Un p'tit air de rue
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Un p'tit air de rue

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 Des histoires plus longues...

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JCS
L'homme à la valise
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L'homme à la valise
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MessageSujet: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 15 Mar - 23:01

Et voilà, comme j'avais pu le proposer, n'hésitez pas à faire partager vos histoires un peu plus longues. Pour lancer le mouvement, je vous fais partager une de mes nouvelles (un peu vieille, par contre).


Une vie en l'air.
Août 2004.


Je me souviens de la première chose à laquelle j'ai pensé après avoir emménagé, c'était glisser ma tête par la lucarne au plafond. Et c'est bien une des seules choses de ma vie que j'ai jamais regretté. C'était Panâme la Grande, c'était les toits, c'était les lumières, c'était le ciel et c'était l'homme au long manteau noir et au petit chapeau melon qu'il tenait avec sa main droite posé au haut d'une cheminée derrière moi. Aujourd'hui, je l'aurais abordé autrement qu'avec un "bonsoir ! " à l'habituelle, mais si on devait toujours tout refaire, l'histoire deviendrait jamais captivante. Il m'avait salué en retour en enlevant son petit chapeau, en prenant son petit sourire et en avançant à grands pas vers ma fenêtre pour me serrer la main à petits coups, comme ça, ce qui lui correspondait assez, vu son physique et sa démarche qui lui donnaient l'impression de flotter. Je l'avais invité à partager mes deux derniers sandwichs de midi à l'intérieur, mais il m'avait répondu très rapidement un "l'intérieur me fait rat, et je préfère rester oiseau". C'est comme ça que je montais le rejoindre avec mon repas quotidien. Il l'avait pris en m'affichant un deuxième sourire et en hochant la tête et avait rejeté son regard sur les rues. Les soirs d'été, la nuit tombait lentement et les rues étaient encore bondées, on avait l'impression d'être le ciel, ou en tout cas d'en faire partie. "Vous traînez souvent sur les toits ? ", je lui avais demandé, comme ça, l'idée me traversait l'esprit, "toute ma vie", il m'avait répondu, d'un trait, ça m'avait surpris. "Toute votre vie ? ", quand quelqu'un vous paraît différent des autres, vous lâchez tout pour en apprendre plus, c'est ce qui m'avait pris, "je ne crois pas en Dieu et pour la seule raison que je suis à sa place. Au Paradis, on voit la terre sans y appartenir. Ici, c'est pareil". On est resté assis pendant des heures, et ça me faisait rêver. Sur le coup, je voulais pas le quitter, quand on rencontre une personne tellement mystérieuse, magique et tout ça, ça vous donne l'envie de partager toutes ses émotions, toutes ses aventures, en gros, tout sa vie. "Si ce toit vous plaît, vous pourrez revenir, histoire de partager quelques sandwichs avec moi, si ça vous dit", il s'était retourné vers moi avec son sourire qui me devenait habituel et m'avait répondu : "ce toit me plaît", puis il m'avait serré la main et était passé au-dessus de moi avec son grand manteau tout sombre pour presque disparaître derrière d'autres toits. Je lui aurais bien demandé son nom, mais ça m'importait peu, et je pense qu'il s'en foutait pas mal aussi de connaître le mien. Il sautait tellement bien de toits en toits, je vous jure, on aurait dit un vrai corbeau, comme ça, dans la nuit.

Quand on découvre, même n'importe quoi, le temps passe vite, du coup, on s'est retrouvé en automne sans même s'en rendre compte. Et je vous dirai que j'ai découvert un tas de petits détails dont je me serais pas rendu compte les mois passés. Quand je parle de détails, ça parlait plutôt du fait qu'il enlevait ses chaussures, par exemple, à chaque fois qu'il se déplaçait, je sais pas moi, peut-être que ça accrochait mieux les toits, ou par exemple qu'il regardait jamais le ciel, ou alors qu'il semblait faire toujours le même chemin en arrivant toujours à la même heure sur cette cheminée, près de ma fenêtre, des habitudes toutes simples, en gros, qui me déplaisaient pas trop au fond puisqu'elles allaient bien avec les miennes. Moi, je bougeais de temps en temps dans mon quartier, je connaissais bien les gens du troquet d'en face, tout ça, mais quand je leur parlais d'un homme qui vivait sur les toits, ça les faisait rire au début, mais à la longue, ça les embêtait plus qu'autre chose. Ca donne l'impression que chaque personne n'a envie d'entendre et de croire que ce qui pourrait paraître normal ou qui s'adapterait bien à leur train de vie. Franchement, je m'en fous pas mal, ils font ce qu'ils veulent après tout, mais je trouve ça dommage, je vous jure, rien que de l'avoir vu, ça les aurait changé. Pour ma part, j'avais le privilège de parler avec lui, d'être la seule personne qu'il connaisse, enfin, jusque là, je le voyais comme ça. Faut dire qu'il parlait pas beaucoup, ou plutôt il ne parlait pas pour ne rien dire. Du coup, c'est moi qui parlait, à mon âge on a beaucoup de choses à raconter, des études jusqu'à tes problèmes amoureux que t'auras oublié dans deux mois. A ce sujet, à chaque fois que je tombais dessus, j'avais l'impression que ça le dérangeait, à faire sa petite moue sur le côté pour que je le vois pas. Alors, j'ai décidé, un même de ces jours d'octobre, de lui poser la question directement, comme ça, histoire de le prendre sur le coup, "et toi, côté coeur, ça se passe comment ? Tu m'en parles jamais", je crois que ça avait jeté un petit froid, en tout cas pour quelques minutes, "je préfère voler", il m'avait répondu avec son sourire, mais ça paraissait vraiment pas convaincant. Sur le coup, ça m'avait un peu foutu les nerfs, une réponse aussi facile, je l'avais pris un peu comme un défi, alors j'ai continué sans changer de ton, "même les oiseaux, ils ont des histoires d'amour". Il avait un peu rigolé, et ça arrive pas souvent, peut-être que venant d'une personne beaucoup plus jeune que lui ça paraissait plutôt mignon, et je le comprends tout à fait. En tout cas, il avait décidé de lâcher le gros morceau et je vous dis d'avance, quand quelqu'un vous lâche le gros morceau, surtout celui du coeur, ça vous rend tout heureux, qu'il accepte votre confiance et tout, qu'il vous considère comme quelqu'un de vachement bien à ses yeux. Il a respiré un grand coup, comme si tout un poids qui le lourdait pas mal devenait un tout petit caillou beaucoup plus supportable. "Depuis quelques années... ", et là, c'est marrant, c'est comme si je voyais tout à coup un autre homme, un homme des toits différent.
"Depuis quelques années, au cours de mes nombreuses promenades sur les toits, j'en arrive toujours au même endroit, au même toit en tôle. Et tout juste en face de ce toit se trouve une gare, une bien belle gare, je dirais même. Et chaque matin de la semaine en sort une ravissante jeune femme, la valise à la main et les yeux rivés sur le ciel, et ce même quand les nuages se font gros ou que la pluie pousse les gens à rentrer chez eux. Mais elle, la seule, elle reste à regarder en l'air, à croire que sa vie devrait se passer là-haut ! ", à ce moment précis, il avait lâché un tout petit rire triste, c'est marrant parce que je le comprenais vraiment. "Et depuis, je suis sa marche, dans tout Paris, du Nord au Sud, de la gare jusqu'à son travail et de son travail jusqu'à la gare. Mais pourtant, jamais elle ne m'a vu, peut-être est-ce dû au fait que je m'efforce à me fondre dans le décor tout en ne la quittant pas des yeux". Il a sori, évidemment que j'avais plein de choses à lui répondre, maintenant que j'avais en quelque sorte percé son âme, je voulais en discuter, et même plutôt l'aider. Mais le problème, c'est que pour la première fois, il ne m'a pas serré la main avant de partir tout juste après avoir fini son histoire. Mais par contre, en m'enjambant, il m'avait regardé comme si il avait tout capté ce que je pensais, mais à le voir, il ne voulait pas m'entendre, ou en tout cas pas ce soir. Du coup, il est parti. Enfin, au bout du compte, j'étais quand même satisfait, l'amour, à le garder pour soi, je pense bien que c'est la chose la plus difficile à supporter.

Et depuis, je l'ai plus revu, en tout cas pendant quelques mois, le temps d'arriver en hiver. Au début, je me suis dit qu'il voulait plus me revoir, qu'il avait changé de toit, changé d'ami peut-être. L'absence, ça te fait toujours te poser un bon tas de questions, mais avec le temps, tout s'arrange. Je m'étais dit, j'ai vécu une histoire géniale, il a du continuer sa vie comme avant, mais j'avais toujours ce petit truc au fond de moi, vous savez, le regret, et je pensais le garder assez longtemps. Et pourtant, un jour où je traînais encore au comptoir, il neigeit même beaucoup ce jour-là, et pourtant, j'ai perçu une jeune femme assise face à la vitrine en train de regarder les toits, plutôt vers chez moi, même. Ca a sauté dans ma tête, je me suis approché en prenant un détour, histoire de pas se trouver ridicule, et j'ai vu qu'elle souriait devant son café toujours pas entamé. Je suis sorti doucement, vous savez, avec cette impression que vous allez retrouver une personne carrément perdue de vue, mais à laquelle vous arrêtez pas de penser, et là, je l'ai vu, assis à côté de ma fenêtre à droite des deux cheminées. Franchement, j'aurais foncé en haut, sans réfléchir, mais j'ai pas bougé d'un pas, surtout quand j'ai remarqué que leurs regards se croisaient et se lâchaient pas. La fille est sortie derrière moi et ils ont marché à deux, des toits et des rues. Je les ai perdu de vue, pour moi, c'était la fin de l'histoire, il y avait rien à ajouter, mais j'aurais quand même voulu être au courant des détails, histoire de pouvoir la raconter, cette aventure. Je suis reparti chez moi, content, c'est sûr, mais un peu triste, au fond, quand même.

Et c'est vers la moitié du printemps, quand tout Paris se remettait à vivre, qu'il est revenu. Personnellement, je m'y attendais vraiment pas, c'était marrant, comme si le passé venait se mêler au présent, et bizarrement, je suis monté sur le toit avec deux de mes sandwichs de midi, je lui en ai donné un, et sans un seul mot, on est resté plantés là pendant quelques heures. Et puis, il m'a continué son histoire, comme si il y avait jamais eu de coupure, et ça m'a fait vachement plaisir. Il regardait le ciel, maintenant, pour la première fois peut-être, et en enlevant son petit chapeau, il a fini de me raconter son histoire. "Et c'est en partant de ton bout de toit que je m'étais mis à penser que j'aurais dû te remercier, pour une fois. Car, en volant, je me suis dirigé à toute allure vers la gare, j'y ai même passé la nuit dans l'attente du prochain matin. La solitude est une bonne chose par moments, elle te fait penser et prendre des décisions bien plus réfléchies. Cette fois-ci, je l'ai suivi à découvert, toute la journée durant, et bien qu'elle ait sûrement cru à une hallucination, je ne mécartais jamais de son regard. Et c'est lorsqu'elle retournait à la gare, qu'elle pénétrait dans le dernier wagon que je me suis enfin décidé à sauter sur le toit de celui-ci et de partir. A cet instant précis, je me remettais en question sans vraiment comprendre ce que je faisais, ce que je devenais et ce que je deviendrais. Et c'est lorsque le vent commençait à souffler dans mon long manteau, lorsque je me suis mis à voyager différemment, que je me suis convaincu d'avoir fait le bon choix. J'en suis même arrivé à parvenir sur son propre toit, un minuscule toit en tuiles qui donnait sur un vieux quartier de campagne. Le temps a longuement défilé avant que je puisse entendre une petite lucarne s'ouvrir doucement à mes côtés et en la voyant s'installer dans mon manteau, en prenant mon chapeau pour se l'approprier le temps d'une moitié de nuit. Moi qui ai l'habitude de laisser vaquer mon regard en bas, ce fût bien la première fois où je lui interdisais l'habitude pour le partager avec le sien... " Elle n'était pas bien longue, sa fin d'histoire, mais il était venu pour me faire ses adieux. Ca, je l'ai compris quand il a enlevé son manteau, son chapeau et ses chaussures pour me les donner. Et avant de partir, en se levant, il a regardé l'horizon, quand les lampadaires commençaient à s'allumer et il m'a dit, "à force de voir toujours le même monde, ça donne envie d'en changer". Et il est parti, en rentrant par ma fenêtre.

Tout ça pour en finir là, ou presque. Je me suis mis à enfiler ses vêtements, c'était vraiment bizarre comme sensation, on avait vraiment l'impression de pouvoir faire des bonds gigantesques, de pouvoir vagabonder comme n'importe qui. Alors j'ai commencé à suivre sa vie, ou plutôt en sens inverse en fait, moi aussi je me suis mis à changer de monde.


Dernière édition par L'homme à la valise le Mer 1 Avr - 10:49, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyDim 19 Mar - 19:37

Mon cher Orwell, il eût fallu dire Tic-Tac


« Où suis-je tombé ? » se demandait Pénélope. Mais où est-elle tombée ? Qu'est-ce qu'elle peut bien foutre dans un tel merdier ? Pas moyen de savoir : personne ne lui répond, personne ne semble même la voir. Quand elle hèle une de ces ombres qui agitent la rue, l'ombre s'effarouche et presse le pas. Pas moyen de savoir où elle est et quand elle est...
Puisqu'elle est invisible elle se dit qu'elle va en profiter quelques temps, juste pour voir ce qu'on ressent en s'immisçant dans l'intimité et dans la vie des gens sans en être inquiété.
Elle se met alors a errer à suivre les larges rues à angle droit. Était-elle déjà passé par là ? Elle en mettrait sa main à couper. Épuisement. Tous ces blocs de béton sont si semblables. Lassitude extrême. Elle se faufile derrière un un corps fuyant et entre derrière lui dans l'immense bâtiment qui un instant plus tôt semblait l'écraser.

Dans l'ascenseur l'absence de musique la surprend et la décontenance, pour 89 étages il est vrai que cela semble curieux. Son doigt parcours le tableau de bord avec circonspection. Finalement, elle ira au 26 ème sous-sol. L'appareil se met en branle dans une explosion assourdissante, puis, plus rien ; seulement une sensation de glissement continu. Seule face à la porte vitrée Pénélope attend, elle attend les mains jointes derrière le dos. Attente interminable aveuglée par la lumière cru et tressaillante d'un néon blanchâtre.
Même explosion, tremblement soudain puis, plus rien. Les portes s'ouvrent, elle pénètre dans un immense complexe de couloir à angle droit. Ca ne va tout de même pas recommencer ! Elle s'approche d'une porte numérotée 1569 Bter et la pousse. A sa plus grande surprise celle-ci n'oppose aucune résistance et s'ouvre tout grand. Un homme agacé referme la porte et retourne s'asseoir sur son canapé miteux. Une seule pièce avec des toilettes en coin, un lavabo face au canapé et un lit sous une fenêtre sur humus.

Pénélope s'avance avec prudence mais l'homme ne lui accorde aucune attention, il reste là à attendre. En fait il fixe un détail qui avait jusque là échappé à notre jeune voyeuse : une pendule marquée de quatre graduations.
Elle s'assied à côté de l'homme sur le large sofa qui grince affreusement au moment où toute sa masse prend appui sur son coxys. Elle dévisage son inconscient voisin ; elle ne lui donne pas plus de 45 ans mais ne peut rien déterminer de plus précis : s'il aime le soleil ou s'il le fuit comme la peste ; impossible de remarquer la moindre ridé révélatrice de son caractère. Son examen n'en finit que plus rapidement.
Alors elle attend, fixant l'horloge dans un silence déconcertant, elle attend. Frustration, attente monotone. Finalement, l'unique aiguille se meut d'un coup sec pour venir se figer devant la 3 ème graduation. Réglé comme un automate, le propriétaire des lieux se lève, se lave et mange un morceau de ce qui semble être une purée au potiron mais sans l'odeur.
Avec une irrégularité surprenante l'aiguille jusque là immobile marque la 4 ème graduation et l'homme se couche et s'endort immédiatement. Attente nerveuse. Longtemps après, mais sans pouvoir dire avec exactitude la durée de ce longtemps, l'homme se réveille et se redresse. Ô miracle, l'horloge manifeste son fonctionnement juste à ce moment et nous indique impérieusement la 1 ère graduation.
Notre apathique interlocuteur ne s'était pas déshabillé, il se dirige directement vers la porte, sort, monte dans l'ascenseur, presse avec assurance le bouton du Rez-de-chaussée. Explosion, glissement, explosion, ouverture des portes.

En pénétrant à l'extérieur Pénélope prend le Soleil de plein fouet, son aveuglement lui fait prendre conscience de l'ampleur de l'obscurité qu'elle quitte à peine. Elle suit son homme, qui, après 2 minutes de marche, entre dans une usine style XIX ème. Là, il évite les obstacles comme seule la coutume de les rencontrer peut nous les faire éviter. Les yeux fermés il serait pareillement arrivé à son poste de travail.
Il se met alors à serrer des boulons. Grotesque. Il a l'air si sérieux ! Pénélope ne peut s'empêcher de voir ici un Chaplin au rythme de serrage trois fois réduit.

A bien y regarder cette usine est une fourmilière de Charlots désoeuvrés. Tous, hommes comme femmes, serrent. Ha non, d'autres les desserrent... Puis d'autres les resserrent... Ces boulons accomplissent un cycle infernal : sempiternellement serrés et relaxés.

Absurde. Pénélope quitte l'usine, tente sa chance dans une autre plus grande encore et rencontrée quelques dizaines de mètres plus loin. Cette fois les ouvriers accomplissent une toute autre tache : des vis effectuent un autre cycle infini.

Absurde. Pénélope ressort. Autre éblouissement. Devant elle un passant s'écroule. Elle se penche et l'examine en détail, il est mort.
En quelque seconde une ambulance est là, deux hommes en blouse verte en sorte et se précipitent sur le corps bousculant Pénélope sans pourtant lui attribuer le moindre regard, ils prennent le poux du cadavre, empoigne le corps inerte, le place vigoureusement sur une civière et lui administrent une perfusion. Curieuse de savoir si l'impensable est devenu pratique courante, Pénélope monte dans l'ambulance qui fonce à tout bringue vers un bâtiment d'une blancheur émaillée effrayante.
Les ambulanciers sortent le corps du coffre avec la même frénésie et vont le placer sur un tapi roulant au dessus duquel est noté « institut de soin. »

Notre héroïne un peu surprise de voir soigner les morts passe le seuil de la seule porte du bâtiment qui ressemble plus à une porte de service qu'à une porte d'entrée de bâtiment public. C'est en effet une porte de service : elle croise un agent de maintenance occupé à ranger un tournevis dans une malle. Il réparait visiblement une des machines du service. Pourtant il n'a pas l'air de se préoccuper de l'arrivée des ambulanciers. Sans doute ne sait-il même pas la fonction de la machine qu'il répare. Pénélope continue d'avancer dans le long couloir qui s'ouvre devant elle pour déboucher sur une salle immense dans laquelle des ombres noires pellettent du charbon pour le précipiter dans une bouche rougeâtre qui crache de l'air brûlant.

Dehors la cheminé noire du bâtiment si blanc fume. « C'est donc comme cela qu'on soigne les morts » S'effare Pénélope.
« Où suis-je tombé ? Où-suis je donc pour que personne ne parle à personne, pour que personne ne sache rien de l'autre ? C'est à peine si l'on conçoit ici l'existence d'un autre. Personne ne sait ce qu'est un mort, a-t-on seulement conscience de la mort ? Quel est ce lieu où tous accomplissent des taches sans but autre que l'accomplissement d'une tache, et où l'activité principale se résume à suivre les directives d'une horloge qui se contente d'indiquer quatre périodes sans se préoccuper de durées ? »

Désabusée par le constat évident qu'est possible l'existence d'une société où la communication n'existe pas et où plus rien ne peut avoir de sens, d'une société d'individus conscients d'une tache individuelle mais inconscients de son inscription dans un ordre général, Pénélope décide d'errer sans but comme le ferait tout être ayant perdu l'espoir de donner un sens à sa contingence.

Choc. Hallucination ? Espoir incontrôlable. Attirance impérieuse. Oubli de ses réserves protectrices, de soi. Pénélope surexcitée pousse une porte qui, comme toutes les autres, pivote avec légèreté sur ses gonds. Elle est dans ce qu'elle aimerait considérer comme le temple de l'homme, temple à la sauvegarde de l'humaine humanité : « Le service de l'éducation. »
Une salle de classe sure sa droite, elle n'ose entrer. Les élèves ont l'air si absorbés, il sont tous muets regardant inlassablement leur professeur qui parle. A gauche une salle des archives. Là elle peut y entrer sans risque de désillusion. Sur la table dans le coin gauche de la petite salle sont rangés les dossiers d'appréciation des élèves.
Pénélope impatiente s'installe sur la chaise et ouvre avec avidité le dossier N, pensant sans doute trouver une Nancy appréciée des professeurs, comme elle, elle aimait la jolie petite fille aux cheveux bouclés qui se passionnait pour tout ce qu'elle disait et semblait suspendue à ses lèvres tout au long de la journée.

Seulement les élèves étaient tous désignés par cette froide et horrifiante expression : « En attente d'insertion » suivi d'un numéro et d'une lettre, en l'occurrence d'un « N. »
Le numéro 25789 . 25 N était qualifié de précoce par ses professeurs. Voilà ce que le professeur de philosophie avait annoté à côté de son numéro d'identification :
« Il est vrai qu'à 45 ans », On vivait donc si longtemps aujourd'hui ?!
« Il est vrai qu'à 45 ans En attente d'insertion 25789 . 25 N a de quoi emballer ses professeurs de planification et d'efficacité de la méthode. Toutefois il me semble que le signaler comme aberration du système est intrinsèque à ma fonction. En effet, sa grande maturité intellectuelle ne suffit pas a combler les lacunes que cinq années d'avance n'ont fait qu'exacerber. Des failles énormes apparaissent dans son raisonnement, il se laisse aller à des élucubrations d'ordre futile impropres à un esprit prêt à trouver sa place dans la société actuelle. Par exemple il persiste, malgré son avancement, à aller visiter le Musée des idéologie primitives pendant que tous ces camarades utilisent leurs vistes hebdomadaires à visiter les usines de serrage ou de fonte et refonte. Son dernier compte-rendu fût un ramassi d'inepties à peine imaginables : il a cru trouver une révélation dans une vulgaire inscription présociale « No Future. » De cette inscription il a conclu qu'il existait trois temps de la conscience qui n'avait aucune existence effective mais n'était qu'une façon d'envisager les choses. Il a cru bon de remettre au jour la théorie du présent/futur/passé. Pour lui les grandes rafles n'ont pas été une rupture réelle dans l'organisation et il est de bon goût et positif de s'interroger sur ce qui avait cours avant que les purges idéologiques aient lieu. Ma fonction se bornant à exprimer mes observations je laisse soin au planificateur général de l'envoyer ou non dans un camp de concentration où il pourra être assez encadré pour acquérir un raisonnement social correct et valide et ainsi pouvoir subvenir à la réalisation d'une tache nécessaire au maintient social. »

Éclair. Désespoir. Terreur. Pénélope peut alors reconstituer tous les fragment manquant de cette société immuable : Société d'esprits progressivement destitués de leur humanité, progressivement et raisonnablement privés de l'usage de la raison et de bases à la pensée critique. Société sans trouble car sans question, société sans répression car sans trouble. Société sans communication et sans mort donc société sans conscience individuelle ni collective, société avec conscience embryonnaire atrophiée de ses deux domaines d'application. Société où ce n'est pas les hommes qui subviennent à leur propres besoins mais des machines qui construisent et nourrissent pour vider de sens l'âme humaine. Société sans homme : société stable, société éternelle, société sans trouble.

Où est-elle tombé ? Dans les affres du fantasme humain, dans les affres d'un utopique futur objectivement réglé.

Que fait-elle dans un tel merdier ?
4 périodes : acquittement de sa tache, décompression, préparation, repos...
4 périodes : découverte, négation, prise de conscience, acquittement de l'ultime prérogative humaine: suicide/Repos : Fin du Tic Tac inhumain.

(Un rescapé de Nouvelles du Futur que j'ai miraculeusement retrouvé)
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 12 Sep - 12:20

Insecticide


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« Ouais, c'est moi, décroche. Ma puce, s'te plait, décroche faut que j'te parle. C'est à propos d'hier soir, allez, merde, décroche quoi. Si tu crois que ça m'amuse de tapper la discute à un répondeur...J'te jure que si tu décroches je ne m'énerverai pas. Tu sais, j'ai des tas de choses qui me passent par la tête, et... Enfin, j'veux dire, j'suis pas à l'aise depuis quelques temps, enfin, tu dois bien le remarquer. J'suis malade, j'te jure, j'ai l'estomac qui me brûle sans cesse, c'est pas naturel. Allez décroche, cette putain d'histoire m'a empêché de dormir. Allez, merde, tu sais très bien que c'est pas mon style de faire une déclaration d'amour à un répondeur. Arrête de me torturer bordel, décroche. Si tu crois que je vais lâcher l'affaire, tu rêves, vraiment, tu rêves.Tu ferais mieux de décrocher, vraiment. Parce que j'commence à perdre patience là. J'te jure, viens pas chialer à ma porte après, décroche. Bon tu décroches pas ? Alors écoute moi bien : reste chez ta copine, n'essaie même pas de me recontacter. Et évite de sortir seule, parce que si je te croise ça risque vraiment d'aller très mal pour ta gueule, ok ? »

L'homme balance son combiné sur le téléphone. Il ferme les yeux, prend une respiration... Et rattrape le combiné pour martyriser le cadran. De toutes façons, il n'avait plus personne à appeler. Et puis, il a toujours detesté le téléphone. Et ça, elle le savait parfaitement, et cette garce en a certainement profité. A tous les coups elle jubilait devant son répondeur pendant que son mec se mettait au 36e dessous pour elle. En tout cas, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir...

