes foutues chaussures…
Bouger.

Leahpar

Secrétaire Nombre de messages : 375 Date d'inscription : 20/06/2005

Traction acqueuse

A l'avant du convoi se tient une vieille locomotive noire et chromée. Une de ces vieilles machines à vapeur, doyenne des engins motorisés et star des chemins de fer. C'est son 250ème anniversaire, elle a gagné le droit de ressortir un peu. Bouillonante d'impatience elle siffle son contentement. Les voyageurs agglutinés sur le quai bondissent dans une surprise commune pour échapper au nuage tiède de vapeur qui s'échappe du moteur.
Elle gronde. Quand vont-ils partir ? Ca va faire 50 ans qu'elle a pas roulé, elle... Ils auraient pu faire un effort pour être à l'heure. Mais son grondement n'a pas l'effet d'autrefois. Maintenant les gens hurlent... de joie. Un papa la montre à son fils du doigt « Tu vois même après 50 ans, elle marche, pas comme ces camelottes qu'on fait de nos jours ! »
Pendant ce temps la camelotte du Président est coincée boulevard Raspail entre deux feux rouges et trois manifestants altermondialistes. Des dizaines de taxis et d'utilitaires immobilisés se font la causette, en attendant de pouvoir travailler.
Des sirènes retentissent au loin. Pas de ces sirènes de conte de fées, de ces sirènes qui font grimacer. On va pouvoir y aller ! On desserre le frein. Contenir sa joie, Tenter de conserver le peu de dignité qui nous reste. Elle n'y tient plus, elle siffle et bondit en avant, brisant ainsi toute la majesté de sa mise en branle si lente et si imposante il y a quelques années de ça. Enfant capricieux elle s'élance vers l'est. Le vent lui fouette le visage. Direction Strasbourg, ensuite Münich ou elle s'arrêtera pour quelques révisions et enfin : Vienne. Elle file vers l'horizon, laissant derrière elle l'horizon qui diminue. De part et d'autres les paysages et les vies se succèdent. C'est fou ce que ça a changé depuis sa dernière sortie alors qu'elle n'a pas changé.
Elle fonce riante, heureuse de voir les passants s'arrêter pour la saluer. Et oui, elle est encore là, avec rimbabelle de wagons en bois grainçants, empli de velour, couverts de cuivre et meublées de passagers occupés.
L'excitation monte sans croire devoir s'arrêter. L'euphorie grandit en même temps que l'Autriche se rapproche : Dans quelques jours elle arrivera, dans quelques années elle repartira.

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