« AAAARGH... »

Une nouvelle attaque... L'homme saisit son estomac de sa main droite et passe sa deuxième maladivement dans les cheveux. Ces parasites l'ont retrouvé. Ca faisait quelques jours qu'il n'avait pas été attaqué, et là ça recommence : des cafards lui bouffent l'estomac.
Et il espérait qu'ils ne tenteraient plus la moindre introduction dans son corps. Ca faisait quelques jours que ces bestioles n'osaient plus sortir de la cuisine. Ah, elles la ramenaient moins, quant il leur a foutu le feu alors qu'elles bouffaient des miettes dans le salon ! Le tapis s'en souvient encore, mais c'était le prix à payer.
Une douleur pareille, y'a que lui qui connait. Jamais vos tripes n'ont été attaquées par des insectes, n'est ce pas ? Qu'est ce que vous voulez, c'est le prix de la vérité. Enfin, non, la vérité ça coûte encore plus cher. Si sa copine s'est barrée, c'est bien parce qu'il sait la vérité, et ça, elle n'a pas put le supporter.

« T'es devenu complètement cinglé » qu'elle lui disait.

Mais il n'est pas cinglé. Elle, elle, elle est cinglée, de se pervertir pour une bande de maquereaux. Une bande de vampires qui ne vivent que pour lui sucer le sang, à elle et à ses semblables. C'est à dire à toute la planète. De toute façon, on vit dans un monde ou même le dernier à s'être fait avoir ne cherche qu'à baiser son prochain. Alors elle est aussi coupable que les fumiers de l'Elysée, que tous ces connards au sommet qu'on ne connait même pas. C'est ça la vérité.

Vous êtes coupable si vous ne la connaissez pas, la voilà, la vérité.

« Je suis cinglé, de vouloir un monde juste, peuplé d'êtres humains et non de sangsues ? C'est ça être cinglé ? Etre cinglé, c'est être le seul à avoir des yeux sur une planète d'aveugles ? »

Il écrase sa clope à peine allumée sur son tapis, et allume la télé.
... Bien sûr, celle-ci ne s'allume pas. Il a bien fait d'avoir bousillé l'écran, la preuve : il a fallit céder. Après tout ce chemin, il ne peut tout de même pas se laisser hypnotiser par TF1. Il se dirige vers le frigo, et chope une bière... Puis la repose pour opter pour un whisky. En s'affalant sur le canapé, il a faillit tomber à cause d'un tesson de bouteille.

Il empoigne son stylo et son cahier. Car il n'est pas passif, il ne compte pas se laisser faire : il est entrain d'écrire un livre. Un livre qui raconte une histoire d'amour sur fond de déchets toxiques, un bouquin qui raconte la vérité. L'histoire d'amour, c'est la subtilité, la touche d'espoir. Le pretexte.

« Si les gens peuvent y croire, tant mieux. Moi pas. Au jour d'aujourd'hui, il n'y a pas deux borgnes au royaume des aveugles. Je suis le seul. »
Cet ouvrage est destiné à tous ceux qui osent encore tomber amoureux. Tant de naïveté mérite un respect infini.
Cet histoire s'adresse à tous ceux qui veulent retrouver leurs yeux. »

Il est tellement fier de son intro qu'il la relit dès qu'il en a l'occasion.


Dernière édition par HeLiuM le Mer 1 Oct - 11:23, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 12 Sep - 12:21

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Il arrive que le fauve sorte de sa tanière pour inspecter les alentours. Il riait souvent de voir passer les gens dans son quartier. Comprenez : il vivait près du Champs de Mars, où l'on trouve d'excellents spécimens d'êtres humains pourris par le système. Il lui arrivait de prendre du plaisir à les observer, quant il n'en pleurait pas. Parfois, il est bon de mépriser autrui.

Assis sur un banc, une clope au bec et l'alcool lui brouillant les neurones, l'homme étudie le peuple qui gambade. Il y a les vieilles qui serrent leur sac à main contre elles, les jeunes avec les écouteurs sur les oreilles dont on entend d'ici la musique techno qui en sort, les mamans et leur poucettes tout droit sorties d'un Walt Disney, les businessman qui marchent si vite qu'ils semblent poursuivre une antilope...

Il aime mépriser tout ce bétail. Seulement, les gens dans la rue, c'est un peu comme Mtv : au début on en rit, mais au bout de 20 minutes survient la nausée.

Alors, prit d'un curieux malaise, il se lève. Il fait à peine quelques pas que les cafards recommencent à attaquer son estomac. Il a beau essayer de les ignorer, toutes ces petites machoires qui lui bouffent les boyaux, il y a un moment où son corps se rend à l'évidence.

Il tombe à genou par terre, crache comme s'il pouvait se débarrasser des insectes par voie orale.

« Ils me lacheront jamais... Putain, ils me lacheront jamais... Tant... Que... Je n'en finirai pas avec... Eux... Les ennemis... Les... Traîtres... »

L'homme hurle.

Une femme enceinte, un éboueur, un clochard, et beaucoup d'aveugles, passent. Bien sûr, un homme crève dans le caniveau, et ils n'ont rien remarqué.

« Calmez vous monsieur, respirez... »

Une main s'est posée sur l'épaule de l'homme. Lorsqu'il relève la tête, il se trouve nez-à-nez avec un beau brun ténébreux.

« Ne vous en faites pas, je suis médecin »

Ca, l'homme l'aurait parié. Avec sa gueule à la Georges Clooney, ce crétin ne pouvait que sauver des vies...

« C'est votre ventre qui vous fait souffrir ? ... Vous ne voulez pas me répondre ? ... Je peux appeler les urgences si vous voulez, je peux m'occupper de vous personellement, je suis médecin...

- Ca, j'avais compris » pensa l'homme.

Et puis quoi d'autre encore ? Il n'a que faire de l'aide d'un mec qui pense exercer le plus beau métier du monde. Il n'a que faire de l'aide d'un mec qui exerce un métier, et qui, par conséquent, se considère innocent.

Il se relève sans regarder Georges Clooney.

« Vous allez mieux ? ... Tenez, voici ma carte. Il y a mon portable dessus, vous pouvez me joindre quand vous voulez si ces maux vous reprennent. »

Il saisit le papier et le fout machinalement dans sa poche. Il fait ensuite demi-tour sans adresser un signe au médecin. Puis se retourne soudainement. Ce mec n'est pas normal. Pourquoi cette bienveillance ?

« Qu'a t'il voulut tirer d'un mec accroupit dans un caniveau ? »

Le médecin appelle un taxi. Et l'obtient du premier coup. L'homme a une soudaine envie de vomir.

Une envie d'apocalypse. D'en finir avec tous ces hypocrites. Il aimerait qu'une tornade vienne emporter toute la merde de cette planète. Et, de la merde, ici, il y en a un paquet. Il se demande parfois s'il y a encore quelque chose à sauver dans l'humanité. Non, il se le demande tous les jours, en fait.

Un clochard lui demande du pognon. Comme si sa vie en dépendait.

« Du fric. Du fric, du fric, du fric, du fric, du fric, du fric...
- Vous z'auriez pas un peu d'monnaie, siouplait ?

L'homme fouille dans ses poches, et trouve un billet de 20 euros. Là, une étoile apparaît dans l'oeil du clochard...
L'homme s'empare de son briquet, et, sous les yeux du gueux, fout le feu au morceaux de papier. Il en profite pour s'allumer une cigarette avec ce billet qui flambe.

« Espèce de cinglé ! gueule le clochard.
- Je suis cinglé, de vouloir un monde juste, peuplé d'êtres humains et non de sangsues ? C'est ça être cinglé ? Etre cinglé, c'est être le seul à avoir des yeux sur une planète d'aveugles ? »

Lorsque l'homme rentre chez lui, il brûle son chéquier ainsi que tout son liquide. Les pièces de monnaie, il les jette dans le syphon de son évier.


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 12 Sep - 12:21

3


Aujourd'hui, le fauve se change en rapace. Il observe le monde du haut de son immeuble, là, dans son appartement bourgeois saccagé.

« Tous ces connards qui pensent révoution... Ces étudiants qui gueulent dans les rues, les ouvriers, la sncf, et ces enfoirés d'intermittents qui se battent à grand coup de grêves... Putain, que des incapables, une bande de bras cassés, tous des imbéciles... C'est pas en arrêtant d'agir qu'on change le monde. »

Et encore les mêmes stéréotypes passent en bas de son immeuble. Des étudiants parlant politique, une vieille dame en manteau de fourrure, les éternels businessman pressés... Ici, dans ce quartier, pas un vagabond, pas un punk-à-chien. Tout ce qui bouge est aussi brillant que ce qui est immobile.

Paris. La ville du paraître. Lui, avec ses vieilles frippes dégueulasses, il fait bizzare dans le décors. Ses fringues ont coûté cher, soit. Mais désormais, elle puent la sueur et l'alcool. Ce n'est jamais très agréable.

« Les gens préfèrent l'odeur des animaux morts sur le dos des vieilles, peut-être ? »

Les salopes. Elles ne vallent pas mieux que lui ! S'abandonner à l'ivresse ou s'abandonner au fric, au paraître, c'est la même chose. Il serait temps que les vieux cons réac s'en rendent compte.

« Merde, voilà que je parle comme un syndicat d'étudiant »

Se dit-il.

Et la vielle en fourrure, en bas, elle va bien se rendre compte qu'il ne s'agit pas d'une révolte adolescente à deux balles. John Lennon voulait une révolution pacifiste. Conneries. Va falloir que le sang coule.

L'homme va chercher dans son placard, dans la cuisine, et s'empare du bidon d'essence dont il s'est servit pour se débarrasser de ces putains, putains de cafards collabos, qui régnaient dans son évier. Il fouille ensuite dans ses poches, et trouve un vieux paquet d'allumettes. Il est désormais équipé.

Il descend de son 3e étage en sautant la plupart des marches de l'escalier. Il ouvre la porte de son immeuble.

Le bidon d'essence ne lui paraît pas bien lourd. Une force supérieure le motive. Négative ? Peu importe, il est temps de foutre un coup de pied dans la fourmilière. Comment appelle-t-on un nid de cafards ?

La vieille dame devant lui avance doucement dans son manteau grandiloquent fait en renard, ou autre animal au pelage couteux. L'homme la rattrape très facilement.

Avec un sang froid impeccable, l'homme lève son bidon, pour le vider sur la tête de la grand mère. Surprise, celle ci pousse un petit cri aigü. Les yeux de l'homme n'expriment rien d'autre que du mépris. La vieille dame, reniflant l'odeur du combustible, panique d'un coup, et tente de s'enfuir malgré sa difficulté à marcher.

L'homme sort ses allumettes et en gratte une. Raté. Une deuxième... Raté. Avec ce putain de vent, faut avouer que c'est pas évident. Il réessait une troisième fois, et échoue encore une fois. Pendant ce temps, la vieille, en dépit de sa lenteur, a déjà fait son chemin.

L'homme la poursuit alors, car elle ne doit pas en ressortir indemne. Il ne la laissera pas faire. Hors de question. Il la poursuit, tout en tentant d'allumer ses allumettes. Mais bien sûr, vous imaginez bien que craquer des allumettes en courant, c'est plutôt très complexe. Alors il s'arrête une nouvelle fois.

Putain de vent d'hiver. Il était à deux doigts de punir cette vaniteuse.
Il a bien l'air con, maintenant, avec ses pauvres allumettes cramées et cette vieille qui hurle au secour et qui court aussi vite qu'elle peut, c'est à dire pas très vite. Etre semé par une vieille, c'est quand même un peu humiliant.

L'homme jette le bidon d'essence dans le caniveau. La rage l'envahit. Briser quelque chose...
« Bonjour monsieur ! »

Briser...

- Vous vous souvenez de moi ?
- Le médecin ? » Briser...

- J'espère que ça va mieux... Vous m'aviez fait peur, votre visage était complètement déformé par la douleur, lorsqu'on s'était croisé »

- Ca va mieux maintenant... » L'homme fixe le médecin « J'ai votre carte ».


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 12 Sep - 12:22

4


Retour au 3e étage... Retour à la fenêtre... Recommençons à observer la populace. Il y a de quoi l'envier, le peuple. Regardez les se balader comme des... Des... Des escargots dans une clairière. Il sont tellement lents, ennuyeux... Mais, c'est leur choix. Et je le respecte.

Ha-ha-ha. On dirait une émission de télé. Ne pas respecter les traîtres. Si je suis aussi bas, c'est parce que eux aussi l'ont voulut. « Et puis, qu'est ce que c'est le respect ? Une notion que les cafards ont inventé pour pouvoir canaliser les escargots. Les escargots ont les antennes arrachées et les yeux crevés.

Moi je suis borgne, et j'exige ma couronne. Il existe quelques uns de mes frêres, j'sais pas où, mais y'en a. Ce livre ne leur ai pas adressé. Parce que eux, ils sont au courant, tout comme moi, de l'invasion des cafards. Et si nous autres, borgnes de l'espace, n'avions pas débarqué sur Terre, les hommes marcheraient sûrement sur huit pattes aujourd'hui. C'est pas si compliqué : nous sommes en danger. Cernés. D'accord, moi aussi je suis cerné, mais c'est sous les yeux. Eux, ils sont enfermés dans un carré. Et ceux qui surveillent les portes, c'est les flics, avec leur flingue et leur matraque. Ceux qui donnent les ordres, c'est les cafards. C'est pas dûr à comprendre. Il faut écraser les cafards ».

« Je t'aime, bordel. J'ai besoin de ta gorge, je sais plus où mettre mon nez. Je sais que tu peux comprendre ce que je t'explique. Je ne peux plus livrer cette guerre tout seul. Reviens, et je ne recommencerais plus. J'boirais plus, ou moins, je sais pas. C'est compliqué d'être borgne. Je comprends pourquoi les pirates sont alcooliques. Mais je ne serais plus jamais assez bourré pour te péter un bras. Ca, c'est sûr, j'ai pris des résolutions. Je me consacre à mon livre, et je pense tellement fort à toi que ça me fait mal au crâne. D'ailleurs, j'étais entrain de le continuer, mon livre, et au final, je t'écris à toi. De toute façon, je tourne en rond avec ce putain de livre. Le Dieu des borgnes m'a donné une bien trop grosse mission. C'est trop dûr d'être borgne.

Mais j'ai une piste. Un médecin louche. Il me suit, il sais qui je suis. Et je crois savoir qui il est. Ensemble, ma puce, ma princesse, si tu reviens, on va pouvoir rendre le Monde meilleur. Tu vois, je ne suis pas si désespéré que ça. J'ai des solutions, réfléchies. Pertinentes. Des solutions qui mènent à LA solution. Reviens, et nous sauverons la race humaine, ensemble, nous la purifirons. Plus de cafards, finit. Reviens, tu vois, toi et moi, nous avons un avenir. Nous avons...

« AAAAAAAARRRRRRRGGGGGGHHHHHHHHH »

Les salopes ! Les salopes ! Elles l'attaquent toujours au moment où il l'attend le moins.

« C'est le moment... Pour un petit... Test... »

L'homme fouille dans ses poches, pour en sortir la carte du docteur Rosenberg, attrape son téléphone au cadran brisé, et compose le numéro.


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 12 Sep - 12:23

5


« Et... Je présume que ça vous fait souvent souffrir ?
- Tout le temps...
- Ca vous est déjà arrivé de cracher du sang ?
- Jamais
- Remontés acides je présume ?
- Qu'est ce que vous voulez dire ?
- Avec tous les cadavres de bouteilles dans cette pièce, les remontés acides doivent faire partie de votre quotidien... »

L'homme regarde autour de lui, regarde l'état de son domicile. C'est vrai, le nombre de bière vides est impressionant.

« Et bien sûr, vous me conseillez de...
- Boire moins, ce serait déjà une bonne chose.
- C'est pas que je bois beaucoup, c'est que je range pas beaucoup.
- Et vous devriez voir quelqu'un de plus qualifié que moi.
- Bah merde, vous êtes médecin ou pas ?
- Médecin, pas psy.

Là, il y a un malaise. L'homme regarde par terre, un sourire en demi-teinte aux lèvres.
« C'est probablement dur à entendre, mais croyez moi monsieur, vous avez besoin de parler à quelqu'un qui...
- Qui saura me trouver des maladies ?
- Qui saura vous écouter. Tous les psy ne sont pas des charlatans.
- Je vous demande un remède contre mes maux de ventre, vous me recommandez un psy. Sincèrement, qu'est ce qui se passe dans mon estomac ? Parlez franchement, arrêtez de jouer les assistants social.
- Ce n'est pas honteux de consulter un psy. C'est une pratique courante, banalisée...
- Je n'en ai pas besoin.
- Mais enfin, regardez dans quelles conditions vous vivez ! Vous êtes dans un quartier riche, dans un appartement dont j'ose à peine imaginer le prix du loyer, pourtant on dirait un squat de sans abris ici ! Vous vous laissez aller, je vous le dis comme vous le dirait un ami.

L'homme plonge ses yeux dans ceux du docteur.

« Qu'est ce que vous appelez un ami ? »
- Un homme qui vous prouve que vous n'êtes pas seul.
- Vous me proposez votre amitié ?
- Peut être. Ca dépend de vous. Vous avez envie d'aller mieux ?
- Vous avez envie que j'aille mieux ?
- Ce n'est pas une réponse.
- C'est ma réponse.

L'homme et le docteur se regardent, s'observent, se scrutent. Le médecin déclare alors :

« Je souhaite le bien à tout homme. Vous avez le droit au bonheur autant que moi. Nous avons sensiblement le même âge, j'ai trois enfants et une femme amoureuse, vous êtes manifestement l'inverse. Et vous êtes triste, amer. Et alcoolique. Moi, je connais le bonheur. Je pense que vous le méritez aussi. Parce que je sais ce que vous vivez. J'ai été ce que vous êtes.
- Mais qu'est ce que vous racontez ? Putain mais on se connait depuis une demie heure...
- Il y a des choses que les yeux racontent mieux que les paroles. La haine, la rancoeur, le dégout, de l'homme et du monde... Vous avez ça dans les yeux. J'ai eu ça aussi. Ne me contredisez pas, je trouverai ça insultant.
- Et laisse moi deviner : toi, t'as trouvé l'amour et la compassion après de longues années de galère ? Mais tu m'emmerdes putain !

L'homme fixe longuement le médecin qui ne lache pas le regard.

- Je te demande juste un médoc qui calmerai mon putain de mal au bide. Et toi, t'essaies de me faire adhérer à un secte.
- Réfléchis une minute. Des gens qui te tendent la main gratuitement, t'es bien placé pour savoir que tu n'en trouveras pas cinquante. Je te tends la main.
- Arrête tes conneries, tu vas me faire croire en Dieu.
- Pauvre con ! Tu pourrais saisir ta chance mais tu préfères rester cloitré dans ta putain de névrose ! Je te dis que j'ai été comme toi, et tu t'en fous ! J'essaie de te faire comprendre que tu peux te confier à moi pour libérer tes démons à deux balles, et tu m'envoies chier ! Je suis là pour t'aider. Regarde moi dans les yeux, je ne vais pas le répéter cinquante fois : je suis là pour t'aider.

Les deux hommes se fixent à nouveau. L'homme :

- Si tu veux m'aider, tire toi de chez moi. Et si tu veux t'aider, tire toi de chez moi, enculé de collabo. Je tomberai sûrement pas dans ton piège. Je ne veux pas de ton aide. »

Les deux hommes se regardent quelques secondes. Jusqu'à ce que le médecin s'empare de la malette en se dirigeant vers la porte, en lachant simplement :

« Bonne continuation. »


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 12 Sep - 12:24

6


« J'ai compris ce que tu voulais me dire... Je suis vraiment le dernier des connards pour t'avoir traité comme ça... J'ai tellement mal putain, c'est tellement rare qu'on s'interesse à ma douleur... Ma copine m'a quitté, parce que j'ai été méchant, très méchant... Violent, même. Et maintenant, j'suis tout seul, comme une merde... J'suis entrain de moisir dans un trou à rats que j'ai construit moi même... Excuse moi, j'arrive pas à garder mon calme, mais putain, faut que je lâche du lest... J'ai plus confiance en personne, car tout le monde m'a abandonné... Les gens croient qu'ils ont des amis, en vérité, ce ne sont que des gens interessés... Des putains de parasites. Je m'en suis séparé. Tout mon environnement, tous ces gens... Juste des traîtres. C'est pour ça que je ne t'ai pas fait confiance, j'ai simplement... Oublié que ça existait, les gens bien attentionés. Je dois t'avouer que j'ai bu... Enormément... Comme un trou. Et il faut que je te parle. J'espère que je réveillerai pas tes gamins, héhéhé... Putain je dois parler... J'en ai besoin maintenant... J'veux que tu m'écoutes... Je ne sais plus quoi faire... J'ai mal... Ma copine ne reviendra jamais... Et les autres non plus. Et le monde non plus. Sauf toi. Si tu décroches, si tu me pardonnes, tu peux me sauver. Peux tu me sauver ? »

Lorsque les cafards envahissent à nouveau son estomac, l'homme raccroche. Il pleure, puis vomit sur sa table basse. Mais ils sont toujours là. L'homme jette son téléphone par la fenêtre.


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 12 Sep - 12:25

7


Bien que nous ignorons toujours le mobile précis de l'homme, ainsi que la raison pour laquelle, selon Mme Rosenberg, celui-ci aurait traité le docteur Rosenberg de traître avant de le poignarder sous les yeux de leur trois enfants, l'assassin présumé du docteur Rosenberg a été retrouvé dans son appartement, remplis de déchets de toutes sortes, empoisonné par de l'insecticide. Les autorités ignorent s'il s'agit d'un suicide ou d'un assassinat. En effet, il se peut qu'un mystérieux complot soit à l'origine de cet étrange double meurtre.

FIN


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 24 Jan - 4:20

Si je plisse les yeux comme ça, en direction de l’écran, c’est qu’ils m’ont bouffés le nerf optique de l’intérieur. Je commence à avoir du mal à supporter la lumière. Il faut que je retourne vers l’ombre, d’où je viens. Je sens qu’on me suit. Je me retourne, trop de lumière. Je ne vois que des halos translucides. Tant pis, je n’ai pas le temps d’évaluer le danger. Je fonce, je me cogne un peu partout, j’y vois de moins en moins. Aller le plus loin possible de cette lumière étouffante, oppressante. Partir.

Je sens que je me détériore, en dedans. En moi. Rien ne va plus, je crois que les jeux sont faits. Tout à coup, la douleur, poignante, très violente. Je suis stoppé net dans ma course, je m’écroule et me tortille par terre, en sueur et les yeux fermés. Comme si mon intestin était en train d’étouffer tous les autres organes de mon corps. Mon cœur bat de plus en plus vite, j’ai le sentiment que je vais exploser à tout moment. Imploser plutôt.

Pourtant ça se calme, je peux me relever, j’ouvre les yeux. Je ne peux toujours rien voir. Il faut que je les garde le plus possible fermé pour ne pas me brûler la rétine avec cette lumière. Je fouille dans mes poches : je trouve des cachets, enfin au toucher, ça y ressemble. Je les mets dans ma bouche. J’ai du mal à avaler, la gorge trop sèche. Un effort. Ça y est, ils pénètrent dans l’œsophage. C’est peut-être psychologique, mais je me sens apaisé. Je soulève très légèrement une paupière : j’y vois un peu mieux, ça brûle moins. Les deux paupières relevées, je peux distinguer vaguement ce qui m’entoure. Un peu plus loin, je crois distinguer une porte. Je m’approche doucement, trouve la poignée en tâtonnant, et tourne. La porte s’ouvre, il fait noir. Soulagement. Je rentre et referme derrière moi.

Peu à peu, mes yeux s’habituent de nouveau à ce climat visuel moins hostile, plus reposant. Je commence à y voir plus clair. Une petite pièce, une sorte de bureau. Il y a un ordinateur, que je préfère laisser éteint pour le bien de mes yeux. Par terre, il y a plein de trucs, c’est le bordel. Des feuilles de papier, de la poussière, divers objets. Rien qui me tente. Et une chaise, qui, elle, est la bienvenue. Je me pose, m’écroule même, et appuie ma tête contre le mur. Et je ferme les yeux. Je m’assoupis, sombre dans un ailleurs plus personnel.

Lorsque je me réveille, tout a changé. Les murs ne sont plus là, ils ont laissé leur place à des nuages que je peux toucher. C’est agréable. Tous les trucs qui traînaient par terre sont en train de voleter gracieusement. Je suis aux anges. Sûrement les cachets. Je ne sais pas ce que c’était comme cachets d’ailleurs. Tant pis. En tout cas, ça me permet d’avoir un instant de pure satisfaction, de contentement, de suffisance.

C’est quand je pense atteindre le climax, que tout redescend très vite. La douleur. Partout en moi. Je ferme les yeux, essaye de respirer lentement, mais ça ne marche pas. Comme si j’avais bu de l’acide sulfurique. Je tombe de la chaise ; à présent, je suis allongé sur le dos. Les nuages sont toujours là, les papiers dansent toujours autour de moi. Mais j’ai mal. Soudain, la porte s’ouvre ; deux silhouettes très blanche, très lumineuse s’approchent de moi. Je ne peux pas distinguer leur visage. Ça recommence à me brûler dans les yeux. Une des deux ombres blanches balaye d’un geste de la main tout ce qu’il y a sur la table. Et ce tout reste en suspension dans la pièce. En apesanteur. Pourtant moi je suis bien cloué au sol, écrasé par la douleur et par cette lumière qui est revenue. Je ne peux pas bouger.

Les deux silhouettes posent deux verres sur la table désormais vide, ainsi qu’une bouteille sur laquelle sont inscrits deux mots :
Blood Wine. Du moins je crois ; peut-être que j’hallucine encore, je ne sais pas. En tout cas, je préfère fermer les yeux, avoir l’impression d’être seul. Mais j’entends tout ce qu’ils font, avec précision, comme si le volume sonore était décuplé. Je les entends verser le liquide de la bouteille dans les deux verres. Je les entends murmurer des sons incompréhensibles, je les entends manipuler des objets métalliques. Et puis plus rien. Le silence. La douleur diminue. Je suis en train de mourir…

C’est au moment où je pensais expirer pour la dernière fois que la douleur me reprend. Pourtant ce n’est pas la même. Elle se situe plus bas. Dans les jambes, non, encore plus bas. Mes pieds. Une douleur vraiment atroce. Je peine à ouvrir les yeux et lorsque j’y parviens, je prie pour être dans un cauchemar des plus horribles. Un des types a deux doigts de pieds dans la main. Mes doigts de pieds ! Il en passe un à son collègue, qui le saisit, le trempe délicatement dans son verre et le fourre dans sa bouche. Il sourit ce qui pousse son camarade à en faire autant. Il sourit également, il a les dents toutes rouges. Dans son autre main, il a un couteau de boucher, rouge de mon sang lui aussi. J’aurais préféré mourir.

Je souffre, je hurle, j’essaye de me débattre, mais mon corps ne répond plus à mon cerveau. Seules mes cordes vocales fonctionnent encore. Je ne suis même pas sûr après tout. Je n’émets peut-être aucun son. En tout cas j’ai l’impression de faire un bruit insupportable. Mes deux bouchers ne sont pas déstabilisés pour autant. Ils finissent leur verre, attrape la bouteille et me vide le contenu sur le visage. Surpris, j’en avale un peu. Au bout de quelques secondes, la douleur cesse. Je suis calmé, je n’ai plus mal. Et le goût n’est pas mauvais. Je me sens revivre, je me sens bien, je suis heureux. Je les regarde, un sourire béat sur le visage, me planter un énorme clou dans la paume de ma main droite. Même pas mal. Le sang coule par terre, gicle sur leur visage. Ensuite, avec une tenaille, ils m’arrachent un à un les ongles, en finissant par le meilleur, le plus gros, celui du pouce. Sans doute qu’ils ne digèrent pas les ongles. Puis, ils reprennent leur joli couteau et me découpe les cinq doigts, en commençant, cette fois, par le pouce. Je ne sens toujours rien, à part cette joie de vivre. Une fois le travail fini, ils retirent le clou de ma main, allégée de ses doigts, qu’ils mettent dans un broyeur. Après toute cette manœuvre, il récupère un épais liquide qui ne ressemble à rien. Ils prennent la précieuse mixture et sortent de la pièce, me laissant en paix avec moi-même.

La solitude me pèse… Aucun son… Aucun souffle, plus de sensations… La vie peut-être drôle parfois. Alors, je décide de me pardonner, d’expier mes pêchés. Evidemment, je me sens en droit de le faire tout seul. Qui serait mieux placer que soi-même pour laver ses fautes… Je me sens mieux moralement, dans ma tête… Moins perturbé… Je commence même à penser que ces deux hommes étranges me voulaient du bien. Je me sens plus en paix avec moi-même, avec mon passé, avec la vie mollassonne que j’ai mené. Si sept doigts, dont deux de pieds, est le prix à payer, alors je ne regrette pas de l’avoir payer… Bien que je ne me rappelle pas avoir eu le choix… Je sombre de nouveau dans un coma sans rêves et sans illusions…

Des cris stridents me réveillent. Comme si on torturait la voix la plus aiguë et insupportable du monde. J’ouvre les yeux avec beaucoup de mal et aperçoit un chien. Un roquet plutôt, qui me lèchent les moignons. La sensation n’est pas désagréable, mais ces cris ! D’où viennent-ils ? Je tourne la tête, et je les vois, les deux autres. Encore plus petits, plus teigneux, plus bruyants que celui qui me suce le sang. Ils sont près de mes oreilles. Et je sais que dans cette salle les sons sont décuplés. Mes tympans vont explosés, mon cerveau aussi et va s’écraser contre les parois de mon crâne. Je n’ai plus qu’une seule envie, retrouver le silence pesant de toute à l’heure, ce climat de méditation, d’introspection. Impuissant, je crie à mon tour, pour couvrir de ma voix grave ces hurlements venus tout droit de l’enfer. Je suis peut-être en enfer. Ça y est mes tympans ont explosés… Je n’entends plus rien… Je suis sourd…

En fait non. Après un moment d’une durée que je ne peux définir, j’entends enfin un son. La porte s’ouvre et se referme. Une silhouette lumineuse avance vers moi, attrape la chaise, monte dessus et commence à installer quelque chose au plafond. Je ne vois pas très bien, son corps m’en empêche. J’entends des bruits, ce qui me fait du bien. Comme des bruits de tuyauteries. Un plombier ? Il installe peut-être une douche. Oh oui, j’aimerai tellement une douche, froide, abondante, je pourrais boire l’eau qui tombe jusqu’à plus soif. Je commence à saliver. Et l’homme descende de la chaise, la remet à sa place et sort de la pièce. Je vois une sorte de tuyau qui pende, juste au dessus de mon visage. Ils vont peut-être me l’envoyer cette douche.

J’entends de la musique. C’est agréable, j’avais presque oublié que ça existait. Je souris bêtement. Ça faisait longtemps que j’avais pas souri. Ça détend les muscles de la mâchoire. Trop de crispation tue. Je commence même à éclater de rire. Sûrement nerveux. Je reçois une goutte sur le visage, ça y est il m’envoie une douche. Ça me fait marrer encore plus. Les gouttes tombent en un flot ininterrompu, c’est bien une douche, je ferme les yeux pour ne pas me prendre de gouttes dans les yeux et ouvre la bouche. Plusieurs tombent sur ma langue. J’avale. Drôle de goût. On ne dirait pas de l’eau. Je redresse la tête tout en ouvrant les yeux. C’est rouge, je suis tout rouge. C’est peut-être leur boisson horrible de tout à l’heure.
Blood Wine. Ou du sang. Les connaissant, j’opterais pour la deuxième solution. Je commence à paniquer. Après toute ces heures allongé, je réussi à me lever. L’énergie du désespoir. Le sang coule fort du tuyau à présent. Ce ne sont plus des gouttes. Je me dirige vers la porte, essaye d’ouvrir. Il n’y a plus de poignée. Plus ou pas, je sais plus. Je cogne sur la porte, me défonçant tous les os des mains. Je hurle. Je sais que c’est inutile, mais je le fais quand même. Je dois m’en sortir, c’est trop cruel. Mourir noyé dans une salle remplie de sang. C’est là que j’éclate en sanglot. C’est plus fort que moi. Les larmes coulent le long de mes joues, se mélangeant au sang. Sortez-moi d’ici. La musique a disparu. Juste le bruit du tuyau.

J’ai du sang jusqu’à la taille. L’odeur est épouvantable, je viens de vomir. J’aimerais ne serait-ce qu’avoir la volonté de trouver une solution, mais non. Il est trop tard. J’ai sûrement mérité ce qui m’arrive. Résigné, fataliste… Lâche. L’odeur est insupportable, intolérable. La salle se remplit à rythme régulier de sang. La fin est inéluctable. A présent, je me sens coupable. Coupable de je ne sais quoi. Mais ce que je sais, c’est que l’enfer m’attend, je ne dois pas me plaindre. Elles ont réussis, ces silhouettes translucides. Je suis persuadé de mériter l’innommable. Je ferme un instant les yeux et je revois ce qui sera mon dernier souvenir : un coucher de soleil, très ocre, très chaud, violent. Le soleil a l’air de s’écraser sur l’horizon, on ne distingue pas clairement les contours, la lumière est encore trop forte. On ne voit que de vagues formes de lumières orange et rouge. Je m’accroche à ce souvenir, à cette dernière image avant de me rendre malheureusement compte que ce cliché carte postale est aussi apocalyptique que ma situation.

Lorsque j’ouvre mes yeux à nouveau, seule ma tête dépasse de ce lac ensanglanté. Mais j’ai encore pied. Lente agonie, dure souffrance fataliste. Je sais ce qui m’attend. Ça ne me réjouit pas forcément, mais ça ne m’attriste pas. C’est surtout la peur, l’appréhension de la douleur physique que je crains le plus. Le sang monte encore, mes pieds se détachent lentement du sol, je suis obligé de faire des mouvements avec mes bras pour avoir le visage hors du sang. Et je crois que ce sont ces mouvements légers et anodins qui commencent à m’achever. La fatigue, pas manger depuis je ne sais quand, les blessures, la perte de sang. Le tout fait que je commence à être épuisé au bout de quelques minutes. Je sens la présence lourde de sens du plafond au dessus de mon crâne. Vivement la fin.

Ca y est, le haut de ma tête touche le plafond. Il ne me reste qu’une poignée de minutes, qui seront sans doute les pires. Je redresse la tête. Mon nez est aplati contre le plafond. J’aimerais tellement m’évanouir avant.

Je ferme les yeux et inspire longuement et profondément. Et je relâche tous mes muscles, sauf la bouche, que je garde close.

Ce qui me semble durer une éternité passe ; j’ai expiré très lentement tout l’air que j’avais dans mes poumons. Un seul choix s’impose à moi. Je ne peux rien faire d’autre : je commence à respirer. La sensation est insupportable, je sens le sang pénétrer dans mes narines, s’infiltrer partout dans mon organisme. On ne pense plus dans pareille situation, je vous l’assure. J’ai le sentiment d’être rempli, plein de sang, trop de sang.

Le gouffre.

L’explosion.

Ah.


Leahpar


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyJeu 8 Fév - 23:10

Il y a tant de mamans et de papas qui, chaque 25 décembre, voient les yeux de leur bambins s'illuminer de joie lorsqu'ils aperçoivent tous ces beaux paquets soigneusement emballés dans du papiers de toutes les couleurs. C'est une joie qui n'a pas d'égal, aussi, on ne remerciera jamais assez le Père Noël de nous la procurer.

Mais, au fait, connaissez vous la véritable histoire du Père Noël ? Non ?
Je m'en vais vous la conter. Ouvrez bien vos oreilles, et écoutez moi attentivement, petits et grands : voici

La véritable histoire du Père Noël (où le conte de Perot)

Il était une fois, un vieux monsieur avec une longue barbe blanche et un ventre tout rond mais avec une santé de fer immensément riche. Malgré sa fortune, ce brave vieillard, que l'on appelait pas encore le Père Noël, était un homme simple et bon. Son coeur d'or n'avait pas été ternis par le démon de l'argent.
Il avait décidé de vouer sa vie à ce qui lui était le plus cher : faire plaisir aux petits enfants, quelle qu'en soit leur condition sociale. Il avait créé une grande entreprise avec sa femme, la Mère Noël, pour fabriquer toute l'année les jouets les plus beaux et les plus amusant possible pour combler toutes les têtes blondes de la Terre. Et, le 25 décembre, il les distribuait sur toute la planète, comblant de bonheur les foyers aux revenus les plus modérés.

Pendant des années, c'est ainsi que cela fonctionnait. Tout marchait à merveille, l'invention du Père Noël prospérait si bien qu'un jour, un grand patron d'une célèbre marque de boisson gazeuse vint frapper à sa porte. Interloqué, Papa Noël l'interrogea sur le but de sa visite. Le PDG lui tint à peu près ce langage :

- Père Noël, le monde entier admire ta bonté et ta générosité. Tu es probablement l'homme le plus respecté et le plus respectable de cette galaxie. Néanmoins, ne crois-tu pas que tout cela est bien éphémère ? Oui, car si tu continues à rendre de si grands services, à combler de loisirs tous les hommes et les femmes de notre belle planète, tu risquerais de te ruiner ! (Et aussi à faire effondrer tous le bizness de mes concurrents et moi même, mais ça, c'est un détail). C'est pourquoi, je te propose de l'aide.

Le Père Noël trouva ce discours bien suspect. Septique, il demanda alors :

- Et, quel genre d'aide ?

- C'est très simple, si tu veux bien collaborer avec nous afin de faire progresser notre image de marque, je t'aiderais financièrement à construire tes jouets.

Choqué, le Père Noël sortit de ses gonds, et éructa :

- Ce que je fais, je le fais de manière totalement désinterressée ! Il est hors de question que je collabore avec vous, je ne suis pas à vendre !

- Méfie toi Père Noël, ton refus peut se révéler fatal pour toi. Tu entendras à nouveau parler de nous, je te le promets.

Et sur ces mots, l'étrange homme tourna les talons et partit.


Quelques années passèrent, sans que rien n'entrave la belle entreprise du Père Noël. Mais un jour, alors qu'il arriva à son usine où les gentils Lutins fabriquaient les jouets, Papa Noël découvrit, horrifié, qu'on avait cessé toute activité.

- Remettez vous au travail, que Diable ! Noël est dans 3 mois !

Les Lutins en colère répondirent alors :

- Père Noël, tu nous as exploité durant des siècles, comme si on était des taïwannais. Si tu ne nous paies pas, nous irons travailler chez Coca Cola !

Le Père Noël, se trouvant là devant le fait accomplit, fut obligé d'allonger la monnaie, non sans avoir maudit le PDG qui avait caché le nom de son entreprise.
Ah, maudit Coca Cola, pensa t-il ! Il rentra vite chez lui pour se servir dans son grand coffre à pièce d'or et payer ces charognards de nains. Mais là, stupeur : il n'y avait pas un sous dans son coffre pourtant remplit au départ !

Juste un mot de sa femme, qui disait ceci :

"Cher ex-mari.

J'ai mis du temps à me rendre compte que tu étais vraiment le roi des cons pour bosser autant sans demander de salaire. De plus, les gamins que tu gates sont pour la plupart des petits branleurs gavé de sucrerie par leur parents. Comme tu peux le constater, je me suis tirée avec la caisse, comme toute bonne femme divorcée qui se respecte. Si tu me cherches, je suis au siège social de Coca Cola, entrain de m'envoyer le patron"

Le cauchemard commença alors pour le pauvre Papa Noël. Fou de douleur, il commença à sombrer dans l'alcool, alors que tous les Lutins quittaient l'entreprise, qui en était presque à sa fin.

Refusant tout de même d'abandonner son rêve, à savoir faire scintiller de bonheur tous les yeux de tous les petits garçons et les petites filles de la Terre, il décida de continuer seul. Malheureusement, vu qu'il n'avait jamais rien fait lui même et qu'il ne savait rien faire de ses dix doigts, le peu de jouets qu'il réussit à terminer étaient parfaitement ridicules. Il entreprit alors de supplier les Lutins de revenir. Mais ceux ci avaient déjà un bon poste à Coca Cola et refusèrent.
Il distribua alors ses pauvres jouets pourris aux plus démunis, dans quelques cités d'Europe de l'Ouest et quelques ghettos américains. Mais comme les jouets étaient moches, les enfants étaient déçus, et les grands frêres rossaient régulièrement le pauvre Papa Noël de coups de tessons (ça c'est à Sarcelles) ou de bouteilles ou de poings américains (ça c'est dans le Bronx).

Mais il n'abandonnait toujours pas, et pour réunir plus de fond, il commença, grâce à un petit truand rencontré dans les banlieues avignonaises, à dealer, de l'héroïne à la cocaïne en passant par le valium.

"Ainsi, je comblerai les attentes des enfants comme celles des toxicos", se rassurait-il souvent.

Au début, Papa Noël avait bien du mal à percer dans ce travail. Il n'avait aucune notion du prix du gramme de shit, ignorait la différence entre crack et marijuana (ce qui créa quelques problèmes chez les clients adolescents débutants), et se faisait forcemment abuser par quelques accrocs peu scrupuleux. Mais il apprit assez vite, et devint un gros bonnet international, concurrençant au que passage Tony Montana. Il retrouva alors le sourire, sa fortune était refaite.

Oui, mais qu'en était-il de ses bonnes intentions, de son rêve, de ses belles ambition ? Le Père Noël les avait quelque peu oubliées. Mais le départ de la Mère Noël l'avait tellement blessé qu'il préférait oublier tout son passé.

Puis lui vint une formidable idée :

- Me revoilà riche et puissant. De plus, des centaines de personnes me sont si gentiment dévouées, qu'elles seraient prêtes à sucer un homme pour cinq dollars. Qu'est ce qui pourrait bien m'empêcher de récupérer ma femme des griffes du méchant patron de Coca Cola et couvrir les enfants de cadeaux avec l'argent de la drogue ?

Alors un beau jour, le Père Noël défonça la porte de la demeure de Mr. Coca Cola, qui était devenu un homme vieux et fatigué (et accroc au Jack Daniel's, ce qui est un comble pour un patron d'une marque de soda). Ses hommes, armés jusqu'aux dents, se tenaient juste derrière lui.

- Regarde toi, et regarde moi : tu n'es pas en position de refuser. Rends moi ma femme, et aucun mal ne te sera fait.

Terrifié, le vieillard s'executa, impuissant. La Mère Noël rejoint alors son ancien amour, tout en réalisant qu'elle n'était décidément pas u bon exemple pour toute femme qui se respecte.
Avant de partir, le Père Noël demanda une dernière faveur au patron de Coca Cola :

- Et pendant que t'y es, si t'as pas envie de t'prendre une balle dans la tête, file moi ton bizzness.

L'ancien patron n'eut pas trop le choix, et céda toutes ses parts au Père Noël. Il mourrut vieux, seul, comme un con.

Et c'est ainsi que le Père Noël reprit son activité, à savoir gaver les enfants comme des oies chaque fin d'année, tout en continuant son métier de trafiquant de drogue. Il devint l'emblème de Coca Cola, et décida de ne s'habiller qu'en rouge.

La morale de cette belle histoire, c'est que on ne fait pas ce qu'on veut de sa vie, à moins de se courber pour présenter sa croupe aux plus puissants que soi. Et la deuxième morale, c'est que quoi qu'on fasse, Coca Cola nous baisera.

Alors surtout, SURTOUT, gardez une attitude positive, et souriez jusqu'à c'que mort s'en suive !
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 28 Fév - 19:35

« La main à charrue vaut la main à plume. »
Rimbaud.



14h52, il est de ces jours où l’on voudrait mourir. Mourir d’épuisement, de solitude, ou que sais-je encore…Mourir pour ne plus subir, ne plus rester penché, abruti comme une bête de somme, pour un boulot qui ne laisse place au repos que dans l’achèvement d’une journée qui vous a éreinté, bon, pour aller vous coucher. Voyez-vous l’image de ce champ de blé baigné dans une lumière prégnante ? Imaginez-vous ce soleil frappant, qui, inconditionnellement vous attache à votre labeur sans pour autant raccourcir vôtre douleur ? Bien sûr que non suis-je bête…vous ne pouvez pas connaître…Loin de moi l’idée de vous juger, après tout, on est ce que l’on vaut…Je ne dois être qu’un idiot que l’on utilise qu’à des fins pratiques. « Récolte-moi ça plus vite ! Abruti… » une rengaine maintes et maintes fois entendue, au final, ça vous rentre dans la tête ce genre de bêtises. De l’intoxication, voilà ce que c’est, de l’intoxication psychologique qui me pousse à croire que mon malheur, je l’ai mérité ! Mais, ah, NON ! Ce temps là est révolu ! Je vais m’affairer pour montrer à cette bande d’incapables intellectuels que « Travail de la terre » ne rime pas avec « crétin bon à rien faire ».


- J’ai rédigé un papier hier, je voudrais vous le lire pour que vous compreniez un peu mieux mon état d’esprit…
J’avais regroupé dans le vieux préfabriqué insalubre qui nous servait de réfectoire, une centaine de camarades à moi. Hommes, femmes, il n’y avait aucune différence entre nous, de simples paysans, voilà comment le reste du comté nous percevait, et c’était bien à partir de là qu’il fallait commencer pour éradiquer le problème. Comme mes camarades étaient affaiblis, de part l’idée terriblement critique que les « érudits » leurs renvoyaient d’eux-mêmes, il fallut que je leur lise mon mot…

- Hum ! Hum ! Mes chers, très chers camarades ! Cela fait bientôt vingt ans que nous travaillons cette terre. J’ai l’honneur de vous annoncer que le fruit de nôtre labeur, fait vivre la totalité de la population, à deux cent kilomètres à la ronde.
Des hourras s’élevèrent dans la salle, faisant par la même, trembler le sol.
- Ne vous réjouissez pas si vite mes amis, car si je suis ici parmi vous, en cet après-midi pluvieux, ça n’est pas pour que nous nous congratulions mutuellement, comme savent si bien le faire les « érudits », mais pour que nous prenions en mesure, l’absence de reconnaissance dont cette population, je vous le rappelle nourrie par nos soins, nous fait part !
Le silence commençait à devenir pesant…Ne comprenaient-ils pas l’importance des propos que j’étais en train de tenir ? Malgré tout, je continuais, sachant pertinemment qu’il faudrait que je recèle d’idées plus novatrices les une que les autres, pour, d’abord les convaincre, et ensuite les aider à s’insurger.
- Il est vrai qu’ils nous payent, mais faut-il que nous acceptions de perdre nôtre estime au profit d’un salaire ? Je ne le crois pas, et d’ailleurs, je vais vous dire le fond de ma pensée : je crois que vous ne le croyez pas !
Ils commençaient à rire et moi, je perdais simultanément tous mes moyens. Mais enfin, que se passait-il dans leurs esprits ? Les « érudits » avaient-ils finalement réussi à leur faire avaler qu’ils étaient bêtes ? Non, je ne voulais pas y croire, je lâchais mon papier et continuais mon discours, coûte que coûte…
- Ah ! Je vous vois rire ! Est-ce l’accablement qui vous fait agir ainsi, ou alors, peut-être croyez-vous réellement à cette idée néfaste d’une bêtise héréditaire ? D’un abrutissement mérité ? Ne pansez plus vos plaies par un dogme morbide, vous valez beaucoup mieux que ce miroir sali, qui renvoie à vos yeux une image dépolie. « L’érudit » veut se faire un être supérieur, mais il en est plus d’un qui a perdu son cœur…
Mais que se passe t’il ? Pourquoi est-ce que je ressens le besoin de parler comme ces infâmes manipulateurs ? Ce langage châtié plein de figures me donne envie de tuer la langue. Tout ça n’est que mensonges et ils le comprennent bien d’ailleurs car la salle se vide, les hommes forment une nuée distincte qui mène vers la sortie, et je me retrouve seul face à moi-même, incapable de les rappeler à nôtre vérité car déjà trop imprégné par leur réalité.
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyJeu 19 Juil - 19:30

Suze & Jules


Suzie voudrait devenir mannequin tandis que son frêre Jules bulle, bois de la suze y compris tout c'qui tombe sous sa main
Leurs parents n'existent pas à temps plein, Suze & Jules vivent en libertins

Jules n'est pas aisé mais assez rusé pour abuser des coeurs usés

Suzie dit que rien ne lui suffit ceci dit elle sucite la convoitise des plus aigris

L'ambition dévore Suze, son flouze part dans des moon boots argentées elle rêve de paillettes et de soirées dévergondées, des potes stylés bien habillés d'la Jet Set privée

Jules ne se soucie guerre du materiel et des starlettes, il opère pour une vie péperre qui consiste à se démonter la tête


Qui a raison qui a tort ?
Qui est l'dernier qui s'ra mort ?


L'un n'essaie pas l'autre foire à chaque fois
Elle peine à la surface et lui se noie

Suze est crevée, elle bûche pour y croire, pense à sa mère partie un soir en porte jartelles sur le trottoir dans un bordel où il fait noir

"Comptez sur moi pour ne pas en venir là... Maman je n'suis pas comme toi..."

Jules défoncé s'extirpe du canapé plus assoiffé qu'un après midi d'été
Sa journée a mal commencé, il deteste avoir à se relever pour tirer le rideau sur un ciel ensoleillé,

Ses yeux fragiles et éblouis ressemblent à un souvenir enfouis,
Celui de son père baissant les yeux trop honteux pour avouer qu'avec le feu il a joué quant il a décidé d'engrosser sa soeur prostituée


Les sangs nobles se sont mélés
Deux âmes tristes sont enfantées


Jules cherche une veuve fortunée à séduire pour assouvir ses rêves de cuir ainsi que son porte monnaie... Il vit au crochet de naïves éplorées, les scrupules ne peuvent même pas l'effleurer

"Telle mère tel fils" songe Suzie... "Mon frêre n'recule devant aucun vice pour s'payer un fix ou un whisky"

Suzie hait sa mère... Suzie est amère, son coeur n'est qu'un tissus de blessures issues d'amours déçus. Les hommes la font rêver pour passer dessus.

Envieuse envers son frêre qui prospère sans effort, Suze et sa carrière sont au point mort, Jules vend son derrière et roule sur l'or, Suzie se fait rouler par des porcs.

La jalousie ronge Suzie, Jules gigolo prend sa soeur de haut

"Je m'en sors seul et sans maccros... Toi soeurette, tu es au point zéro... Tes amis te tournent le dos, veux tu que j'te prête quelques euros ?"

"Enfant de putain... Toi et ton air hautin... Suivez la trace de mère et de son turbin, fais le tapin, salie toi les mains et reste loin"


Les deux consanguins s'engueulent
Leur oncle s'retourne dans l'cercueil


Suzie saisit son fusil pour rendre visite à sa tatie ou bien sa mère, Suzie oublie. La responsable de ses soucis est à sa merci.

Arrivée sur le pallier elle matte une scène folle à lier, son cousin/frêre et sa tante/mère semblent s'hypnotiser. On dirait deux putes en rut dont le but est de baisser leur fut. Suzie fûtée semble percuter : ces deux là vont copuler.

"Mon frêre serait mon cousin et mon beau père couchant avec ma tante cousine et mère, leur projéniture serait ma nièce ma soeur ma belle soeur ma..."

Boum, boum, boum. Suzie a perdu la boule, boule, boule.

Elle a collé une balle dans le corps de ce qui restait de sa famille. Elle les a laissé pour mort, elle a visé dans l'mille.

"Les pervers iront en enfer, leur sort m'indiffère... Mais père ne mérite pas cette galère"

C'est pourquoi Suze déterre le vieux pour y coller les deux merdeux libidineux, puis enlace le corps moisis décharné et rabougris du paternel depuis longtemps endormi.


"On ne s'quittera plus jamais
Papa, je t'aime comme tu es"


Dernière édition par HeLiuM le Mar 24 Fév - 17:15, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 26 Mar - 3:15

Voilà, je balance ! What a Face Je tiens à (sûrement) le présenter (maisons d'édition pour enfants), n'hésitez donc pas à m'envoyer vos réactions !

Merci à Fildarm pour les relectures et les mises au point.

Et, bien évidemment, ce texte est dédié. Je n'en dirai pas plus. Wink





Les petites aventures d'Esther





Esther reçut, pour l’anniversaire de ses huit ans, un petit conifère planté soigneusement dans un pot d’argile. Tandis que sa mère terminait son gâteau, elle fila dans sa chambre choisir la place adéquate pour son arbre. Lorsqu’elle l’eut calé entre deux grandes boîtes de jouets, tout juste au-dessous de sa fenêtre, elle s’allongea en retroussant sa robe jusqu’à sa taille. Et la tête posée sur ses mains, elle entreprit une conversation avec lui qui, au bout du compte, était loin de la surprendre.
- Ta place te plaît ?
- Bien sûr, répondit-il, espèce de paillasson détrempé !
Bien entendu, Esther ne le prit pas mal et décocha un petit sourire en forme de croissant. De la pointe de son doigt, elle caressa ses feuilles de manière très câline.
- Pourrais-tu ouvrir la fenêtre ? L’air me manque déjà, et j’entendrais mieux ce qu’on me murmure dehors.
Esther poussa très fort sur ses orteils pour atteindre la poignée et tira la fenêtre d’environ trois pouces de longueur.
- Encore quelque chose, Monsieur Grognon ?
- C’est exactement mon nom, ça tombe bien ! Si tu pouvais simplement approcher la lune de quelques pas, ça me rendrait un bien grand service ! Je n’y vois plus rien, avec toutes ces lampes allumées.
Elle se leva d’un bond et courut les éteindre. Quant à la lune, elle ne l’avait jamais fait, aussi, elle resta plantée debout pour réfléchir à la façon de l’apprivoiser. Une lune, ça ne s’approche pas comme ça, mais il suffit de quelques minutes d’attention pour la flatter. Esther s’assit en tailleur, la regarda bien droit dans les yeux, et bientôt, celle-ci devint toute rouge. Sous le coup de l’émotion, elle se laissa tomber un peu en avant, mais se rattrapa, fort heureusement, juste avant de se cogner contre la Terre.
- Ca sera tout ?
Monsieur Grognon secoua ses branches et se mit à ruminer dans ses racines. Puis il redressa son tronc et prit un air très grave.
- J’entends parler à ton sujet. Ils semblent attendre ton retour, et me demandent de te demander si tu pourrais aller faire un brin de causette avec eux.
- De qui parles-tu ?
- Des hêtres. La liaison est difficile, mais tu y arriveras. Ils t’attendent dans la rue. Ou du moins, ce qu’il en reste.
Esther se tourna vers la lune, qui lui fit un clin d’œil. Rassurée, elle sauta sur ses deux pieds, enfila ses deux chaussures et s’enroula une petite écharpe en laine autour du cou. Après avoir fait ses adieux à son nouvel ami, elle passa devant la cuisine à pas feutrés, pour ne pas déranger sa mère. L’odeur qui se dégageait du four sentait rudement bon. Elle referma la porte d’entrée sans un bruit, descendit ses escaliers et sortit de son immeuble.

Dehors, les murs poussaient des cris d’étouffement, les lianes qui les étranglaient poussaient de longs soupirs de soulagement. Toute la flore qui organisait sa petite révolution se tut soudain et dévisagea Esther.
- Qu’est-ce que vous avez, tous, à me regarder comme ça ?
- La Reine ! , s’écria une jeune pousse, et tous ceux qui en avaient la force se courbèrent devant elle.
- Il paraît que vous avez demandé à Monsieur Grognon de me demander d’aller vous parler. Alors, je vous le demande, qu’est-ce qu’il y a ?
Un jeune gland dont les pattes n’avaient pas fini de pousser roula jusqu’à elle, et propulsé par un caillou solidaire, atterrit sur son épaule.
- Vous devriez aller au square. Des choses étranges s’y passent, et nous avons très peur d’elles.
Esther acquiesça et le gland se blottit dans son écharpe. Elle connaissait son quartier comme sa poche, mais la forêt qui s’était installée dans la ville rendait la chose plus périlleuse. La lune essayait de se frayer un passage dans les feuillages, et commençait à se transformer en carré à force de ne pas y arriver. Il faisait sombre, et Esther n’aimait pas trop le noir. Mais elle entendit une petite voix dans son cou lui chuchoter :
- Ne vous inquiétez pas, nous sommes avec vous ! Vous ne craignez rien, et de surcroît, je suis à vos côtés !
Elle appréciait rendre service, aussi, elle prit un peu d’élan, décida de s’enfoncer dans les broussailles et de se diriger vers le square. Tout le long du chemin, elle put entendre quelques grillons lui chanter leur répertoire de chansons. Bientôt, elle aperçut les grilles et l’entrée, une cordée de lampadaires indiquaient un chemin de graviers.

Elle le parcourut longuement et ses genoux commençaient à enfler de fierté, tant ils se trouvaient robustes. Au bout d’un certain temps, au détour d’un tournant, elle tomba nez à nez avec un grand monsieur. Il se tenait droit dans sa redingote, se reposant sur une grande canne sertie d’un pommeau en ivoire. Il portait un chapeau haut de forme et se titillait la moustache. Il semblait impatient. Lorsqu’Esther lui tapota l’épaule, comme pour le réveiller d’un long sommeil, il effectua une galipette arrière pour se pencher en avant jusqu’à ce que ses narines puissent humer l’air frais à ses pieds. Il se releva, et tout en claquant des doigts, chuchota :
- Vous voilà enfin, ma Reine ! Faisons vite, avant que d’autres n’aient l’idée de me prendre ma place. La concurrence est rude, ici ; je suis fier d’avoir pu vous trouver en premier ! Prenez place !
Une charrette tirée par une vieille chèvre sortit des buissons pour s'arrêter devant eux. Sur l’animal était juché un homme avec un blouson en cuir, un petit béret, fumant la pipe. Esther, le gland et l’homme s’installèrent très confortablement, le convoi partit sur le chemin. Le monsieur se tourna alors vers elle et lui fit ses présentations.
- Je suis le Baron Rondetable, ravi de vous servir ! , dit-il en tendant sa main.
- Je m’appelle Esther, répondit-elle en l’empoignant légèrement.
Sur l’instant, elle ne prit pas la peine de présenter son petit accompagnateur, qui se blottissait toujours dans son écharpe. De toute manière, le baron ne l’avait pas remarqué, et Esther pensait qu’il se fichait bien de connaître son existence.

Aussi vite que des sabots de chèvres peuvent le permettre, ils arrivèrent à la demeure Rondetable. Elle se trouvait perchée au haut d’une petite colline herbeuse et ressemblait à un modeste manoir de campagne aux teintes violacées. Un sapin de taille moyenne jouait au bras de fer avec le toit et la lune était réapparue. Le baron l’invita poliment à patienter sur le palier, afin qu’il puisse préparer le thé en paix. A cet instant, le sapin qui en avait enfin décousu de son rival, attira l’attention d’Esther en lui picotant les aisselles.
- Monsieur Grognon !
- Prends garde ! , répondit-il, ce baron ne m’inspire aucune confiance.
La lune acquiesça, et Esther en fronça les sourcils. Mais le toit, loin d’être lassé, demandait déjà sa revanche. A cet instant, le baron interpella son hôte pour boire le thé. Les tasses étaient soigneusement posées sur une petite assiette argentée, et deux chaises ronchonnaient autour d’une table endormie. Celle-ci ronflait bruyamment, le baron dut lui asséner un coup de canne pour la tirer de ses rêves de tiroirs. Très vite, un majordome en petit veston se hasarda dans une valse qui lui était, à l’évidence, totalement aléatoire. Après avoir buté sur le coin de la table, ce qui lui valut quelques remontrances de sa part, il versa le thé dans la tasse d’Esther. Il fut rapidement arrivé au bord, mais il ne semblait pas vouloir s’arrêter, sûrement était-il distrait par de nouveaux pas de danse qui lui passaient entre les deux yeux.
- Merci, merci ! , prévint Esther.
Mais il ne s’arrêta point de verser, et la table commença à fulminer.
- Oh, j’avais oublié ! , intervint le baron. Merci est son nom. Si vous souhaitez le « remercier », mieux vaut l’insulter, telle est la règle ici, pour tous ! Et ne vous inquiétez surtout pas, il le prendra très bien, il est de bonne famille, dit-il en lui lançant un clin d’œil.
Esther chercha longuement quoi lui dire, tandis que la table gémissait comme une marmotte qui aurait bu trop de café.
- Espèce de paillasson détrempé !
Merci sourit aimablement, puis retourna aux cuisines avec la théière, il n’en restait apparemment plus une goutte. Le baron se lança alors dans une récitation ennuyeuse d’un vieux poème qu’il avait appris à l’école. Durant ce triste récital, Esther ressentit quelques chatouilles dans son cou. Les bras et les mains du gland avaient enfin pris forme, il souhaitait lui toucher quelques mots. Esther tendit l’oreille gauche et celle de droite décida de faire la sieste.
- Ne bois pas ce thé, il ne convient qu’aux adultes ; tu risques de t’endormir aussitôt !
Mais elle avait soif, et lorsque le baron voulut trinquer, elle ne put refuser.

Lorsqu’Esther se réveilla, un homme très barbu vêtu d'une jupe écossaise fit gémir sa chaise en se levant et courut prendre de ses nouvelles.
- Vous allez bien ?, dit-il, inquiet.
- Oui, j’ai plutôt bien dormi, merci, dit-elle, puis, en se reprenant : excusez-moi… Vieille bidoche décousue !
L’homme sourit aimablement, puis s’assit à sa hauteur. Esther regarda tout autour d’elle, un énorme tuyau débouchait dans la pièce, plusieurs cageots étaient entassés dans un coin.
- Je suis votre garde, ma Reine, et mon nom est Ciel-D’Hiver !, annonça l’homme en bombant son ventre.
- Parfait !, dit-elle, lui tapotant l’épaule. Maintenant, j’aimerais peut-être sortir d’ici, si vous le voulez bien.
Ses pieds commencèrent à lancer des acclamations, et le garde leur fit signe de se taire pendant un moment.
- Je suis navré, ma Reine, j’ai pour ordre de vous garder ici. Ne vous méprenez pas, cela m’ennuie. Vous vous trouvez au plus profond de la Grande Tuyauterie, mais si ça ne tenait qu’à moi, je préférerais vous savoir en sécurité, en haut.
Mais à cet instant précis, un autre garde creusa un trou à la pelle dans la porte, et tomba d’épuisement. Juste avant de rendre l’âme, il agrippa fermement les deux mollets de l’homme barbu.
- Il neige !
Ciel-D’Hiver en avala quelques poils et se jeta sur les cageots.
- Venez m’aider, ma Reine ! Rapidement, si vous ne tenez pas à être englouti par les flocons !
Esther s’approcha du monticule pour ouvrir un des cageots. Une foule de petits hommes mesurant environ un épis de blé coupé de moitié en sortirent. Ils portaient un élégant costard repassé, une cravate, soutenaient de légers sacs en tissus, et se ruèrent dans le tuyau en formant une pyramide. Quelques flocons de neige se posaient déjà délicatement sur le rebord.
- Ce sont des Agréés Pétaradants. Observez plutôt !
Ils sortirent des sacs des petits bouts de pétards et lancèrent des feux d’artifice pour empêcher la neige de leur refroidir le nez. Ce fut un joli spectacle. Esther voulut en faire profiter son ami le gland, mais lorsqu’elle le chercha dans son écharpe, celui-ci avait disparu. Elle voulut partir le chercher, peut-être était-il tombé, mais Ciel-D’Hiver la tira par le col pour la faire grimper sur ses épaules avant de sortir de la pièce comme une fusée mal allumée.


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 26 Mar - 3:16

Tous les deux zigzaguaient dans les conduits, et très vite, Esther en eut le mal de l’air.
- Où allons-nous ?, dit-elle, mon estomac essaie de débouchonner mon nombril, et si ça continue, il va exploser !
Ciel-D’Hiver s’arrêta et souffla si fort d’épuisement que le tuyau dans lequel ils se trouvaient fut bientôt noyé dans un nuage de brouillard. Esther en profita pour descendre de ses épaules ; elle attendit que Ciel-D’Hiver puisse ravaler tout ce qu’il avait expiré. Mais lorsque ce fut chose faite, le Baron Rondetable et son serviteur Merci barraient leur chemin en jouant aux échecs sur une table basse.
- Vous m’avez l’air pressés, dit le baron d’une voix grave, sans détourner son regard de l’échiquier, vous devez prendre le train ?
- Nous fuyions les flocons, Baron, intervint Ciel-D’Hiver, tout regonflé qu’il était, et pour tout vous dire, je ne sais pas vraiment où nous allions.
- Oui, encore un coup de ses amis d’en haut !, dit-il en haussant la voix. Et il se retourna vers Esther : à ce propos, je l’ai coupé en rondelles, votre sapin, il commençait à prendre trop de place dans mon jardin…
Esther fit craquer tous ses doigts tellement fort que certains jouèrent à faire semblant d’être morts. Le baron en décocha un sourire quadrillé noir et blanc et fit signe à Merci de la main qui sortit une théière bouillonnante de son pantalon.
- Encore un peu de thé, ma Reine ?
La vapeur qui s’en dégageait fonça tout droit vers les narines d’Esther, qui, presque immédiatement, souhaitèrent de beaux rêves à ses yeux, ses oreilles et ses lèvres, ne trouvant finalement, rien de plus à ajouter.
Esther se réveilla dans les bras de Ciel-D’Hiver, qui lui fit signe de se taire sur le champ.
- Le baron discute avec ses amis, et j’ai cru entendre qu’ils souhaitaient attendre que vous vous transformiez en pain de mie, lui chuchota-t-il. Vous finiriez comme tous les autres qui travaillent à la Grande Machinerie, à colmater les fissures ! De surcroît, plus personne n’aurait besoin de croire en votre retour, et votre Cour s’en donnerait à cœur joie !
- De quoi parles-tu ?, demanda Esther, qui commençait à s’habituer à s’endormir aussi souvent.
- Nous devons partir ! Mon fils, Ciel-D’Eté, possède un grand voilier, dans les derniers sous-sols. Nous devrons passer par la grande salle, ainsi, vous comprendrez ce qui se trame.
Esther acquiesça, et tous deux s’enfoncèrent dans de petits escaliers perturbés par leur manie de tourner en rond.

Ciel-D’Hiver ne cessait de regarder derrière, sûrement avait-il peur d’être pourchassé par la bande du Baron. Au bout d’un nombre de tuyaux qu’ils avaient oublié de compter, il posa Esther sur ses pieds et lui dit :
- Nous arrivons aux ateliers de la Grande Machinerie. Faites-vous la plus discrète possible, mais surtout, regardez bien autour de vous !
Ils poussèrent à deux une lourde porte en métal et se faufilèrent dans une pièce gigantesque. Plusieurs grandes machines compliquées étaient reliées à de grands tourniquets. Des bouts de ficelles y attachaient les cheveux de petits bonhommes à l’air tristes qui, à force d’avancer et de faire tournoyer les manches, avaient le front tout lissé. Certains étaient tellement étirés qu’ils tombaient par terre et se transformaient en tartines beurrées. Esther et Ciel-D’Hiver se collèrent contre le mur à la vue de Merci qui les ramassait pour les allonger sur un vieux plateau en or plaqué. Mais il était tellement concentré par son travail qu’il ne les avait pas remarqué. Très vite, les deux compagnons se dirigèrent vers la sortie et continuèrent à descendre les escaliers.
- Il les apporte pour le goûter du baron, et parfois, quand il n’a plus faim, il s’en sert pour réparer les tuyaux brisés. Vous comprenez ce qui vous attendait, maintenant ?, demanda Ciel-D’Hiver.
Esther acquiesça et déglutit un peu trop fort, ce qui lui valut quelques douleurs au ventre.
- Nous arrivons au dernier sous-sol. Si je me souviens bien, mon fils devrait s’y trouver, avec son équipage. Nous serions sauvés !
Ils débouchèrent dans une bassine géante, des arrosoirs pleuraient, le bec plongé dans l’eau, et au centre, un grand voilier se reposait. Ciel-D’Hiver fit des grands signes dans sa direction, c’est alors qu’une barque sortit de l’eau brusquement en criant, juste devant eux. Elle était d’humeur blagueuse, mais Esther et son ami furent escortés sans mal jusqu’au bateau, tandis que leur petite embarcation ne pouvait s’empêcher de rire, tant elle était fière de l’effet de surprise qu’elle avait su provoquer.

Lorsqu’ils furent arrivés sur le navire, un jeune homme, dont le mince corset blanc dénoué laissait apercevoir quelques petits poils sur son torse, les accueillit en ouvrant ses bras.
- Papa, quelle surprise !, dit-il, et il se pencha vers Esther : ma Reine, ravi de pouvoir vous compter parmi mon équipage. Je vous souhaite la bienvenue dans ma modeste cachette ! Personne n’ose venir ici, ils ont bien trop peur de se mouiller !
C’était Ciel-d’Eté, et quand son père eut terminé de lui raconter leurs mésaventures, il ne fut pas surpris et répondit :
- Je suis au courant, votre petit ami m’a déjà tout raconté !
Il fouilla dans sa poche, afin d’en sortir le gland, quelques petites feuilles commençaient à sortir de sa coque. Il sauta très fort sur ses deux pattes et s’élança vers le cou d’Esther pour se réfugier dans son écharpe.
- Les esclaves de la Cour sont déjà en train de déforester, tout en haut, reprit Ciel-D’Eté. Je pense qu’il est temps de remonter !
Il tourna sur lui-même et cria :
- Equipage, en avant !
- Mais il n’y a personne, ici !, l’interrompit Esther.
A cet instant, toutes les parties du bateau, des voiles jusqu’à la proue, se mirent à rire gentiment. Les mâts se couchèrent à la surface de l’eau et le jeune homme coura à la rambarde.
- Suivez-moi, dit Ciel-D’Hiver, nous devons l’aider à souffler, si nous voulons partir.
Et tous soufflèrent en tous sens. Une fois bien organisés, le voilier décolla pour de bon pour se mettre à voler et à planer à travers les conduits. Très vite, ils se trouvèrent dans le tuyau central de la Grande Tuyauterie, et ils n’eurent qu’à monter tout droit pour sortir à l’air libre.


Dehors, il faisait toujours nuit. La lune ne put s’empêcher d’éclater en mille morceaux, remplissant le ciel de milliers d’étoiles, tant elle était heureuse de les revoir. Le navire se posa calmement, tout juste devant le manoir Rondetable. Lorsqu’ils furent descendus sur le palier, le baron et Merci, qui tenait sa théière encore brûlante, ouvrirent la porte, les prenant par surprise.
- Vous revoilà enfin !, lança-t-il. Mais il est trop tard, à présent, voyez par vous-même !
De grosses chenilles poilues mangeaient les troncs d’arbres les yeux écarquillés, et trouvaient même le temps de faire quelques claquettes sur l’écorce.
- Je n’aurai enfin plus de problème de saisons !, reprit-il. De plus, ces racines commençaient à m’agacer, tout mon domaine souterrain était sur le point de s’écrouler, vous vous rendez compte ?
Merci approuva, en parfait majordome qu’il était, mais Esther devint aussi rouge qu’une cerise qui aurait passé trop de temps à l’ombre. Elle prit toute la respiration qu’il fallut, arracha la théière des mains de Merci et s’avança vers la forêt.
- Vous ne pourrez rien faire !, lui rappela le baron, les chenilles, c’est connu, ça pique !
Mais Esther les décolla une par une des troncs et les jeta tellement vite dans la théière, qu’elles n’eurent même pas le temps de protester les faits. Aussitôt, elles s’endormaient profondément dans le thé qui en toussait de dégoût. Ciel-D’Hiver et Ciel-D’Eté en rirent tellement fort, que le baron et Merci durent en fermer leurs oreilles. Ils rentrèrent chez eux sans que personne ne s’en rende compte. Mais à cet instant, plusieurs dizaines de rondins de bois roulèrent d’on ne sait où, se redressèrent, puis sautillèrent jusqu’à la porte pour la bloquer définitivement.
- Bien, être coupé en rondelles n’est peut-être pas forcément une mauvaise chose !, dirent-ils en sifflant joyeusement.
Esther, qui en avait terminé avec les chenilles, reconnut la voix de Monsieur Grognon et revint vers ses compagnons.
- Vous revoilà enfin !, dit-elle, vous me manquiez !
- Oui, je m’en doute !, lui répondit-il. En tout cas, je te remercie de nous avoir sauvé !
- Un retour de la Reine en beauté !, reprit Ciel-D’Eté. Et me concernant, je m’en vais reprendre le large ! Il y a encore les esclaves à libérer !
Il se courba très bas devant elle et s’en retourna à son voilier. Quant à Ciel-D’Hiver, il serra très fort Esther, tout ému qu’il était. Il ne put rien ajouter, ses lèvres commençaient à chavirer, et après lui avoir fait un dernier signe d’adieu de la main, il accompagna son fils au navire.
- Eh bien, je pense qu’il est temps pour toi de rentrer, intervint Monsieur Grognon, qui était parvenu, de son tronc divisé, à le chanter en canon. Ta mère doit sûrement s’inquiéter !
Esther sourit et lui donna une dizaine de bisous, ce qui, en somme, fut assez long. Lorsqu’elle avança sur le chemin de gravier, elle entendit son ami lui crier :
- Et… Merci !

Esther retrouva sa maison sans difficulté, les étoiles qui scintillaient lui éclairaient la bonne voie en se faufilant dans les branches. Lorsqu’elle fut enfin devant, elle regarda une dernière fois la forêt qui se dandinait de gauche à droite, puis elle rentra chez elle, monta les escaliers, ouvrit sa porte d’entrée sans un bruit, passa devant la cuisine à pas feutrés… L’odeur qui se dégageait du four sentait rudement bon. Dans sa chambre, Monsieur Grognon n’était, bien évidemment, plus dans son pot. Mais une petite voix lui chuchota dans l’oreille :
- Tu n’as qu’à me planter à sa place, il faudra bien que je pousse un jour !
C’était son ami le gland, qui n’avait pas bougé de son écharpe. Elle le prit soigneusement dans sa main et l’installa entre ses deux grandes boîtes de jouets. Elle le recouvrit à moitié de terre, puis lui demanda :
- Ta place te plaît ?
Mais il s’était endormi, sûrement bien trop fatigué par toutes ces aventures. De toute manière, sa mère ouvrit la porte et l’invita à venir à table.
Lorsqu’Esther s’assit, elle trouva dans son assiette quelques tartines beurrées qu’elle s’empressa de mettre de côté. Sa mère apporta sans plus attendre son gâteau avec quelques petits cadeaux. Et toute réjouie qu’elle était, elle ne put s’empêcher :
- Espèce de paillasson détrempé !




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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 29 Avr - 19:47

After Hours

M. Rodriguez était une bonne connaissance. Je l'ai vu pour la première fois dans un bar où il draguait une bande de jeunes adultes que ça semblait amuser. Son attitude pouvait surprendre, voir mettre mal-à-l'aise. Il mentionnait sa pédérastie dans toutes ses phrases. Il buvait beaucoup mais ne semblait jamais ivre, il connaissait toute la ville. J'ai sympathisé avec lui alors qu'il me draguait. On me l'a dit plus tard, car je ne m'en étais même pas rendu compte.

C'était une bonne patte. Il offrait toujours des verres, ou des pliages de sa confection, c'était son art. Il se servait de ça pour montrer son affection. Il en a fait livrer tout un panier à ma sœur un jour, en toute innocence, bien sûr. Tout le monde ne l'aimait pas, bien sûr. Trop excentrique. Son nom était synonyme de débauche dans ma ville. Je m'en foutais, moi et ma bande, on l'aimait bien. On n'irait sûrement pas passer la nuit chez lui, mais on se marrait bien avec lui.

Une nuit où je rentrais de soirée avec quelques-uns de mes amis, des flics nous ont arrêtés. J'ai eu des sueurs froides, parce que j'avais bu, et j'avais pris des choses, sous l'impulsion de mes camarades. Et eux, leurs poches n'étaient pas vides. Je flippais tellement que ce n'est que plus tard, une fois tous mes potes embarqués, que je me suis rendu compte que les deux agents étaient jumeaux.

Bruns, les yeux verts, grands, un gros pif, une taille fine, de belles dents. C'était les mêmes. Je n'ai pas été embarqué, je ne sais pas pourquoi. Je suis probablement plus malin que mes potes. Indifférent, je suis rentré chez moi pour dormir.

Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus depuis, ils n'ont pas réapparus.

Je regarde à la fenêtre de ma chambre, qui donne sur une petite ruelle. Les nuits sont calmes dans ce coin là. Souvent la voisine d'en face s'envoie en l'air avec des mecs, différents à chaque fois. Je compte bien y passer un de ces quatre. Blonde, les yeux bruns, un visage sans défaut, un corps de pute de luxe. Elle a la quarantaine, probablement. Je suis un peu jeune, c'est vrai, mais avec elle, visiblement, tout le monde peut y passer. Elle n'a pas l'air très regardante. Et puis, y'a pire que moi.

Alors que je scrute sa fenêtre, j'entends une voix familière en bas. Je baisse les yeux et aperçois M. Rodriguez, je savais que je connaissais cet accent. Espagnol, j'imagine. Il parle avec des agents. Il a l'air assez guilleret, il doit probablement sortir du Wheel & beer, un des bars des alentours, où il passe le plus clair de son temps. Je ne sais pas pourquoi il parle à des flics.

Il leur raconte qu'il y a eu une bagarre ce soir. Un travesti a sorti un cran d'arrêt et l'aurai planté dans la gorge d'une "garce prétentieuse". Je ne fais que reprendre ses termes. Ca s'est passé dans une boîte de nuit, dont je ne parviens pas à entendre le nom.

Je relève la tête vers l'étage d'en face, et elle est là. Mais cette fois, elle ne baise avec personne. Elle est à la fenêtre aussi, et elle me regarde. Mon sang ne fait qu'un tour. Elle sourit, elle me sourit. Je le lui rends, du mieux que je peux. Ca a l'air de lui plaire. Je ne porte rien d'autre qu'un caleçon, alors j'essaie de bomber le torse pour mettre en valeur mes pauvres pectoraux. Alors que M. Rodriguez continue à parler, de plus en plus fort, je la vois pouffer de rire. J'espère qu'elle ne se moque pas de moi. Elle est en robe de chambre. Je voudrai avoir des pouvoirs télépathiques pour la lui enlever.

Elle l'enlève. Maintenant c'est elle qui bombe le torse. Elle me regarde encore. Je souris sans faire exprès. Le premier truc idiot qui me passe par la tête, je lui envoie un baiser de loin, tandis que la conversation en bas commence à s'envenimer sérieusement. Elle se caresse. Je ne tiens plus. Pour reprendre mon souffle un instant, je baisse les yeux.

Les deux agents ont cessé d'écouter Rodriguez. L'un lui coince la gorge contre le mur avec sa matraque, tandis que l'autre lui envoie un violent coup dans l'estomac. Et un second. Et un troisième. Un quatrième. Je suis tellement hypnotisé par la scène que j'en oublie la déesse qui me fait du gringue en face. Je relève la tête. Ouf, elle est encore là. Elle sort sa langue, suce ses doigts, se comporte comme une véritable star du porno sur le point de tourner. Mon excitation est légèrement altérée par le bruit du passage à tabac de Rodriguez. Elle me fait signe de venir la rejoindre. Ni une ni deux, j'enfile un T-Shirt, un jean's, et je fonce dehors.

La température est toujours agréable à cette période de l'année. Les étoiles sont nombreuses, j'ai soudain une âme de romantique. Alors que je me dirige vers la porte de ma future conquête, j'entends Rodriguez hurler à quelques dizaines de mètres du côté du parc fermé la nuit. Je continue mon chemin, et entends un cri plus strident encore. Je me demande si je ne devrai pas aller y faire un tour. D'ailleurs, je me demande aussi pourquoi les deux flics ont tabassé Rodriguez. Il est un peu provocant, mais loin d'être un véritable problème pour la voie publique. Mais en même temps, j'ai une déesse chaude comme la braise qui n'attend que moi. J'ai une libido de cannibale. Alors qu'un troisième hurlement retentit, je me dis que la déesse peut attendre cinq minutes. Je change de direction vers le parc.

Longeant les grilles ornées de gros pics dorés et aiguisés, j'arrive à la porte double permettant d'accéder à l'espace pour enfants, avec un toboggan, une balançoire et d'autres activités. En haut de cette double porte, il y a deux pics plus gros, plus aiguisés, et dorés eux aussi. Le long des grilles noires coule un liquide dont je distingue mal la couleur avec l'obscurité. Mais en voyant M. Rodriguez le dos empalé sur les pics, je devine que la couleur est rouge.

Il a les doigts écartés, la tête renversée. Le sang coule depuis une plaie béante au milieu de son corps et glisse le long de ses jambes, le long de ses bras, et le long se son visage pour s'échouer dans ses yeux écarquillés et sa bouche grande ouverte. Je remarque qu'il s'est rasé la moustache, ce qui lui donne un air un peu plus viril. Du coup, je ne pense plus à ma voisine. Je me retourne, et ironiquement, je me dis que je pourrais appeler la police.

Quant on parle du loup.

Les deux flics jumeaux, bras croisés, me regardent froidement. C'est peut-être les urgences que je devrai appeler. Enfin, de toutes façon, je n'ai pas pris mon portable. Je vais probablement avoir du mal à leur faire croire que je n'ai rien vu.

"Bonsoir, je dis.

- Bonsoir, ils répondent. Vous nous suivez s'il vous plait ?

- Pourquoi faire ? Je réponds

- Parce qu'on voudrai avoir des explications quant à se cadavre, ils disent.

- J'ai rien fais, c'est vous qui l'avez tué, j'ai dis sans réfléchir.

- Alors on voudrait s'assurer que tu gardes ta bouche fermée, ils concluent"

Dans la voiture de police, je me demande si ma voisine m'attend toujours. Je trouve assez comique d'être arrêté par des jumeaux. Ensuite, je me demande où ils m'emmènent. Sûrement pas au commissariat. Je me demande s'ils comptent me descendre. Je devrai peut-être penser à prendre la fuite. Manifestement, ces deux agents identiques en tout point ne semblent pas bien attentionnés.

"Vous allez me tuer ? Je demande.

Ils se regardent un instant, et ils répondent en même temps :

- On sait pas.

- Pourquoi vous avez tué M. Rodriguez ?

Ils se regardent un instant, et ils répondent en même temps :

- On sait pas."

Je repère le révolver du jumeau de droite, celui qui ne conduit pas. Dans sa poche revolver, relié par un fil métallique entouré de plastique noir, pour ne pas qu'il le perde. Je le saisis, avec la surprenante dextérité dont je peux parfois faire preuve, tout en espérant doucement que je ne vais pas être trahit par le cran de sécurité, comme cela arrive dans les films américains. Quand j'appuie sur la gâchette en pointant l'arme sur la tête du jumeau de droite, celui qui ne conduit pas, je suis tout de suite rassuré : le cran de sûreté n'était pas mit.

Le deuxième jumeau au volant freine la voiture subitement, tout en se rangeant sur le bas côté. Il se retourne vers moi, le visage éclaboussé du sang de son frère, et me regarde d'un air furieux. Je me dis que je pourrais le tuer aussi, mais ça ferait beaucoup en une soirée. Je lui dis, d'un air désolé :

"J'ai paniqué.".

Il regarde alors son frère, qui ne lui ressemble plus du tout. Il saisit son pistolet. Je me dis que j'aurai préféré passer la nuit avec ma voisine. En attendant qu'il ne me tue, je repense à elle, et me mets à imaginer toutes les positions dans lesquelles nous aurions put copuler.

Quant il détourne les yeux de son frère, il enfonce le canon sous son menton, me regarde, et tire. La voiture est maculée de sang, et mes vêtements aussi.

"Cette fois, c'est pas moi", je me dis dans ma tête.

J'entreprends de rentrer chez moi. Je ferai mieux de me changer, c'est pas avec ces fringues dégueulasses que ma magnifique voisine va coucher avec moi.

A suivre.


Dernière édition par HeLiuM le Jeu 29 Jan - 18:21, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyVen 2 Mai - 15:39

Leahpar's 115th Dream


Ah ouais quoi, putain ! Non, mais c’est vrai, Châtelet c’est un vrai dédale. Si tu connais pas ça comme ta poche, j’te jure, t’es dans la merde. Bah ouais, crois-moi, j’ai vécu. J’en ai fais l’expérience… Bah, écoute, euh, tu vois moi j’habitais la cambrousse. Dans un endroit où tu peux marcher des heures sans voir un peu d’bitume. Bon, tu peux croiser une ou deux biches et p’têtre un hérisson ou un papillon, mais les humains ils s’font plutôt rares dans la région… Ah ouais, mais j’avais soif d’aventures, moi. Je venais de lire euh Le Loup des mers là de Jack London… le mec, euh, le mec qu’a fait Croc Blanc, tu vois. Ouais ouais, lui. Enfin, bon et… donc, euh, voilà j’me r’trouve à Paris comme ça, tu vois, en plein mois de mai et c’était la première fois que j’foutais les pieds dans une ville de plus 150 habitants. T’imagines la gueule que j’tirais… J’comprenais pas, c’était euh, enfin, j’pouvais pas, quoi. Et j’m’en rappelle, hein. Bien. Très bien. J’revois les images et tout… Bah ouais… Carrément. Bref, j’continue mon histoire, quand même, on est là pour ça. Donc j’me r’trouve à Châtelet… je sais pas comment. Un vrai mystère, putain. Comme ça, ça fait un moment que j’marche dans des tunnels avec plein plein de gens et un moment j’vois écrit Châtelet en gros, là. J’savais vaguement qu’il fallait que j’prenne la ligne 7, la rose là… Bah à Opéra. J’devais m’rendre à Opéra… Parce que c’est à Opéra qu’y a l’opéra… Euh, c’est une grande grande salle de concerts où tous les plus grands groupes du rock y sont passés. J’crois qu’y a même eu Téléphone. Enfin bon, j’m’égare… Ouais, donc, pourquoi l’opéra… Pour trouver un prétexte pour monter dans la capitale, j’m’étais acheter une place pour voir les Stones qui passait à l’opéra. Ouais les Rolling Stones. Bah j’avais quand même payé ma place 590 francs. S’font pas chier ces connards. D’ailleurs j’me suis toujours demandé pourquoi sur la place y avait écrit :

Eugène Onéguine
Piotr Ilyitch Tchaikovski


C’était p’têtre le nom de leur dernier album. ‘Sont devenus psyché hein ces connards… Enfin je reprends. Donc j’finis par trouver une carte, enfin, un plan, avec tous les métros parisiens. Au bout d’une bonne demie heure j’finis par comprendre où je suis et où y faut que j’ailles et surtout comment. Ligne 7. La rose. Maintenant que j’avais mon itinéraire, fallait que j’trouve la ligne 7, la rose, où qu’elle était dans Châtelet. Parce que Châtelet, c’est le bordel. Y a des manouches en panchos qui joue de la guitare et du pipeau, y a des poulets, y a des putains d’touristes allemands et italiens, casse-couilles, et puis c’est le bordel, quoi. Y a des panneaux partout, des escaliers automatiques, des tunnels, des bifurcations, enfin, vas-y, comprends le fonctionnement… J’marche comme un dingue la tête en l’air pour scruter les panneaux, tu vois, j’bouscule plein d’enculés, ah ouais ouais. Y en a qui m’insulte, j’leur répond rapidement que c’est des connards, enfin normal. Et puis j’vois enfin le putain d’panneau avec écrit ligne 7 en rose dessus. J’en explose presque de rire… Nerveusement… Euh, donc j’prends la direction indiqué, mais c’est tellement l’bordel qu’au bout d’un moment y a plus de panneau. Ouais, comme ça… Alors moi j’me dis, si y a plus de panneau c’est qu’y en a plus besoin. Alors j’continue, tout droit, tout droit, j’descends des escaliers et tout. Et puis j’débarque enfin sur un quai. Mais ça avait pas l’air d’être la 7, la rose… Bah non, parce que cette ligne elle était violette. La 14. Mais moi j’étais fasciné. Y avait un métro à quai, des gens qui couraient pour l’attraper et puis j’regarde vers le premier wagon, et là… … Le choc, putain. Le choc. Ah ces enculés ! Pas d’chauffeur ! Non rien du tout. Pas d’chauffeur. J’me dis, ‘va arriver l’chauffeur, faut bien faire démarrer le train, z’ont pas courus pour rien ces enculés. Et puis, non… Ca sonne… Les portes se referment… Les deux portes parce que y a même des portes sur le quai… Paraît que ces pour pas que les gens se suicident. Hé hé. Comme quoi on vit pas heureux à Paris. Donc les portes se ferment et là cet enculé de métro démarre. Sans chauffeur. Comme ça. Putain, j’te raconte pas comme j’en pouvait plus. J’bavais presque. C’était dingue. Du coup j’en ai laissé passé plusieurs, c’était complètement dingue. Tu peux pas comprendre, faut l’avoir vu dans sa vie. Au moins une fois… Et ouais… M’enfin, j’ai pas passé ma journée à regarder les métros passés, je suis pas une vache quand même. Non, j’ai fini par monter dans le métro… Ouais, j’ai du en laisser passer quatre cinq. Fasciné j’étais… Donc, j’finis par monter dans le métro et j’me pose carrément face à la vitre de devant là où y aurait du y avoir un putain de chauffeur. T’imagines un peu le truc. J’faisais semblant d’être le chauffeur et tout, y a des gens qui me zieutaient bizarre, mais j’m’en cogne, j’étais comme un dingue, comme un morveux de 10 ans qui vient de dire son premier mot. Et puis la station elle était vachement longue, ce qui fait que j’ai repris mes esprits un peu, tu vois. Et puis là on arrive à la prochaine, normal, et une gonzesse annonce qu’on est à Gare de Lyon qu’il faut descendre à gauche ou un truc comme ça et puis elle baragouine d’autres trucs dans des langues bizarres que j’comprenais pas. Bizarre ces parisiens… Donc j’étais calmé et j’sors du métro, à Gare de Lyon. J’vérifie, j’lève la tête et je lis :

GARE DE LYON

J’étais rassuré. La gonzesse m’avait pas menti, pas comme à Châtelet avec leurs indications de merde. M’enfin, c’était pas tout ça mais fallait que j’sorte d’ici. Alors j’continue à scruter les panneaux d’indication et j’en vois un où dessus y a dessiné un petit train sur des rails, un truc dans le genre. Moi ça m’intrigue et ni une ni deux, je suis la flèche. Je monte des escalators, j’emprunte des couloirs, et puis j’arrive dans une gare. La gare de Lyon, j’imagine. C’était aussi le bordel, y avait des gens partout avec des mioches et des grosses valises, des clochards qui te harcèlent pour une clope ou dix centimes. J’commençais à saturer de tous ces connards de la capitale… Ouais, carrément. J’voulais m’poser. Cinq minutes, histoire de reprendre mon souffle. J’marche un peu, j’m’avance vers les quais de la gare, pour voir les trains, tant qu’à faire. Putain, leurs trains, c’était la classe. Pas des p’tits trains de merde comme on a chez nous, non, des vrais trains. TGV, ils les appellent des TGV. Ca doit vouloir dire un truc, genre Trains des grandes villes. J’sais pas moi. J’suis pas sûr. Enfin bon. J’m’avance sur un des quais où y a un train qu’attend, j’regarde par la fenêtre du train et j’vois qu’y a pas grand monde dedans. Et puis dedans, c’est chouette, y a des petites lampes, des gros sièges qu’on l’air bien confortables et tout… Bah qu’est-ce que j’fais ? J’me dis qui doit pas partir tout de suite le train puisqu’y a personne. Alors je monte dans le wagon et j’me pose sur un des fauteuils. La grande classe, ouais. Grave. Le problème c’est que cette putain de journée m’avait épuisé et qu’en plus y devait être dans les 16 heures. L’heure de ma sieste normalement. Donc j’commence à bâiller et puis j’ferme mes yeux et là j’m’endors. Comme un con et comme un loire. Trop mort j’étais… Attends, passe-moi la bière, ça commence à m’dessécher la gorge de parler autant.



Donc. Où j’en étais ? Ah ouais. Alors y a un mec qui commence à me tapoter le bras, j’ouvre les yeux et j’vois un mec en casquette qui m’dit :
« Monsieur, nous sommes arrivés à destination. »
« Déjà ! » Je lui réponds
« Euh oui. »
Bon, j’le regarde partir avec son costume ridicule et sa casquette de péquenaud. Et puis j’me lève tranquillement en me frottant les yeux pour vérifier que c’était pas un rêve… Non non, c’en était pas un, j’te jure… Quoi ? Où j’étais ? Tu vas pas me croire… Bah, j’étais à Marseille. C’était marqué sur des panneaux dans cette nouvelle gare. Truc de dingue. Y faisait chaud et lourd, j’étais en sueur et j’avais la dalle. Ca faisait longtemps que j’avais pas avalé un truc. Bon, j’décide de m’acheter un p’tit truc. J’repère un stand où on vend de la bouffe et de la boisson, j’prends un sandwich jambon et une bière, histoire de retrouver la forme… Heineken, j’crois qu’c’était. Donc, j’me pose sur un banc, j’avale mon sandwich en vitesse et torche ma canette en deux gorgées. J’avais soif. Et là, j’commence enfin à me sentir mieux. D’aplomb et tout comme on dit. Et puis c’était pas comme à Paris, l’ambiance était plus cool, les gens moins stressés, moins pressés, enfin ça m’faisait tout drôle, moi qui débarquait de tout ce tohu-bohu d’la capitale. Là-bas, les gens souriaient, parlaient d’une drôle de façon comme si y z’avaient bouffé un lémurien ou une p’tite bête du genre. J’étais aux anges, j’devais sourire comme un con, et tout… Ouais, c’était pas pareil, c’était différent. Mais bon, j’allais pas passer toute la soirée dans c’te gare. Donc, j’me dirige vers la sortie, le soleil commençait doucement à se coucher. Quelle heure il était ? Bah, dans les 19h30 20h, par là. Bref, j’suis dehors, j’regarde un peu autour de moi, ça m’plaisait vraiment cette ville, j’me disais que le mec qui l’avait construite, il avait du l’faire en pensant un moi. J’commence à m’balader, à marcher, tranquillement. Ouais, tranquillement. D’toutes façons, tout le monde est tranquille à Marseille, j’sais pas pourquoi… Ca doit être l’air qu’ils respirent ces enculés. Z’ont d’la chance… … Hein ? Ah, ouais, s’cuze-moi, j’continue. Donc j’marchais tranquille, dans des petites rues pavées qui sentaient la vieille ville et puis j’aperçois une sorte de bac à sable avec des mecs dedans, plutôt vieux, qui lançaient des boules en métal dans l’sable. Intrigué, j’m’approche. J’rentre même dans le bac à sable – y avait une p’tite porte – et j’les r’garde vaquer à leurs occupations traditionnelles. Et puis au bout d’un moment, y a un mec qui s’approche de moi, qui m’regarde et qui m’dit toujours avec leur drôle de façon d’parler :
« Tu veux jouer, fils ? »
« Quoi ? »
« Tu veux jouer ? Avec nous ? »
Je suis pris de court. « Euh ouais, d’accord, pas de problème. » Il me passe deux boules. « Vous jouez à quoi ? » J’demande.
Il m’regarde bizarrement. « A la pétanque. Tu connais pas la pétanque ? » Je fais non d’la tête. « Bon, j’vais t’expliquer, tu vas voir c’est pas compliqué, c’est comme les billes. »
Bref, il m’explique les règles, j’pourrais pas t’les expliquer à toi parce que j’m’en souviens plus trop. Mais c’était vraiment un sport de qualité. Sûrement un des meilleurs moments de ma vie. Ah ouais, à c’point là. Faut vivre ça au moins une fois les parties de pétanque. Le problème, c’est qu’y a une tradition là-bas, c’est quand tu joues à la pétanque, tu dois boire une boisson étrange qu’ils appellent le pastis. Ca a un goût bizarre. Ca a le goût du sable, ou du vent, j’sais plus trop. Mais c’est pas mauvais… Enfin on s’habitue. Alors pour pas passer pour un étranger impoli et insoucieux des coutumes locales, dès qu’on me tendait un verre j’le buvais. J’avais pas beaucoup mangé et j’étais un peu crevé donc au bout d’une heure, j’commençais à être bien torché d’la gueule. Bah, genre à voir flou, à marcher un peu comme une ambulance, tu vois l’topo. Et puis, c’est là qu’ça d’vient bizarre, c’est qu’un moment où j’calculais plus grand-chose de ce qui se passait, les mecs avec qui je jouait, qu’avaient l’air d’être tout à fait réglementaires et bien propres sur eux, ont commençé à me jeter les boules dans la gueule. J’t’ai pas dit mais c’était pas des boules de neige, c’était du pur métal bien trempé, bien huilé. Et puis j’étais bourré, donc j’comprenais pas et j’pouvais pas esquiver où partir en courant. J’crois que j’suis même tombé la tête dans les grains d’sable et ils ont commencé à m’lâcher les boules sur le dos. Et puis c’est là qu’j’ai du m’évanouir, genre K.O. technique, coma éthylique, raide mort, la tête dans les vapeurs de la Méditerranée… Et ouais, les mecs là-bas y plaisantent pas. Ca s’trouve j’ai dit un truc qui fallait pas, ou alors je jouais mal, enfin j’sais pas trop et puis à cause des coups et de l’alcool j’me souvient plus trop des moindres détails… Quesse qui se passe ensuite ? Bah moi j’en sais rien, j’étais plus vraiment là… Bah écoute, j’ouvre les yeux au moment où l’soleil commence à dépasser sa tête de l’horizon. Ces putains d’oiseaux gazouillaient et j’avais un mal de crâne terrible et le corps tout endolori à cause des enculés d’la veille. Et du pastis. J’arrive par me lever tant bien que mal, y a avait personne dans la ville et j’avais un mal de chacal, de hyène à c’point là. Bref, j’me mets en tête de trouver un hôpital. Parce que j’souffrais l’martyr, comme Jésus et Moïse réuni. Ah ouais… Donc j’finis par en débusquer un dans une rue quelconque et déserte. Enfin y avait une croix bleu et écrit hôpital quelque chose, genre psychiatre ou psyatrie, je sais plus trop. Donc, j’prie pour que ça soit ouvert, c’est ouvert, j’pousse la porte et j’tombe sur une gentille bonne femme à l’accueil et j’lui explique mon problème, où j’ai mal, comment c’est arrivé et tout le bazar. Et elle me fait remplir un formulaire et elle me fait attendre sur une chaise et j’attends et puis les minutes passent et enfin une infirmière plutôt bien gaulée vient m’chercher… Hein ? Laquelle ? Bah je sais pas si tu la connais, elle doit être dans un autre service. J’l’ai pas r’vu depuis ce fameux jour. Enfin en tout cas elle vaut un million de fois mieux que toutes les infirmières réunies qui s’occupent de nous. Ah si, j’te jure. Donc j’termine, quand même. Donc elle me demande de la suivre. J’commençais à oublier un peu la douleur à force de mater son cul. Ouais, enfin j’la suis un moment et puis elle m’amène dans une chambre, cette même chambre dans laquelle nous nous trouvons en ce moment. Et ouais, j’ai eu la chance de jamais bouger d’endroit. Y sont cools avec moi tous ces gens… Ouais, donc voilà, depuis cette fameuse journée, j’suis pas sorti de cet endroit. Voilà comment j’suis arrivé. Et toi alors, raconte…


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 7 Mai - 16:26

Bindi




Gradvol, c'est mon nom. Depuis quatre ans je suis sans abri. En province on me disait pourtant qu'il y avait du travail dans la capitale. Ah, si vous saviez tout ce qu'on pouvait dire à Boust, sur Paris! Paris la ville lumière, Paris la ville glamour. Moi je vous dis que Paris, c'est pas ça du tout. Paris pour moi c'est deux litres quotidiens de vinasse bon marché. « Et glou et glou et glou ». Ça dégouline en confiture le long de mon menton, se faufile entre mes vêtements. Je pue le gros rouge qui tâche. Je vous le dis, l'odeur est infâme. Même moi, qui croupis quotidiennement dans ces effluves, je la sens l'odeur. J'en ai les vers à la bouche. Parfois, j'ai tellement l'impression que ça grouille entre mes dents, que je vérifie. Et c'est là que je pousse un petit cri. C'est que ma langue a tellement tété le picrate qu'elle est devenue toute râpeuse : quand je la touche, j'ai l'impression d'empoigner un balai-brosse. Mes papilles sont comme des escarbilles de charbon : brûlantes et noires.
Mon abri de fortune, constitué de draps vermeils et de cartons cramoisis se situe juste à côté d'un bar appelé « La sirène ». Il en sort une de ces faunes la nuit : en cohorte désordonnée, des groupes de jeunes et de trentenaires avinés poussent la porte du bistrot, la face ruisselante de sueur, chantant à tue-tête des hymnes de soirée. Souvent, ils me réveillent. Assommé par l'alcool, je grogne des injures. Mais ils ne m'entendent pas et s'engouffrent dans la bouche du métropolitain. Depuis le temps je me suis fait une raison ; et puis j'y tiens à mon quartier. C'est vrai, le marais, c'est pas si mal comme endroit. Au moins personne ne me frappe. Avant j'étais du côté de Barbès, et souvent, j'avais le droit à une bastonnade. Vous savez ils arrivent en bande, les mains comprimées dans des gants aux phalanges métalliques, et ils cognent. Oh depuis ce temps je suis devenu un solide gaillard : mes os sont aussi solides que des parpaings !
Un jour, un jeudi peut-être, j'ai eu une vision. Ça m'a complètement transformé. Je veux dire, quelque chose en moi a bougé : j'avais le palpitant qui tapait plus fort. Mon sang s'est réchauffé, mes joues se sont empourprées. Et ça n'avait rien à voir avec la vinasse. Elle sortait de la station Saint-Paul, la nuque acajou fièrement dressée vers le ciel. Plus son corps s'extirpait de la bouche de métro, plus d'incompréhensibles vertiges venaient s'emparer du mien. Je la voyais de dos, mais c'était suffisant : quelque chose m'avait traversé l'âme, le genre de machin qui vous fauche et vous laisse pantois, anéanti. Puis sa tête à légèrement oscillé : quelle vision ! Elle était simplement parfaite. Encore, le terme n'est pas tout à fait juste, car il y a dans la perfection une idée de froideur, qui n'avait rien à voir avec le visage de cette beauté. Sa couleur de peau sombre aux reflets chocolats, annonçait ses origines sans qu'il soit possible de se tromper : elle devait être indienne. Des rubans vermeils se perdaient dans ses longs cheveux noirs. De profil, je voyais son nez droit trancher comme une ligne d'horizon dans l'espace. Je le fixais inconsciemment, avec intensité. A l'instant où mon regard dérivait sur ses lèvres charnues, une violente décharge de désir redoubla ma paralysie. Puis elles disparurent. Les lèvres, les formes, la silhouette : évanouies. Par quel coin de rue l'indienne était elle partie ? Ou ça, ou ça ? Je l'avais perdue.
Je suis passé à trois litres de vin par jour. Deux c'était pas suffisant pour disperser la vision qui me hantait depuis que j'avais vu cette fille. Parfois, la nuit, je me réveillais angoissé par une peur me comprimant les viscères, et je quittais mon abri comme un détraqué pour venir du côté de la bouche de métro. Je cognais contre les portes de la grille métallique en braillant des injures, en éructant le désespoir qui me grignotait de l'intérieur. Et lorsque mes mains saignaient, j'arrêtais mes gesticulations, mes gémissements. Je regardais les goûtes de sang ruisseler des phalanges et se perdre dans mes ongles noircis. La plainte s'étouffait dans ma gorge ; je regagnais mon abri ravagé par une tristesse indicible.
Trois semaines étaient passées depuis que j'avais vu l'indienne. J'avais considérablement maigri. Mes bras et mes jambes avaient l'épaisseur de brindilles, ma peau collait les os. Oh, j'ai même eu l'occasion de voir mon visage dans la vitre du bar « La sirène » : ça m'a épouvanté, une vraie tête de monstre. Apeuré, je suis retourné en vitesse sous mes couvertures et mes cartons. Et je tétais directement au fût pour me changer les idées, pour tomber dans l'abîme réconfortant de l'oubli, jusqu'au profond sommeil.
Des colonnes de brumes saumâtres erraient dans l'atmosphère. Je marchais à l'air libre, mais la fumée opaque m'empêchait de discerner plus loin que le bout de mon pied. Les bruits de mes pas étaient étouffés par le sol. Je me penchais pour voir sur quoi je marchais : des coquelicots couleur de vin. J'en pris toute une poignée et les jetais au vent. Ils se dispersèrent en tâches écarlates dans la brume. Je continuais à marcher sur cette plaine morne. Une note aigüe, pareille à une alarme, transperça les brumes environnantes. Elles s'évanouirent, laissant voir à perte de vue, un champ de coquelicots couchés sur la terre. Au loin, je distinguais d'un oeil double, les contours mirages d'une silhouette. Qui était-ce ? J'accélérais le pas, porté par la curiosité. Les formes se précisèrent, la merveille qui apparût! Une femme indienne, vêtue de soie légère aux teintes rubis, dansait et chantait. Son ventre ondulait, exhibant, avalant le nombril. Il m'hypnotisait. La danseuse me fit signe en chantant. Fasciné, suspendu au crochet de sa voix, j'avançais vers elle comme un automate. J'étais à quelques centimètres d'elle. Son souffle venait battre délicatement les plis de mon front. L'air du bonheur... Et dans ce plaisir extatique, quelque chose craqua derrière moi. Une odeur de souffre planait. C'est alors qu'une gigantesque flamme surgit en geyser, brûlant le champ de coquelicots. Avec horreur, je voyais tiges et pétales se distordre, se racornir et s'effranger, vaincus par le brasier dévorant. L'indienne semblait paralysée. Deux grosses larmes roulèrent sur ses joues à l'instant où un petit point grenat apparût sur son front. Écarlate, il s'étendait en parasite sur toute la figure de l'indienne. Derrière moi, le brasier se rapprochait dangereusement. Pris entre la détresse de la danseuse et les flammes infernales, un cri sortit du fond de mes entrailles : « Meurtrières ! ».
Je me suis réveillé en sueur. Il faisait nuit. Mes membres étaient encore agités par un spasme incontrôlable. Ils vibraient d'une émotion nouvelle, que je n'avais jamais ressenti jusqu'alors : un mélange d'excitation pure et de mélancolie. L'impression d'être aux portes d'une vie nouvelle. Bah : fadaises ! Clochard je suis, clochard je resterai. Mais les images du rêve restaient gravées dans mon esprit et distillaient quelque part dans mon âme, une séduisante sensation. Depuis le rêve, je me sentais mieux : il m'avait apaisé. Mon esprit était retourné à l'obsession première de ma vie d'ivrogne : l'ingestion immodérée de vin. « Et glou et glou et glou ». L'odeur sentait à plusieurs mètres à la ronde. Les passants dessinaient le périmètre de mon territoire, pris à la gorge par mes effluves pochtronesques. Je trônais dans ma crasse, comme un roi dans son pays. Ma bouteille était mon sceptre, les cartons mon palais : glorioles dérisoires. Mais j'étais bien.
Un soir, les fêtards du bar « La sirène » m'ont réveillé. J'avais l'habitude. J'étais prêt à fermer les paupières pour me rendormir lorsque je la vis. L'indienne. De nombreux bracelets tintaient à ses bras et ses sourcils noirs rehaussaient l'intensité de son regard sombre. Une main velue s'agrippait à l'une de ses hanches. Un étau se resserra sur mes entrailles. Elle était accompagnée. Un bel homme la tenait par la taille. Il était grand, portait de longs cheveux bruns et un complet aux reflets pourpres. Elle riait. Elle riait... Le bruit résonnait dans ma tête. Ses lèvres dessinaient un croissant de lune. Elle était heureuse, avec ce type. Quelque chose d'endormi se réveilla des profondeurs de mon ventre et me vrilla le crâne. C'était comme une infinité d'aiguilles chauffées à blanc qui me trouaient la tête. Et dans mes entrailles, des barbelés venaient tout juste de s'étendre pour m'écorcher depuis l'intérieur. Un voile vermeil était tombé devant mes yeux. Il se tissait à la réalité et contaminait tout l'espace autour de moi. Je voyais rouge. Ah si vous la voyiez sourire! Elle, heureuse d'être en compagnie de ce type! Ça me brûlait de partout : j'avais envie de me lever et de les étrangler tous les deux. Je les verrais dans le blanc des yeux, expirer sous mon étreinte terrible. Ah oui, les tuer, les tuer... Je respirais comme un boeuf, halluciné de voir ces corps joints dans le clair obscur de la nuit parisienne. Au moment où ils s'engouffrèrent dans la station Saint-Paul, je distinguais quelque chose sur le front de l'indienne : le point grenat. D'emblée, la vision du rêve apparût : je voyais la danseuse se faire grignoter le visage par la tâche, les flammes venir lui lécher le corps. Lorsque l'indienne disparût dans les profondeurs du métropolitain, la vision resta imprimée dans mon esprit. Et dans mon ventre, une inextinguible fureur éclatait en gros bouillon.
J'avais nourri une haine sans bornes pour l'indienne et son ami. Cette obsession s'était substituée à ma soif de vin. J'avais délaissé ma bouteille, qui gisait à côté de mes couvertures cramoisies. Depuis une semaine, j'accumulais l'argent de la charité pour m'acheter un petit couteau que j'avais vu en vitrine, dans une boutique adjacente à ma rue. Il était si beau ! La lame brillait, solidement plantée dans un manche vermillon. Avec ça, je pourrai calmer l'incendie qui me dévorait le corps. La jalousie ne me quittait plus depuis le soir où je les avais vus. Elle se répandait dans mon sang comme un poison. Je ne dormais plus que d'un oeil, suffoquant, asphyxié par un mal qui croissait de jour en jour. Cela faisait deux semaines que j'économisais, et j'avais assez pour acheter mon petit bijou. Je me rendis à la boutique et déboursais l'argent. Le vendeur fît une moue dégoûtée en me tendant le couteau : je ne m'étais pas lavé depuis plusieurs semaines. Je sortis heureux du magasin, en caressant la lame. Ah, elle ne s'émousserait pas, elle ne s'émousserait pas... Pour la première fois depuis quinze jours, je dormis correctement, les doigts resserrés sur le manche vermillon.
La froide résolution de tuer avait endurci mon corps. Mes muscles étaient continuellement bandés, prêts à délivrer le coup meurtrier, l'énergie animale. Je la tenais en muselière. Mais parfois c'était trop de pression : je lâchais du lest. La nuit tombée j'allais dans une petite ruelle déserte, je sortais le couteau et l'essayais sur des poubelles, des cartons, des sacs en plastique. J'ai même essayé les pneus de voiture. Fendard, les pneus de voiture. Quand la lame rentre dans le caoutchouc, ça produit un léger sifflement. Et puis ça se dégonfle comme une baudruche, avec un bruit de pet foireux. J'imaginais le corps de l'indienne se vider comme le pneu, agité par un spasme... A la fin je rentrais dans mon abri, soulagé momentanément du mal qui me rongeait. Au bout de trois jours je recommençais mon escapade. Je devais m'éloigner de plus en plus de mon abri, car la police soupçonnait un sans domicile fixe d'être l'auteur de ces vandalismes à répétition.
Ça faisait huit semaines maintenant, que j'attendais de voir le couple passer devant moi. C'était comme s'ils avaient pressenti un danger. Ils évitaient le quartier. La douleur ne me quittait plus. Mes séances nocturnes ne faisaient que redoubler ma haine désormais. Je tapais à n'en plus pouvoir et le lendemain, ma faim de violence reprenait, inextinguible. Mes mains étaient parsemées de croûtes sanguinolentes. Un soir que je m'étais aventuré jusqu'à Reuilly-Diderot, j'ai trouvé une petite rue sombre, exigüe, peu fréquentée : parfaite en somme. Au moment où je m'apprêtais à trouer une demi-douzaine de poubelles, un rire résonna à quelques mètres. C'était l'indienne, flanquée de son bellâtre aux longs cheveux bruns. Ils étaient à une dizaine de pas. La sensation qu'une fine bourrasque sifflait dans mes muscles, attisa mon désir de vengeance et le porta à son paroxysme. Mes yeux étaient fixés sur le point grenat de l'indienne. J'avais les mains crispées sur le couteau. Dans mon corps je sentais des geysers de colère monter, tellement puissants qu'ils me donnaient la nausée. J'imaginais un astre au bord de l'extinction qui se change en géante rouge le temps de tirer sa révérence. Déchargeant des éruptions solaires, augmentant sa masse de dix fois, cent fois, mille fois comme s'il voulait prendre la place de tout l'univers : il hurle son agonie. Moi c'était pareil. J'étais d'humeur supernova. J'avais envie de hurler, prendre l'espace du monde et le briser. A main nues. Comme si dix doigts pouvaient ratatiner le cosmos. Ils étaient juste à côté, à portée d'arme blanche. L'homme me jeta furtivement un regard dédaigneux, sans remarquer le couteau que je tenais caché dans mon poing. Ce mépris décupla ma haine. Au moment où il détournait la tête, je lui décochais un coup de lame à l'oreille. Il poussa un hurlement de bête étonnée avant de tomber par terre dans un bruit mou. L'indienne s'était figée, paralysée par la violence de l'attaque. Pour bien m'assurer qu'elle ne s'enfuirait pas, je lui plantais le couteau dans le genou : elle s'effondra net sur le pavé. Les deux étaient par terre, à ma merci. Je les voyais, baignant dans leur jus rouge, implorer des grâces et des pardons. « Qu'est-ce que c'est que ça ? », demandais-je, en pointant le point grenat de l'indienne. « C'est...c'est un bindi » me répondit elle dans un sanglot. « Ça signifie qu'elle est ma femme, qu'elle est à moi », répondit l'autre. Un vertige me saisit. Je ne sais combien de temps il dura, mais lorsque je revins de mon trouble, l'homme se débattait sur le sol, la gorge tranchée, la face barbouillée de sang. Un tic nerveux me tira les lèvres et je me jetais sur l'indienne en hurlant. Frénétiquement, je grattais le bindi, jusqu'à ce qu'il soit englouti par les chairs à vif. Elle ne se débattait quasiment pas. Je lui dis, en regardant l'homme qui avait trépassé : « Regarde comme il est infect, une plaie béante à la place du cou ». Et elle me répondit, lentement : « C'est vous qui êtes infect ». Aveuglé de folie, j'abattais le couteau sur le front dans un cri de rage. Un filet rouge glissa du crâne. L'indienne avait les yeux révulsés, elle était morte. Un froid néant s'empara de mon corps. Des larmes coulèrent de mes yeux, pendant que je bégayais quelques mots. Je n'étais plus que la clameur diffuse d'une envie de meurtre. Bientôt les remords vinrent, accablant mon esprit. Et je retournais le couteau contre moi. En plein coeur.
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sabiha
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMar 13 Mai - 20:23

Court-circuit

Je m’appelle Jean-Luc Vivier. Je n’ai pas envie de vous faire un portrait autobiographique, d’abord parce qu’il s’avèrerait très vite ennuyeux, mais surtout parce que vous n’en avez absolument pas besoin. La seule chose que vous devez savoir c’est que j’ai trente-cinq ans, que pendant dix-huit j’ai grandit, que la décennie suivante je me suis demandé ce que j’allais faire de ma peau et que le reste du temps, ayant enfin cessé de refouler le désir intrinsèque qui me rongeait, j’ai pris mes clics et mes clacs, et je suis parti en voyage.

Le premier il y a sept ans, sans expérience préalable, aucune envie d’en avoir d’ailleurs, juste ma bite et mon couteau pour apprendre sur l’instant, parce-que ces préjugés qu’on acquiert sur du papier recyclé sont comme des parasites qui s’installent sous la peau : faciles à attraper, moins de s’en débarrasser. Je suis parti avec l’un de mes amis, Thierry. Pas plus décidé que moi à adhérer à la vie conventionnelle et sédentaire de nos confrères occidentaux, il n’hésita pas à me suivre. Nous avions pour projet de couvrir un reportage sur des touaregs, gardiens du sel, or blanc qui ne s’offre à l’homme qu’au prix d’un grand sacrifice. Départ pour le Niger un matin, arrivée l’après-midi dans la capitale, Niamey : choc frontal. Uppercut bien visé que cette première approche d’un monde inconnu. Un étrange vacarme ou l’odeur des pots d’échappement se mêle à celle des épices, où la chaleur oppressante est contrastée par des sourires décomplexés et où les couleurs fortes appellent la pupille à s’ouvrir quand dans le froid parisien, un voile brumeux la devançait. Le soir Thierry semble complètement assommé, la seule chose qu’il a dite aujourd’hui c’est qu’on n’a pas beaucoup d’argent et que comme partout ailleurs, la ville coûte plus chère que la campagne. Alors il veut partir, et vite. Je soupçonne chez lui de vagues angoisses mais comme je ne fais pas beaucoup plus le fier je ne dis rien.

Le lendemain, on part pour le nord avec un dénommé Mohamed qui conduit un 4X4 tellement blindé qu’on fini assis sur le toit. Au bout de quatre heures de route il nous dit qu’il doit nous abandonner là parce qu’il a des sans-papiers dans la voiture et que si la police nous attrape avec eux, c’est nous qui allons avoir des problèmes. On le remercie avec vigueur pour le chemin effectué, ça nous a bien aidé, on continuera à pied. Je ne sais pas encore ce que je suis venu trouver à ce moment là mais déjà les effets se font sentir. J’ai la nausée à cause de la chaleur, je dégouline de partout et vu la vitesse à laquelle on boit, le peu d’eau qu’il nous reste va bientôt disparaître. Mais c’est pas grave tout ça parce que c’est beau. C’est beau d’être là, perdu au milieu d’un désert inconnu et de ne pas savoir où on va. Alors que c’est maintenant qu’on devrait commencer à flipper, Thierry et moi nous sentons deux hommes en passe de devenir libres. Un vrai voyage initiatique. Et pour l’instant ce ne sont que les soubresseaux de ce qui plus tard seront des feux d’artifice de sensations, de vrais délires hallucinatoires. La première étape nous la faisons sans avoir rencontré la moindre personne, pas de touaregs, encore moins de femmes et d’enfants. Plus seuls que nous à ce moment là, je crois que ça ne s’est jamais vu. Je savais que j’étais novice en matière de galères, je n’étais jamais vraiment sorti de ma grisaille parisienne et l’été, les seuls endroits que j’avais pu apprécier étaient la tranche-sur-mer ou bien Deauville…sans commentaires. Bref, je pense que cela m’a aidé parce-que du coup je n’avais aucun a priori sur ce qui allait bien pouvoir nous tomber sur le coin du nez. On a mangé calmement, au coin du feu, ni Thierry ni moi n’avions envie de parler, le silence se suffisait à lui-même, accompagné par le doux frémissement du vent. Après quelques conserves sommaires, nous avons déployé nos sacs de couchage sous une mer d’étoiles, sûrs de trouver le lendemain ce que nous cherchions. L’ennui c’est que nous ne savions pas vraiment ce que nous cherchions. En tout cas, pas de problème notable pendant la nuit, si ce n’est le serpent à sonnettes qui nous a réveillés en panique mais nous lui avons éclaté la tête avec notre dernière conserve et nous sommes rendormis, morts de fatigue.

Le lendemain nous avons repris notre route tôt, Thierry avait l’air complètement déphasé, comme si on l’avait obligé à garder l’œil sur un bagnard pendant de longues heures. Je n’avais pas de miroir mais je lisais dans son regard que je n’avais pas meilleure mine. Peu importe, nous nous étions fixé un but et décidions de nous y tenir. Je savais qu’il nous fallait aller vers le nord pour espérer rencontrer un groupe de touaregs, nous nous mettions donc en route. Au bout de trois heures de marche nous avons vu au loin un troupeau de dromadaires, ils avaient l’air serein, ces dromadaires. Enfin je crois que s’en étaient, je n’ai jamais su faire la différence. Ma petite sœur avait toujours pris de grands airs pour m’expliquer que comme dans le mot « chameau » il n’y avait que deux syllabes, l’animal n’avait qu’une bosse et que comme dans le mot « dromadaire » il y avait trois syllabes cela signifiait que bien évidemment il avait deux bosses. Je crois pour ma part que quand un enfant de cinq ans utilise des moyens mnémotechniques, ils sont nécessairement faux et que donc à coup sûr le chameau avait deux bosses et le dromadaire une. C’est une réaction humaine je crois, que de réfuter toutes les théories d’un enfant si jeune. Oui, parce qu’il n’a absolument aucun moyen de fonder ses propos et que l’on ne s’appuie que sur un proverbe stupide qui dit que « la vérité sort de la bouche des enfants ». C’est une aberration. Enfin bref, ces bestioles là n’avaient qu’une bosse et comme je reste fidèle à moi-même, je ne crois pas ma petite sœur et donc, à coup sûr, c’était des chameaux, euh non des dromadaires. Enfin, tout ça pour dire que Thierry et moi nous sommes regardés et avons souris, de ces sourires Freedent qui donnent envie de passer directement au rire. Et nous avons couru aussi, super contents parce qu’évidemment s’il y avait des dromadaires, il y avait aussi des touaregs. Nous avons couru et arrivés aux dromadaires, nous avons vite déchanté, pas la moindre once de vie humaine autour d’eux. J’avais envie de les assassiner mais je me suis contenté de les insulter dans toutes les langues que je connaissais, pour être bien sûr qu’ils me comprennent. A ce moment là je me suis souvenu du capitaine Hadock dans Le crabe aux pinces d’or et je dois dire que ça m’a bien inspiré : « mille milliards de mille sabords, bachibouzouque… » Tout y est passé. Et puis ensuite je me suis effondré en pleurant. Mais Thierry m’a bien soutenu, heureusement qu’il m’avait accompagné dans mon voyage parce que dans ces moments là, on a vraiment besoin d’un pote. Il m’a rassuré, m’a dit qu’il fallait les suivre, que pour sûr les touaregs ne devaient pas être loin, parce-que c’était impossible que ces dromadaires se soient retrouvés là tout seuls. Il m’a montré les sangles qu’ils tenaient autour du coup, s’est moqué de moi et de ma détresse mais dès qu’il a vu que cela ne me rendait pas le sourire, il s’est arrêté, m’a relevé et m’a aidé à continuer. Un vrai pote ce Thierry, heureusement qu’il était là.

Nous nous sommes donc mis à suivre ces dromadaires. Le soleil tapait sévère, je me sentais lourd et vraiment pas bien pour être franc. Mais je me disais que ça allait s’arranger, oui, ça allait forcément s’arranger, tout simplement parce que ça ne pouvait pas être pire. On s’est donc mis à marcher derrières ces quatre pachydermes, en espérant qu’ils arrivent quelque-part ou bien qu’ils rejoignent quelqu’un. On a marché comme ça pendant quatre heures. La première heure j’étais fatigué, la seconde exténué, la troisième je n’étais guidé que par mon instinct de survie et la quatrième, je commençais à me résigner à mourir. Thierry n’avait pas décroché le moindre mot pendant ce temps, je crois qu’il avait utilisé ses dernières réserves de bonne humeur en essayant de me remettre sur pied. Il avait l’air vidé, lynché, défoncé, éclaté. Il avait son tee-shirt blanc attaché comme un chèche sur la tête et son torse était rouge vif. De plus comme nous n’avions plus d’eau, nos lèvres étaient complètement desséchées, enfin pour abréger, je crois que nous nous étions tous les deux fait à l’idée qu’on risquait d’y rester. A la cinquième heure, la nuit était tombée. Notre mer d’étoiles nous remontait un peu le moral parce qu’on s’imaginait qu’on n’était pas les seuls à galérer dans le monde, ça nous ramenait à notre insignifiance et bizarrement, ça nous rassurait. Les dromadaires s’étaient arrêtés au bord d’une oasis et ils avaient bien l’air décidés à y passer la nuit. Etant donné qu’il y avait de l’eau pour nous aussi, on s’était installés, avions fait un feu et avions mangé notre dernière conserve, du cassoulet périgourdin, je m’en souviens. Il faisait frais, on était bien. J’avais horriblement mal aux pieds, j’étais à moitié désespéré mais j’avais toujours pensé que si je devais avoir une fin prématurée, ce devrait être une grande fin, et celle-ci n’était pas la bonne, trop stupide de finir à côté d’une oasis, entouré par des dromadaires. Impossible. Je méditais sur différentes morts possibles quand un bruit indistinct vint à mes oreilles. Un léger frémissement pour commencer, comme un bruissement de feuilles. Et puis avec plus d’attention je me suis rendu compte que cela ressemblait à deux tissus qui se frôleraient et enfin, quand je pensais à ma fin, ce fût un début qui arriva.

Une dizaine de touaregs avançaient vers nous, enfin, vers Thierry, moi et nos amis les dromadaires. Ils avaient l’air absolument majestueux dans ce désert de sable. De grands et beaux hommes noirs se frayaient un chemin dans un « no mans land » inquiétant. Vêtus de djellabas noires, le visage recouvert de grands chèches bleus marines ils avaient l’air de prophètes. Trop de description tuerait la description n’est-ce-pas ? Alors je vous laisserai imaginer la sensation qui pu m’envahir à ce moment là. Ils nous donnèrent de l’eau, puis du halva pour nous redonner des forces. J’étais dans un autre monde, de retour du royaume des morts je ne comprenais pas bien ce qu’il se passait. Tout juste si ma conscience suivait. Je me souviens de leurs sourires quand ils nous firent fumer de l’herbe sacrée et puis ce fût le néant. De ces néants bénéfiques, qui soignent et reconstruisent.

Quand je me suis réveillé, j’étais allongé sur une natte tressée. Je n’avais pas idée de l’endroit où j’étais mais je n’avais aucun besoin de le savoir parce-que mon bien-être prenait amplement le pas sur ma raison. Quand on a vécu l’enfer, le paradis devient simple. Après quelques minutes toutefois, je commençais à reprendre mes esprits. Je m’assis et un jeune homme vint me proposer du thé. J’acceptais avec plaisir puis cherchais Thierry des yeux que je n’avais plus vu depuis l’arrivée des touaregs. Dans ce voyage il était devenu ma moitié. Comme dans un couple amoureux, s’il avait disparu j’aurais dépéri, nous étions partis ensemble, nous reviendrions ensemble. Je demandais au jeune homme qui m’avait servi le thé où pouvait se trouver mon ami. Il me comprit sans trop de problèmes et me demanda de le suivre. Je déambulais alors dans d’étroites ruelles, le sol était de terre et le ciel d’azur. Ce mélange ocre et bleu formait une osmose parfaite qui m’apaisait un peu. Au milieu de tant de douceur mon ami ne pouvait avoir disparu. Je suivais ce jeune guide qui, encore imberbe avait l’air d’un ange. Le son des derboukas résonnait au loin, accompagné d’une lyre. Cette bonne humeur et cette mystique m’envahissait. Ma raison me délaissait. Mais je ne vous en dirai pas plus si ce n’est que je n’ai jamais quitté cet endroit…
…Les villes du désert ne se racontent pas, elles s’imaginent…


Sabiha.
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 1 Oct - 20:55

METAL MACHINE MUSIC
I

Voilà… C'est tout ce que je voulais te dire… J'espère que tu y prêteras attention. Je t'aime. Tu me manques. Je ne t'en veux pas."

Lester raccroche le téléphone, se frotte l'œil et baille de toutes ses forces. Il déteste les répondeurs, cette machine qui déforme la voix, qui rend le message bancal et pathétique. Et il semble que plus le message est important, plus il devient ridicule. Il essuie quelques larmes et se lève en direction de la salle de bains, où il ne mettait plus les pieds depuis plus d'une semaine. Son reflet dans le miroir est effrayant. Il est doté d'un physique agréable. Mais il semblerait que son âme ait abandonné son corps. Il a la gueule brisée du type qui n'a pas vu le soleil depuis des lustres. La barbe, les cernes, la peau abimée, les yeux recouverts d'un voile étrange.

Lester est comme n'importe quel autre branquignole qui a perdu l'amour de sa vie. Il est maussade, sombre, démotivé, fatigué de tout. Sa télé est allumée dans le vide, les images défilent sous ses yeux qui ne voient rien. Il ne lit pas, il ne se lave pas, il mange peu, dort à peine, va à son boulot alimentaire en trainant les pieds, pleure souvent, boit beaucoup, ne vois pas grand monde.

Tout le monde dans son entourage connaît un Lester. Un type qui broie du noir, qui se malmène lui-même en ne voyant que le mauvais côté des choses. Lester est un bon gars, il manque juste de courage, de caractère, d'envies. Il est confronté à la peur de sa vie : la banalité.

En tout cas, comparé à Suzie, qui a levé le camp sans même prendre la peine de s'expliquer, Lester se sent terriblement normal. Elle savait parler avec les yeux, elle avait toujours raison, elle était forte et belle. Elle serait probablement capable de convaincre Dieu de la laisser rentrer au Paradis en moins de dix minutes. Lester sait qu'il a laissé partir sa seule chance de devenir quelqu'un. Incapable de reprendre sa vie en main, il lui arrive même de vouloir revoir sa mère. Il lui arrive de penser à la mort. Bien sûr, la simple idée de saisir un couteau et de l'aiguiser le terrifie. Alors Lester se traine, subit le temps, compte les minutes. Il se demande bien qu'est ce qui pourra le sortir de sa léthargie.

S'il lui arrive de prendre l'air de temps en temps, c'est surtout pour aller s'acheter de quoi survivre : un paquet de pâtes, un paquet de cigarettes, une bouteille de mauvais vin rouge. Le paquet de 500 grammes de pâtes peut lui durer plus de deux semaines, ce qui n'est pas le cas des vingt cigarettes et du litron de rouge. Il habite un beau quartier, mais regarde assez peu autour de lui. Il remarque à peine les passants, renvoie machinalement un bonjour morne aux peu de personnes qui le saluent. La vie de Lester est une boucle infernale. C'est un disque qui saute. Et c'est insupportable, un disque qui saute.





Un jour, Lester reçoit un appel. Intrigué, il laisse le téléphone sonner trois fois, puis se précipite sur le combiné.

- Suzie ?

- Non, c'est Jules.

Jules est une des rares personnes à se préoccuper de Lester. Ils s'appréciaient et partageaient en particulier un goût pour les disques vinyls. Jules était un grand collectionneur, et probablement une grande influence pour la culture musicale de Lester.

- Ouais Jules, ça va ?

- T'espérais qu'elle te rappellerait ?

- On ne peut rien te cacher.

- Allez, arrête tes conneries et passe à la maison.

Puisque son agenda n'indiquait aucun rendez vous, Lester s'exécuta.

Sur le chemin, Lester versa encore quelques larmes. Il se dit de plus en plus qu'il devrait peut-être rendre visite à son généraliste, le docteur Rosenberg. C'était une personne attachante et rassurante, qui lui aurait probablement prescrit des antidépresseurs avec sagesse. On ne prend pas ces choses là à la légère, mais Rosenberg était définitivement un homme de confiance. Avec cet irrésistible humour qu'ont les médecins. Et Lester n'imaginait pas réussir à aller mieux sans aide chimique. Son manque de volonté était tout simplement désespérant.

Arrivée à la porte de l'immeuble de Jules, Lester fouille son téléphone portable dans lequel il se rappelle avoir noté le code d'entrée. Lorsqu'un clochard s'approcha de lui, il se prépara à lui adresser ses plus plates excuses afin de rien avoir à lui donner. Le clochard sorti alors un billet de 20 euros à moitié brulé et lui demanda avec des yeux moites s'il pensait que l'épicerie l'accepterait. Lester leva un sourcil, et répondu l'air blasé qu'il pouvait toujours essayer.

- Y'en a qui crèvent la dalle, et l'autre il brûle un billet ! Y'en a y sont vraiment taré, baragouina le vagabond.

- Je ne sais pas, répondu Lester sans le regarder.

- Comment ça tu sais pas ? Avoue que faut être taré pour brûler des billets de banque !

- Probablement.

Dès qu'il eut trouvé le code, il le composa à toute vitesse, tant la présence du pauvre homme le mit soudainement mal à l'aise. Il se précipita à l'intérieur de l'immeuble, et quand la porte se referma, il soupira fortement. Lester ne savait plus parler à des inconnus, quels qu'ils soient. Communiquer avec ses proches n'était déjà pas une mince affaire. Regarder un homme dans les yeux relevait de l'acte surhumain.

L'appartement de Jules était petit, sobre, mais chaleureux. Tout paraissait propre et soigné, si ce n'est les dizaines de disques vinyls envahissant le moindre centimètre carré de meuble. Il y avait d'élégantes affiches pleins les murs, comme le Sticky fingers des Stones, le Abbey Road des Beatles, mais aussi la Marilyn d'Andy Warhol ou encore le poster de Easy Rider.

Jules était de bonne humeur. Mais il déchanta vite quand il vit l'allure déconcertante de Lester.

- Tu essaies de ressembler à une serpillère humaine ?

- Oui.

- C'est réussit.

S'en suivit un silence, et un regard désolé de Jules. Il était fatigué de constamment voir son ami faire une gueule d'enterrement. Il lui posa alors des questions d'usage, si le boulot se passait bien, comment allait la famille, s'il comptait se laver bientôt, ce genre de choses. Les trois quarts des réponses se matérialisaient par des haussements d'épaules. Entre deux tentatives d'humour pour détendre l'atmosphère, Jules levait les yeux au ciel par dépit : ce type était incurable, il n'était même pas foutu de sourire. Il se demandait même pourquoi il l'invitait encore chez lui et tentait de lui remonter le moral. Il lui proposa un joint que Lester refusa, préférant une bière.

- J'ai des nouveaux trucs à te faire découvrir, ça pourrait te faire penser un peu à autre chose.

- Quel genre de truc ?

Jules prit sur sa table basse une pile de disque et les tendit à Lester en lui disant de choisir ceux qui lui plaisent.

- Je les ai tous trouvés pour trois fois rien. Je les cherchais depuis des plombes, je te jure, ça m'obsédait. Je deviens pire qu'un chercheur d'or ! dit-il en se marrant.

Lester consulta les albums, l'air morne. Effectivement, il avait vu toutes ces pochettes un peu partout sans avoir la moindre idée de ce qu'elles contenaient.

- Effectivement, ça m'a l'air intéressant.

- Ton enthousiasme me fait frôler la crise cardiaque, Lester.

Lester n'appréciait pas l'ironie du ton. Il tentait en toute sincérité de s'investir dans ce sujet de conversation puéril, et Jules ne répondait qu'avec des sarcasmes. Ils se mirent tous deux d'accord pour jeter une oreille sur un groupe appelé King Crimson, dont la pochette était particulièrement repoussante. Ca réveilla vite l'excitation de Jules. Mais ça laissa Lester de marbre.

- De la bouillie progressive, grogna t-il.

Jules lui proposa alors le premier des Ramones.

- Je connais. Un groupe consciemment crétin reste crétin.

- Merde, je sais pas moi, Pet Sounds, ça te dit ? Ca te mettrait de bonne humeur.

- Je veux pas les écouter tes connards de Californiens.

Jules balança alors violemment la pile de disques sur la table. La dernière chose sur laquelle les deux garçons réussissaient encore à avoir une conversation, c'était sur la musique. Ils avaient des discutions d'amateurs de rock snobinard, ils adoraient débattre pendant des heures de sujets dont la plupart du commun des mortels se fout. Mais là, Lester était pire qu'une tombe. Le silence suivant parut terriblement long. C'est Lester qui le brisa.

- Je n'éprouve plus le moindre plaisir en écoutant un disque. Le cinéma m'emmerde, la télé me fait pleurer, je n'arrive plus à lire. Mon cerveau fonctionne sans je ne lui demande, et le moindre son résonne de manière tragique à mes oreilles.

Lester se remet alors à sangloter calmement.

- Je voudrai ne plus penser. Je veux oublier Suzie et avoir plus d'estime pour moi-même. Et recommencer à apprécier les choses simple de la vie. Je suis obnubilé par ma propre douleur.

- Tu m'ennuie Lester. Ca fait des années que tu as le même discours. Nous savons très bien tous les deux que tu n'as rien de pathologique, t'es juste un merdeux feignant. Tu crois dur comme fer que ton cerveau est malade, et à force il le devient.

- Tu n'as pas la moindre idée de ce qui se passe dans mon cerveau. Tu ferais mieux de baisser le ton, surtout à propos de choses que tu ignores.

- Quand tu penseras à autre chose qu'à toi-même, tu repasseras. En attendant rentre chez toi, tu me fatigues. Tes problèmes existentiels me sortent par les yeux.

Alors que Lester, indifférent, se dirigea vers la sortie, Jules l'arrêta un instant et lui tendis un autre disque que Lester n'avais pas remarqué. Il était complètement noir, et la seule chose que l'on pouvait lire dessus en lettres couleur d'argent était "METAL MACHINE MUSIC".

- Qu'est ce que c'est ? demanda Lester.

- Une anesthésie, répondit Jules.




Une fois rentré chez lui, Lester prit une bière dans son frigo et vira tout le bordel sur son canapé pour s'y affaler. Il observa l'album que lui avait prêté Jules. Cette pochette avait quelque chose d'obsédant. Un noir complet, des lettres capitales métalliques. Voilà que, pour la première fois depuis bien longtemps, il se surprit à ne plus penser à sa Suzie.

Cela faisait bien deux minutes qu'il fixait l'étrange objet des yeux. Le noir brillait à la lumière de l'halogène et captait son l'attention comme ça lui était rarement arrivé. C'était comme magnétique. Lester se trouvait hypnotisé. Il en oublia même que cette chose servait à être écouter. L'obscurité envahissait son champ de vision. Une brume épaisse s'installa dans toute la pièce, les pupilles de Lester se dilatèrent, et toutes ses obsessions semblaient se fondre dans un énorme nuage carbonique inodore. Il tenta d'avaler sa salive mais sa bouche était sèche, il se contenta alors de grincer des dents. Une douleur glaciale saisit son estomac, comme celle que l'on ressent pendant un sursaut d'effroi, sauf qu'ici ça n'avait rien d'éphémère. Suzie n'existait plus. La bière était à peine entamée.

Après un hurlement court mais sauvage, Lester reprit doucement ses esprits. Il transpirait et son cœur battait la chamade. Il vida sa bière d'un coup. Puis arriva une chose qui ne s'était pas produite depuis longtemps : Lester se mit à rire. Pas d'un rire nerveux pour évacuer un sentiment d'angoisse, mais bel et bien un rire de joie, hilare, joyeux et gras.

"Voilà un disque qui me change les idées", il pensa.

Sans plus attendre, il le sortit de sa pochette et l'installa sur sa platine. Les quatre titres de l'album duraient 16 minutes et 01 seconde. C'était décidément une œuvre étrange. En prenant son courage à deux mains, Lester appuya sur "Play".


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyMer 1 Oct - 21:01

METAL MACHINE MUSIC

II


Le lendemain matin, Lester était à nouveau déprimé. Il ne pensait qu'à Elle, Elle qu'il avait tant aimé, elle qui l'avait trahit, elle qui l'avait détruit. Et lui, pauvre demeuré qu'il était, ne retrouverait jamais personne de toute sa vie, sa vie qui tournerait au néant. Lui qui ne méritait pas d'être heureux, lui si médiocre, si insignifiant.

Ainsi allaient ses pensées. Il versa encore de très grosses larmes, gémit comme un animal blessé avant de cogner contre les murs. Il se dit alors à voix haute qu'il est temps pour lui de chercher de l'aide. Que le docteur Rosenberg ferait parfaitement l'affaire. Lester décrocha son téléphone et composa le numéro du médecin.

Le docteur Rosenberg acceptait de se déplacer chez ses patients. Il était habitué aux patients difficiles. Mine de rien, le 7e arrondissement de Paris était un quartier bourré de névrosés. Alors s'occuper d'un gentil dépressif comme l'était Lester, ça ne l'inquiétait guère. De plus, il le connaissait bien, le bonhomme étant quelque peu hypocondriaque sur les bords. Lorsqu'il arriva dans son appartement, il ne pu s'empêcher de le trouver désespérément vide. Lester, les yeux rouges et humides, était secoué de petits hoquets et tremblements. Il était presque trentenaire, mais entre son visage délabré et ses sanglots de gosse, on pouvait lui donner aussi bien la cinquantaine qu'une douzaine d'années. Le docteur lui serra fort la main en souriant avec assurance, ce à quoi Lester répondit par un rire gêné et un timide "faites comme chez vous".

- Alors, dites moi ce qui ne va pas, demanda doucement Rosenberg.

Il était impossible pour Lester de répondre tout de suite. Il devait trouver des mots, formuler des phrases avec, exprimer des idées cohérentes, et tous ces concepts semblaient être des exploits herculéens. Il se sentait si stupide d'être là à pleurer sans même pouvoir comprendre exactement pourquoi. Suzie, c'était la seule chose qui lui venait en tête. Alors il cracha le morceau :

- Suzie…

Avant de fondre une nouvelle fois en larmes.

Le médecin mit sa main sur son épaule, lui parla d'une voix tendre et chaude. Il lui dit que ce n'était qu'un chagrin d'amour, qu'il ne fallait pas se laisser aller, que s'il y avait autre chose qui n'allait pas il pouvait tout lui dire.

- Je me sens si vide. Je veux de la compagnie quand je suis seul, et je veux être seul quand je me trouve accompagné. Je suis terrifié par l'avenir, je ne supporte plus les mûrs de mon appartement, j'ai l'impression qu'ils se referment sur moi. Je suis incapable de communiquer avec mes amis, et encore moins avec des inconnus. Je me suis mis à boire, je fume comme un pompier, je n'en vois pas le bout. Depuis ma naissance, je n'ai fais que tomber, je n'ai jamais réussi à atteindre la surface.

Il y eut une courte pause, durant laquelle Rosenberg souriait silencieusement. Il connaissait très bien toutes ces histoires, c'était d'une incroyable banalité. Il fallait simplement laisser l'individu se perdre en déblatérant la liste de ses non-problèmes pendant que lui le regardait d'un air concerné. Le patient finit toujours par se rendre compte à quel point sa tristesse est dérisoire, et finit même par s'excuser juste avant de signer le chèque. Lester ria nerveusement une nouvelle fois.

- Bref, j'ai un petit coup de mou. J'ai besoin d'être un petit peu remonté, d'une manière ou d'une autre. Je viens d'entamer ma semaine de vacances, et même si j'étais loin d'être efficace au bureau, le fait de rester inactif pendant une semaine me terrifie.

- Et bien, pourquoi ne pas trouver une activité ? Il doit bien y avoir une chose qui vous plait assez pour que vous y consacriez du temps ?

C'est à ce moment là que les yeux de Lester se détournèrent de ceux du docteur pour se coller sur la pochette sombre que Jules lui avait prêté. Il reposait par terre, juste en bas de sa platine. METAL MACHINE MUSIC, c'était écrit. Lester se souvint l'avoir écouté juste la veille. La musique lui revint subitement. Les ondes de l'album s'insinuaient à nouveau dans son cerveau. La bouche légèrement ouverte, les yeux écarquillés, Lester était bloqué. Rosenberg, pour la première fois depuis le début de l'entretien, était décontenancé. Il avait posé sa dernière question depuis un moment déjà, et le silence devenait pesant. Terriblement pesant, d'autant que Lester était immobile, qu'il ne pleurait plus et qu'il n'exprimait aucune émotion. Le médecin en eut même des frissons. Il l'appela à plusieurs reprises, mais Lester ne réagit pas, comme coincé dans une dimension que son cerveau malade aurait inventée. Rosenberg se mit alors à secouer, et, sortant à peine de sa torpeur, mais fixant intensément le médecin effrayé, Lester déclara :

- C'est terrifiant le silence, vous ne trouvez pas ?

Sa voix semblait avoir changé. Lester était devenu un autre homme en l'espace de deux minutes, pensa Rosenberg.

- Je vais quand même vous prescrire un anxiolytique, ça vous fera du bien. Mais il ne faudra pas en abuser.

- Je vous remercie docteur, j'ai beaucoup d'estime pour vous. Tout le monde vous aime beaucoup dans le quartier.

Lester avait soudain retrouvé son comportement normal, celui d'un homme triste. Rosenberg reprit lui aussi ses esprits, se redressa, et tenta de lui adresser un merci rigoureux. Lester n'oublia pas de régler la consultation, ils échangèrent une poignée de main, et le médecin partit.

Lester, à nouveau seul, serra son ordonnance contre son cœur. Il pensait aller au plus tôt à la pharmacie. Et il devait rendre visite à Jules. Il se leva d'un coup, saisit ses clés et sortit de chez lui précipitamment.





Après avoir récupéré ses médicaments, Lester fonça sans détour chez Jules. Ce dernier, qui ne l'attendait pas, fut plutôt surprit. Lester ne prenait jamais ce genre d'initiatives. Ils se saluèrent, et Lester demanda avant même que Jules ne puisse se renseigner sur le motif de sa visite :

- Où est ce que tu as trouvé ce truc, METAL MACHINE MUSIC ?

- Je savais que ça te ferait réagir, répondit Jules en éclatant de rire. Ça t'a plu ?

- Allez, dis moi comment tu l'as trouvé

- Et bien, dans une brocante, au hasard. Il était quasiment donné, et j'aimais bien la pochette. Bon, tu l'as écouté alors, oui ou non ?

- Oui, mais j'ai pas réussi à tenir jusqu'au bout.

Jules s'étonna.

- Jusqu'au bout ? Tu as essayé d'aller jusqu'au bout ?

- Oui, mais j'ai laissé tomber au bout de quarante minutes.

Là, Jules sursauta presque. Il n'en croyait pas ses oreilles, comme la première fois qu'il avait mit METAL MACHINE MUSIC sur la platine.

- Mais enfin Lester, c'est du bruit !

- Du bruit ?

- Mais bien sûr, rien de plus que du bruit ! C'est un disque d'une heure de bruit blanc ! Comment t'as pu écouter ça pendant quarante minutes, je n'ai pas tenu trente secondes !

- Je ne sais pas. J'ai trouvé ça intéressant. C'est du bruit, tu crois ?

Jules dévisagea Lester, atterré. METAL MACHINE MUSIC n'était qu'un long monologue instrumental infernal sans mélodie ni rythme, un truc immonde et crispant, tout juste bon à vous coller une crise d'angoisse. Comme si on amplifiait le son de la roulette du dentiste et qu'on le gravait sur un disque. Pire même.

- Je voulais juste te faire une blague, rigola Jules. Tu voulais pas de mes Beach Boys, alors je t'ai prêté ça, comment j'aurai pu m'imaginer que tu le prendrai au sérieux ?

- Et, tu sais qui a fait ce disque ?

- Aucune idée, Lester, et qu'est ce qu'on s'en fout ? Ce disque est une horreur ! Vaut encore mieux aller acheter le best of de Daft Punk au lieu d'écouter ce machin monstrueux !

Jules se mit à rire de plus belle :

- T'es cinglé Lester, tu m'étonneras toujours!

Et alors que l'hilarité de Jules résonnait dans tout l'étage, Lester tourna les talons et repartit calmement.




Cela faisait deux jours que Lester n'avait pas quitté son appartement. Depuis que Jules s'était moqué de ses goûts originaux, il était littéralement bouleversé. Il se sentait insulté, méprisé par la dernière personne en qui il avait encore un semblant de confiance. Sa télévision ne cessait de tourner dans le vide, et quand il la regardait, il trouvait moyen de pleurer toutes les larmes de son corps devant une niaiserie diffusée sur une chaine hertzienne. Il ne bougeait plus de son canapé, sauf pour aller ouvrir un placard quelconque pour se servir un fond de bouteille d'alcool frelaté. Dans un état constant de semi sommeil dû à toutes les pilules qu'il avait avalé en quantité contre l'avis du médecin Rosenberg, il ne trouvait même pas la force de faire bouillir de l'eau. C'en était fini de son régime de pâtes. Son apparence était au-delà de l'imaginable. Il était la définition même du terme "laisser aller".

Quand le téléphone sonnait, il ne répondait pas. C'était rare, mais cela arrivait. Jules, probablement. Personne ne laissait jamais de message.

Jusqu'au jour où, et c'est à peine si Lester s'en rendu compte, la voix de Suzie sortit du répondeur. Lester crû à un rêve, il n'en était rien.

"Bonjour Lester. J'espère que tu vas mieux. Je suis confuse de ne pas t'avoir répondu plus tôt, mais il me fallait du temps. Tu sais, les hommes ne m'ont jamais fait de cadeau non plus, tu peux me croire. Si tu veux qu'on parle, n'hésite pas à m'appeler. Salut"

C'est d'abord une immense joie qui envahit Lester. Pour vite laisser place au désarroi. Il avait beau essayer de la joindre, rien n'y faisait. Il composait et recomposait le numéro des dizaines de fois en un laps de temps record, personne ne décrochais jamais. Il resta scotché comme ça à son combiné pendant au moins deux heures. Au final, fou de rage, il jeta son téléphone qui explosa en mille morceaux contre le mur. Il se traina ensuite jusqu'à sa boite de médicament, évidemment vide. Il lui fallait une autre ordonnance, et ne trouvant pas son téléphone mobile, prit son courage à deux mains pour se rendre directement au cabinet du docteur Rosenberg.

Sur le chemin, Lester titubait. Ses pensées, pas claires, tournaient vaguement autour de Suzie. La seule phrase que son cerveau réussissait à articuler clairement était que seuls Suzie ou des médicaments l'empêcheraient de se suicider. Et en l'absence de sa douce, il priait pour que Rosenberg lui en prescrive de nouveau.

Mais, arrivé devant l'immeuble du brave médecin, quelque chose ne tournait pas rond. La rue était encombrée de véhicules de police, de pompier et d'urgence. Des passants larmoyants s'adressaient aux agents avec leur voix chevrotante. Lester tenta d'atteindre la porte de l'immeuble, mais un pompier l'en empêcha.

- On ne peut pas vous laisser passer monsieur. Pas maintenant.

- Mais pourquoi ? demanda Lester avec une voix faible de mourant.

Il n'obtenu pas de réponse, l'homme paressant particulièrement affairé. Tout le monde semblait l'être. Des gens en uniforme couraient, tandis que les piétons s'affolaient et hurlaient une peine inexplicable. Tout était si bruyant autour de Lester. La Terre semblait tourner à une vitesse anormale, et il se sentait au ralenti, prit d'un vertige nauséeux. Sa peau prit une teinte plus pâle encore.

- Mais qu'est ce qui se passe ?

Sa voix, bien trop basse, ne fit réagir personne.

- QU'EST-CE QUI SE PASSE ??? Hurla-t-il avec le peu de force qui lui restait.

C'est alors qu'on lui répondit enfin. Une voix qui semblait venir de nulle part.

- Tout le monde l'aimait, dans le quartier. Un taré vient de poignarder le docteur Rosenberg.




[i]Lester rentra chez lui sans même sans rendre compte. La nuit était tombée, et il avait tellement pleuré qu'il ne lui restait plus de larmes. Dans son appartement, il de dirigea vers sa cuisine pour y saisir un couteau de boucher dont il ne se servait jamais. La douleur était bien trop forte, Lester ne pouvait plus la supporter. Il se mit torse nu et pointa la lame contre son torse.

Puis, comme par reflexe, détourna la tête pour fixer la pochette de METAL MACHINE MUSIC. Et parla à voix haute :

- Tout, sauf mourir dans le silence.

Il plaça le disque dans sa platine, pour la dernière fois de sa vie, pensa-t-il. Il appuya sur "Play".

Et METAL MACHINE MUSIC retentit.


A suivre.


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyJeu 2 Oct - 16:44

METAL MACHINE MUSIC

III


Les ondes suicidaires qui assaillaient la matière grise de Lester s'arrêtèrent net. Un crissement pâle et inhumain les laissait sur place, immobiles. Lester lâcha son couteau et s'assit confortablement sur son canapé. Le son envahissait l'oxygène même de son appartement, s'infiltrait dans tous les pores de sa peau, dans tous les orifices du corps. C'était un bruit aigu et continu parsemé de distorsions tranchantes sorties d'instruments qui n'ont probablement jamais existés. Les yeux de Lester, habituellement en très bon états, se mirent à rendre une image floue.

Rapidement, les pensées négatives de Lester s'estompèrent, se perdirent dans cette symphonie extra-terrestre comme des larmes dans de l'eau de pluie. Le docteur Rosenberg n'existait même plus en souvenir et Jules se désintégra en poussières de neurones.

Seule Suzie subsistait dans la tête de Lester. Mais elle paraissait si loin. Son image demeurait comme un négatif de pellicule, et son visage obscur avait des traits inexacts, qui ne correspondaient pas à la réalité.

Rien ne perturbait Lester dans son écoute religieuse. METAL MACHINE MUSIC était bel et bien une anesthésie. Non seulement il ne ressentait plus de douleur, mais en plus, celle-ci paraissait ne jamais avoir existé. Ni les anxiolytiques, ni la cigarette, ni les drogues ou l'alcool qu'il avait put absorber dans sa vie ne l'avaient rendu si insensible à ses démons. Cette musique informe sortie de nulle part congelait les troubles de son âme.

La nuit fit place à l'aube, puis le jour apparut. Lester ne changea pas de position jusqu'à midi, quand son téléphone portable, qui était en fait dissimulé sous son canapé se mit à sonner. Il se leva d'un bond, et repensa à Suzie avec plein d'espérance. Il voyait encore trouble, et mit du temps à retrouver son mobile. Enfin, il décrocha.

- Suzie ???

- Lester ! C'est Jules ! C'est quoi ce bordel derrière toi je t'entends pas !

Effectivement, le disque continuait de tourner. Lester ne l'avait pas remarqué. Il baissa le son à fond, ce qui laissa place à un silence tonitruant, un silence de mort angoissant.

- Alors, qu'est ce que tu glandes en ce moment ? Ton fixe ne marche pas. Tu fais pas la gueule au moins ?

- Euh, quoi, pardon… ?

- Je dis : tu fais pas la gueule au moins ?

Lester ne saisissait pas la phrase. Il entendait bien ce qui était dit, était capable d'analyser les mots un par un, mais pas de les comprendre dans leur ensemble.

- Tu parles trop décousu, dit Lester.

Jules resta coi. Il ne s'attendait pas du tout à une réponse pareille, et ne comprit pas exactement ce qu'elle voulait dire.

- Bon écoute, passe à la maison dans la journée si tu veux, j'ai de la colombienne qui vient d'arriver, mon vieux tu vas tomber par terre. Si avec ça tu retrouves pas le sourire, alors je peux plus rien faire pour toi !

Lester réussit à déceler le ton jovial de son ami. Il mit quelques secondes supplémentaires à se rappeler des rudiments de la langue française, et répondit enfin :

- Non, je fais pas la gueule.

De l'autre côté de la ligne, Jules est, une fois encore, perplexe.

- D'accord, Lester, héhé… Passe quand tu veux.

- En fait aujourd'hui je ne pourrai sûrement pas, répliqua-t-il, soudain très vif. J'ai des tas de courses à faire, si tu savais, mon frigo est vide et mon appart' a vraiment besoin d'un bon rangement ! C'est un bordel ici, j'te dis pas !

Jules termina la conversation en lui proposant de venir à une soirée qu'il organisait chez lui dans les prochains jours avec des collègues de son travail, dont une serveuse particulièrement bien roulée qui lui ferait vite oublier sa Suzie. Lester lui répondit positivement d'un ton enthousiaste, sans même avoir besoin de se forcer. Ils raccrochèrent tous deux le sourire aux lèvres.

Lester retourna directement vers sa platine et remit le son. Il se demandait en fait comment le disque avait put durer toute la nuit. Après une écoute prolongée et une analyse pertinente, il découvrit que les trois dernières secondes du quatrième et dernier morceau étaient répétées sans cesse. Il monta le son à fond et alla prendre une douche.





Dans sa salle de bain, devant sa glace, tout en observant son visage fraîchement rasé, Lester se félicita. Il ne s'était pas lavé depuis deux semaines. Ravi de son exploit personnel, il entreprit un brin de ménage, qui s'étala finalement sur deux bonnes heures. La tâche terminée, il ouvrit sa grande fenêtre qui donnait sur la rue pour profiter du soleil qui resplendissait. Il fit dorer son visage en l'exposant au ciel, les lèvres garnies d'un sourire béat. Il ne pensait à rien. Il regarda l'immeuble à quelques mètres en face où un voisin, lui aussi posté à sa fenêtre et visiblement en colère, baragouinait des choses incompréhensibles en faisant de grands gestes dans sa direction. Lester l'observa, malgré sa vue qui ne s'était toujours pas améliorée, et tenta de comprendre les agissements de l'homme. Deux minutes lui suffirent à comprendre que le message lui était bien adressé. Mais, il ne parvint pas à le décoder. Il décida alors de sortir faire un tour, d'ailleurs, il avait besoin de provisions.

- ARRETE TON PUTAIN DE BOUCAN !!! TU FAIS CHIALER MES MOMES !!! hurlait le voisin.

Lester quitta les lieus sans penser à mettre un terme à l'enfer métallique que crachaient ses enceintes. Par contre, la pensée lui vint que ces deux enceintes étaient bien vieillottes et plus aussi efficaces qu'autre fois.

Dans la rue, le brouhaha ambiant était vraiment pénible. Heureusement, il n'avait besoin que d'acheter des cigarettes, une bouteille de vin et un paquet de pâtes. Il n'en aurait pas pour longtemps.

Arrivé au tabac, Lester ne parvint pas à se rappeler quelle marque de cigarette il avait l'habitude de fumer. Il lui semblait que le paquet était rouge, peut-être un peu blanc aussi. Il devait y avoir un "W" dans le nom… S'il n'y avait pas tout ce vacarme, ces voitures, les gens, leurs discussions et leur respiration, le chant des oiseaux et leurs battements d'ailes, ces bruits de pas, il pourrait probablement mieux se concentrer et se souvenir. Mais qu'importe. Lester n'avait même pas envie de fumer, la pensée même d'avoir des cigarettes en sa possession lui paraissait aberrante. Il décida de ne pas s'encombrer de tabac.

Il traversa alors la rue en se bouchant les oreilles pour atteindre l'épicerie. Une fois à l'intérieur, il se dirigea au rayon alcool, et eut beaucoup de mal à déchiffrer les étiquettes des bouteilles de vin rouge. Il distinguait tout aussi mal le prix, et pensa même qu'il serait temps de contacter son opticien. Il fit l'impasse sur le vin, qui ne le tentait guère de toutes manières, et, oubliant carrément qu'il avait un estomac qui pourrait avoir besoin d'être remplit, il partit sans acheter de nourriture non plus.

Il préféra entamer gravement ses économies dans un magasin Darty où il n'avait auparavant jamais mit les pieds. Il acheta un ordinateur portable, un baladeur mp3, une dizaine de cd vierges, des cassettes audio, et demanda conseil au vendeur pour une chaine HI FI haute fidélité. Lester lui dit qu'il était près à y mettre le prix et qu'il ne fallait pas hésiter à lui montrer directement les produits de meilleure qualité. Il exigeait avant tout un son impeccable.

- Alors autant passer directement à cet objet, lui dit un vendeur de petite taille aux yeux pétillants. Vous avez l'air d'un connaisseur, je crois que je n'aurai pas besoin d'arguments pour vous convaincre que ceci est une merveille.

Il parlait d'une chaine argentée avec quatre amplis de taille impressionnante. Le prix était indécent. Le jeune vendeur alluma l'engin et augmenta le volume. Une des chansons de Dark Side of the Moon y était diffusée. Lester ressentit soudain un malaise.

- Vous entendez ça ? continua t-il avec un sourire commercial carnassier, on dirait que David Gilmour joue juste à côté de nous ! Fermez les yeux, vous entendez la précision de ces petits bruitages psychédéliques ? On croirait presque qu'on pourrait les saisir comme s'il s'agissait de petits objets volants, vous ne…

- Je le prends, le coupa Lester, la respiration saccadée. Je le prends à condition que vous coupiez la musique tout de suite.

Le vendeur ne se fit pas prier. Lester poussa un "ouf" de soulagement, et accepta d'être livré dans les plus brefs délais. Lorsqu'il rentra chez lui, la gardienne de l'immeuble l'attrapa dans les escaliers, et lui demanda s'il pouvait arrêter tout ce bruit, si ça ne le dérangeait pas, car cela stressait les voisins. Lester, soudainement attentif aux klaxons stridents provenant d'une rue proche, mit un moment à répondre.

- J'y travaille, madame. J'y travaille.





S'il dû enfin arrêter de faire tourner METAL MACHINE MUSIC, c'est parce que les livreurs venaient de lui apporter tout son matériel couteux et flambant neuf. Il fut bien obligé de débrancher sa bonne vieille platine. Il passa alors deux journées sans dormir, sans manger, sans boire ou fumer. Son corps n'était rattrapé par aucun besoin naturel, son esprit ne demandait aucune distraction. Même sa barbe semblait ne pas pousser. Toute sa concentration était dédiée aux manuels d'utilisation ou modes d'emplois de l'ordinateur et de la chaine HI FI, en particulier. Il avait retrouvé de vieilles lunettes de vue qu'il utilisait au collège, et cela rendait la tâche légèrement plus aisée. Lorsqu'il parvint enfin à les faire fonctionner, il chercha un moyen de copier les vynils sur ordinateur. Il dû refaire un aller-retour au magasin, redemander conseil au vendeur et revenir avec plus de matériel encore.

METAL MACHINE MUSIC enfin dans l'ordinateur, il le grava sur tous les CDs vierges et en enfourna un dans la chaîne, qu'il mit en mode "repeat all". Il enregistra aussi l'album sur ses cassettes audio et n'oublia pas de transmettre les données sur son lecteur mp3. Ainsi, ses chances de perdre METAL MACHINE MUSIC étaient plus que minces.

Quand tout fut enfin terminé, il tourna le son à fond et s'affala une nouvelle fois sur son canapé. Une bonne chose de faite, se disait-il. Les yeux toujours ouverts dans le vide, il s'abandonna à ce long fracas métallique.

Il s'agissait d'un destructeur d'émotions, de pensées, de sentiments. C'était le disque du vide, du rien, de l'absence d'objets, de vie, de mots, de l'absence de présence, le lavage de cerveau ultime. Son esprit était comme essoré. Il avait oublié tout sentiment de détresse, comme si tout cela ne l'avait jamais ne serait-ce qu'effleuré. Mais il n'éprouvait pas réellement de plaisir pour autant. Le bonheur n'existerait pas sans la tristesse, dit-on, et c'était ici le cas. Il s'était d'abord posé des questions sur l'essence même d'une pareille absurdité même pas musicale, sur son origine, sa signification, son concept… Puis avait tout oublié. Peut-importait. METAL MACHINE MUSIC se suffisait à lui-même et se passait de commentaire. Il commença à nouveau à entrer dans une transe faisant fusionner la détente et la tétanie, la jouissance et l'angoisse, la béatitude et l'horreur. Tous ces concepts intouchables s'accouplaient dans une partouze anarchique pour donner naissance à un gros RIEN se refusant à toute description.

Finalement, c'est encore la sonnerie du téléphone mobile qui tira Lester de son labyrinthe sans mur.

- Suzie ?

- Non, répondit Jules d'un ton blasé.

Puis, haussant la voix pour tenter de couvrir ce raffut insupportable :

- La petite soirée chez moi, tu te rappelles ? C'est ce soir.

Lester chercha quelques instants ses mots, puis répliqua :

- J'arrive.

Sans même se demander s'il avait vraiment envie d'y aller, Lester saisit son baladeur, enfila le casque, mit le son à fond et sortit de chez lui sans prendre la peine d'éteindre sa chaîne HI FI.


...


Sur le chemin, tout était terriblement lent au regard de Lester. Sa marche était rapide et assurée, quand bien même il ne faisait aucune attention à son environnement : il bousculait violemment les passants qui s'offusquaient sans qu'il ne le remarque. Certains lui hurlaient des insanités mais celles-ci ne parvenaient pas aux oreilles de Lester : elles ricochaient contre ses écouteurs qui braillaient un cauchemar sonore. Il avait en lui comme un GPS qui lui indiquait précisément la marche à suivre, mais aucun conducteur afin d'éviter les obstacles. Les voitures freinaient au maximum et crissaient des pneus pour ne pas le renverser quand il traversait la route. Il pouvait aussi s'estimer chanceux de n'avoir marché dans aucune déjection canine. De plus, sa vue ne s'était pas améliorée, au contraire : il lui était désormais impossible de détailler convenablement un visage humain, et encore moins de lire des directions sur des panneaux. Dans sa tête, seule demeurait la sensation d'un monde qui tournait au ralenti sur une bande originale fantomatique.

Son champ de vision, déjà de mauvaise qualité, fut d'un coup altéré par une silhouette remuante aux intentions mystérieuses. La nuit venait de tomber, et cette tâche brunâtre qui flottait devant ses yeux lui rappela pendant une fraction de seconde des films de loup-garou qu'il avait pu voir étant plus jeune.

La tâche brunâtre était en fait bel et bien un être vivant : Lester ne reconnut pas le clochard qui passait ses journées à essayer de refourguer un billet à moitié brûlé. Il s'agitait comme un beau diable pour faire réagir Lester qui avançait avec la délicatesse d'un bulldozer, impassible. Les paroles et les requêtes du pauvre homme étaient totalement ignorées, pire, elles n'étaient même pas remarquées. Face à tant d'indifférence, il perdit patience et retenu Lester par sa veste, qui, enfin sortit de sa léthargie, regarda bêtement l'individu en remarquant qu'il s'agissait effectivement d'un homme. Lester retira l'un de ses écouteurs plus par réflexe que par politesse. Mais ne parvint pas à se concentrer suffisamment pour traduire les palabres du vagabond. Ce dernier lui tirant toujours la veste pour l'empêcher de marcher, Lester conclu qu'il fallait lui donner sa veste, ce qu'il fit sans s'arrêter ou se poser de question. Le clochard se stoppa net, observant son trophée qui n'avait rien à faire dans sa main. Perplexe, il articula un merci plein d'incompréhension alors que Lester était déjà loin.

Lester composa le code à toute allure et monta les escaliers quatre à quatre, oubliant même qu'il y avait un ascenseur. Il frappa des coups très forts à la porte, oubliant même qu'il y avait une sonnerie. Jules lui ouvrit tout sourire, les yeux pétillants comme du champagne, et, surprit de voir Lester si peu vêtu malgré la fraîche température, lui dit d'entrer avant d'attraper froid.


A SUIVRE


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyLun 13 Oct - 22:30

METAL MACHINE MUSIC
IV


Les écouteurs toujours greffés aux oreilles, Lester s'était installé dans un coin du salon où la dizaine d'invités discutaient, riaient ou apprenaient simplement à se connaître.

Jules déambulait parmi eux, les yeux rouges du type qui a commencé la soirée avant tout le monde. Il échangeait deux ou trois mots avec chacun, l'air rigolard, et retournait frénétiquement se servir de rhum sur la grande table recouverte de bouteilles qu'il avait installée. Les hôtes de la soirée, des trentenaires bourgeois bohèmes habillés classe mais pas trop, le regardaient avec amusement en échangeant des palabres sur les dernières frasques politiciennes, la filmographie d'Emir Kusturica, la nourriture bio ou la reformation de Police. Jules s'intéressait particulièrement à ce dernier sujet, tout en retournant systématiquement vers sa chaîne Hi Fi pour y mettre une série de groupes new wave des années 80 inconnus au bataillon.

L'ambiance était détendue, mais Lester restait seul, muet, l'ouïe exclusivement consacrée à ses écouteurs. Certains invités faisaient des remarques discrètes et moqueuses sur cet étrange personnage qui semblait être l'incarnation de l'hostilité. Jules, dont la bonne volonté semblait inépuisable, se dirigea alors vers lui et lui retira gentiment ses écouteurs.

- Allez, participe à la fête un peu, bois un truc ! Tu veux goûter ma colombienne ? J't'en supplie vieux, ne reste pas dans ton coin !

Pour toute réponse, Lester lui envoya un sourire glacé qui ne laissait rien transparaître. Il hocha la tête comme un robot. Jules lui désigna alors une fille qui semblait capter l'attention générale. Il faut dire qu'elle était particulièrement belle, avec ses longs cheveux noirs et ses incroyables yeux verts. Elle portait une robe absolument affolante sur ses formes impeccables et décochait des sourires comme des flèches de Cupidon. Lester mit un certain temps à la distinguer, et Jules lui chuchota alors :

- C'est elle, la serveuse dont je t'ai parlé. Elle s'appelle Emma. Bon, elle est pas célibataire, mais ne t'inquiètes pas, je suis sûr que ça peut s'arranger. Avoue quand même qu'à côté, Suzie peut aller se rhabiller ! ajouta t-il en gloussant.

Suzie. C'est le seul mot que Lester réussit à déchiffrer correctement. Suzie. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas pensé à elle. Jules était reparti fanfaronner auprès de sa cours, abandonnant Lester à ses névroses de célibataire. L'un des invités c'était mit à rouler un joint, un autre ouvrait une bouteille de champagne, Emma éclatait de rire à chaque fois qu'un des invités de sexe masculins disait une sottise. Jules alla chercher dans sa cuisine des petits fours qu'il avait préparés avec amour, et tout le monde le félicita de la bonne odeur qui régnait dans la pièce.
Lester ne sentait rien. Tout comme sa vue, son odorat l'avait partiellement abandonné. Il ne fit pas attention à l'arrivée des amuses gueules. Il se rappelait que Suzie lui avait laissé un message, et qu'elle voulait probablement lui parler. Peut-être voulait-elle s'excuser, peut-être voulait-elle revenir dans sa vie, peut-être voulait-elle simplement une dernière nuit d'amour.

Ravi du succès des ses friandises, Jules remplit son verre pour la énième fois et mit un disque des Smiths dans sa chaîne, sous l'approbation générale.

Si Suzie avait rappelé, il devait bien y avoir une raison. A moins qu'elle n'ait fait ça avec insouciance, sans se douter un instant combien Lester en souffrirait. Lester se dit qu'il aurait dû insister, la rappeler encore et encore, et qu'en laissant tomber, il l'avait peut-être bien définitivement perdue.

Emma voulu absolument mettre son best of de U2 en fond sonore. Jules, qui n'était pas insensible à son charme, accepta à contre cœur mais avec un enthousiasme sur-joué parfaitement ridicule.

Si Lester avait vraiment perdu sa Suzie, il était perdu. Elle, et Elle seule, faisait de lui un homme. De plus, le docteur Rosenberg n'était plus là pour le soutenir. Lester se sentait seul et coupable, coupable d'être un homme faible incapable de mener sa vie ailleurs qu'à la catastrophe.

Un garçon invita Emma à danser sur Sunday Bloody Sunday. Celle-ci accepta volontiers, et ses mouvement de hanches désarmants achevèrent de faire passer inaperçues toutes les autres filles présentes.

Suzie et ses yeux de braise, Suzie et ses caprices, Suzie et ses inquiétudes, Suzie et son sourire, Suzie et ses baisers, Suzie nue…

Quelqu'un mit en lecture le duo entre Queen et David Bowie tout en couvrant le morceau d'éloges. Jules reprit les choses en main en assurant à nouveau le rôle de disc jockey, sa tolérance avait des limites. Il passa un de ses disques au hasard et retourna faire le zouave devant tous ses amis qui ne demandaient que ça. Emma était légèrement ivre, au grand bonheur de tous les hommes de la pièce. Les autres filles étaient juste transparentes et muettes.

Lors de la dernière partie de soirée, tous entrèrent dans des débats passionnés sur fond de guerre en Irak ou de réformes diverses et variées. Sauf Lester, qui, torturé par ses pensées obscures, trouva soudain un moyen d'oublier. C'était si évident, comment il avait put ne pas y penser ? Il ne se dirigea pas sur la table couverte de bouteilles d'alcool en tout genre, et n'alla pas demander à Jules s'il pouvait goûter sa fameuse herbe miraculeuse. Il prit une copie CD de METAL MACHINE MUSIC qu'il gardait toujours sur lui et le fourra dans la chaîne HI FI. A peine le disque démarra qu'il se mit déjà à tout oublier. Il s'enfonça dans le fauteuil qu'il n'avait quasiment pas quitté de la soirée, et ouvrit grand les yeux pour ne rien regarder.




Au départ, personne ne prêta vraiment attention à la non-musique dégueulée par les enceintes. Mais peu-à-peu, chacun cessa de parler, et le débat enflammé agonisa pitoyablement. Laissant place à METAL MACHINE MUSIC. Jules, maintenant ivre mort, lança un regard hilare à Lester et balbutia qu'il avait pété les plombs avec sa musique de taré. Un autre invité éméché demanda sur un ton rigolard ce que c'était que cette horreur, mais Lester n'entendit pas la question. Les vannes à l'intention de Lester fusèrent alors, d'abord gentiment moqueuses puis de plus en plus cruelles. Lester, de marbre, augmenta le son alors que tout le monde s'était mit à rire aux éclats. Seule Emma, qui semblait subitement sobre, ne trouvait pas ça drôle.

- Tu peux arrêter ça, s'il te plait ?

Lester ne remarqua pas la requête. Emma semblait vraiment mal-à-l'aise. Les rires s'arrêtèrent peu à peu, et elle redemanda alors, avec plus de conviction :

- Tu peux arrêter ça, tout de suite ?

Cette fois, Lester avait entendu. Il la regarda avec une stupéfiante absence d'expression sur le visage et fit :

- Ca s'appelle METAL MACHINE MUSIC.

Irritée, Emma se tourna vers Jules pour lui demander qui était se taré. Jules répéta une fois à Lester de couper le son, peine perdue. Emma redemanda plus sèchement alors, et, devant la réaction toujours inexistante de Lester, passa au mode impératif :

- Putain, je t'ai dis d'arrêter ça, ça me gonfle !

- Calmes toi, Emma, dit l'un des invités en essayant de se faire protecteur.

- Non, je ne me calme pas, cette musique me rend dingue, qu'il arrête, merde ! Mais qu'il arrête !

Elle continua sur se registre et se mit même à crier. Jules tenta lui aussi de se montrer plus autoritaire avec Lester qui était ni plus ni moins un mur. Les autres se focalisaient sur Emma pour qu'elle reprenne son calme, ce qu'elle fit. Elle répéta doucement :

- Je veux qu'il arrête.

Puis se mit d'un coup à pleurer. L'un des garçons en profita alors pour la prendre dans ses bras, et Jules restait bêtement debout, sans savoir quoi faire. Les quelques larmes d'Emma se transformèrent en gros sanglots. Elle pleurait maintenant toutes les larmes de son corps, tandis que METAL MACHINE MUSIC continuait à hurler inlassablement. Tout le monde fut surprit qu'elle se mette dans un état pareil. On lui demanda alors ce qui n'allait pas, si elle voulait en parler. Au lieu de répondre, Emma se mit à trembler.

- Tu as froid ? Demanda quelqu'un, la voix pleine de douceur.

Toujours pas de réponse. Les tremblements s'accentuèrent. On lui demanda de se calmer, mais au lieu de cela, ses mains se mirent à vibrer plus fort encore. Ses yeux se révulsèrent et son corps fut secoué par de violents spasmes. Les invités, terrifiés, la plaquèrent alors au sol en lui suppliant de respirer lentement. Son souffle était roque et saccadé, et du sang coula de son nez. Tous ses membres s'agitaient frénétiquement, sans que personne ne puisse rien faire. La panique était totale, et Jules restait immobile, horrifié.

- Il faut lui verser de l'eau froide sur le visage ! Hurla un des garçons.

- Faut lui tenir la langue pour pas qu'elle ne l'avale ! Beugla un autre.

On essaya alors de lui ouvrir la mâchoire, mais celle-ci était si serrée et tendue que cela semblait impossible. Elle grinçait des dents. Une des filles chercha des mouchoirs pour éponger le sang qui coulait maintenant abondamment de ses narines. Une autre se mit à pleurer. Une troisième saisit son portable pour appeler les pompiers. Jules, l'estomac retourné par la scène et par tout ce qu'il avait absorbé, se mit à vomir dans un coin de la pièce. Lester ne remarquait rien.

Un des garçons, particulièrement sur les nerfs jeta alors un regard en ça direction. Fou de rage, il lui hurla de couper la musique. Sans résultat. Il se leva alors, prit d'une furie destructrice, et se dirigea vers Lester.

- ARRETE CETTE MERDE !!!

Il saisit la chaîne et la jeta par terre, en y administrant de grands coups de pieds pour être bien sûr qu'aucun son n'en ressortira. Lester avait l'air légèrement surprit. Le garçon enragé attrapa alors Lester par les épaules et le leva d'un bond. Il le tira vers la porte de sortie.

- Fous-moi le camp ! Casses toi d'ici ! Je ne veux plus revoir ta sale petite gueule ! Dégage !!!

Emma continuait de convulser sur le sol à terre, les invités couraient dans tous les sens à la recherche d'une solution, et au milieu de ce chaos, Lester fut mit à la porte. Minuit était passé depuis longtemps déjà, le ciel noir crachait une pluie fine. Il remit ses écouteurs dans ses oreilles, et pensa :

"Si METAL MACHINE MUSIC m'a sauvé la vie, il peut bien sauver le monde."




Alors que le corps de Lester retournait machinalement à son domicile, il croisa une fois encore le clochard qui portais désormais une charmante veste en daim qui n'allait pas avec le reste de sa tenue vestimentaire.

- Salut mon pote ! Merci pour ta veste, elle tient rudement chaud ! T'es un chic type toi !

Lester s'arrêta d'un coup de marcher. On aurait dit que quelqu'un avait appuyé sur pause. Il tourna brusquement la tête vers le vagabond, qui eut un mouvement de recul, effrayé par le comportement inexplicable de l'énergumène. Le clochard connaissait bien les rues du quartier. Il en avait rencontré des cinglés, des alcooliques, des drogués, des originaux. Il en avait croisé des qui parlaient tous seuls, d'autres qui ne pouvaient s'empêcher de montrer leur sexe aux passants, il en connaissait même un qui pensait être la réincarnation d'un pigeon qu'il avait écrasé en vélo. C'est dire s'il en avait vu passer. Mais Lester avait quelque chose d'autre. Quelque chose qu'aucun marginal ou défoncé de Paris n'avait. Le clochard était incapable de mettre des mots sur ce sentiment, incapable d'expliquer la raison pour laquelle un tel vertige le saisissait quand il le regardait dans les yeux. Il avait depuis bien longtemps domestiqué sa peur des mauvaises rencontres, lui, le vieux loup des trottoirs du 7e arrondissement, mais voilà qu'elle le reprenait à nouveau, et de manière féroce.

Le silence dura bien trop longtemps, ce que Lester ne sembla pas supporter. Par des gestes brutaux et saccadés, il enleva une chaussure, puis l'autre, ôta sa chemise et déboutonna son jean, sous le regard médusé du clochard. Il prit bien soin de garder son baladeur sur lui. Une fois en caleçon, Lester jeta ses affaires vers le clochard et partit sans bien sûr rien ajouter. Il se mit à pleuvoir, et Lester n'eut pas la chair de poule.

Quand il arriva dans son immeuble et commença à monter les escaliers, presque tous ses voisins l'attendaient, chacun sur son palier. Lester n'avait jamais éteint sa chaîne, et avait ainsi empêché tout son immeuble de dormir. Pourtant, pas un n'avait osé appeler la police pour tapage nocturne. Et pas un ne s'offusqua de voir apparaître Lester en caleçon alors qu'il était presque trois heures du matin. Ils étaient juste là, hébétés, les yeux à demi ouverts. Il se balançait de droite à gauche si doucement que c'était presque imperceptible. On pouvait entendre METAL MACHINE MUSIC depuis l'appartement de Lester, la bande originale parfaite pour ce genre de spectacle sordide. Lorsque Lester passait devant chacun d'entre eux, ils tournaient mollement la tête vers lui, et leur curiosité semblait à peine s'éveiller. Lester ne remarqua rien. Il rentra chez lui, s'allongea et écouta.




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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyLun 13 Oct - 22:31

Après avoir essayé des centaines de fois de lui téléphoner, Suzie décida de prendre son courage à deux mains et de rendre visite à Lester. C'était un dimanche après midi grisâtre particulièrement déprimant, qu'elle se refusait de passer seule. Finalement, elle souffrait de l'absence de Lester et se rendait compte en toute simplicité qu'elle l'aimait encore. De plus, son refus de communiquer la bouleversait. Elle s'inquiétait pour lui, le savait fragile et s'en voulait d'avoir été si injuste. Elle n'avait cessé de penser à cette histoire pendant des semaines.

Elle se rappelait du code de la porte d'immeuble, comment aurait-elle put l'oublier. En pénétrant le bâtiment, elle salua la concierge qui semblait complètement à l'ouest, les yeux rivés au plafond. Le malaise la gagna quand elle commença à monter les étages : les voisins étaient tous là, envahissant les couloirs, collés aux rambardes d'escalier. Tous avaient les yeux rivés sur la porte de l'appartement de Lester, d'où sortait le bruit désagréable auquel elle n'avait tout d'abord pas prêté attention, pensant qu'il s'agissait de travaux. Quand elle atteint la porte de Lester, elle se rendit compte que le boucan qui en sortait n'était pas seulement perturbant, il était carrément insupportable. Elle balaya des yeux les habitants, toujours aussi impassibles, et, prise d'effroi, sonna à plusieurs reprises. Au bout de quelques dizaines de secondes sans réponse, elle recommença, en jetant toujours un œil discret mais inquiet autour d'elle. Comme il ne répondait pas et que le son lui tapait sur les nerfs, elle frappa très fort à la porte. Elle recommença plus fort encore, et, soudainement prise de panique, tambourina la porte de toutes ses forces.

Elle lança derrière elle un regard remplit d'angoisse, et vit un voisin de pallier porter un index à ses lèvres pour articuler un "chuuuuuuuuut" faible mais sans ambiguïté. Terrifiée, elle saisit la poignée pour essayer d'entrer. Elle eut à peine le temps de l'actionner que la porte s'ouvra violemment, et Lester apparu, droit comme un I, les yeux écarquillés, ne portant rien d'autre qu'un vieux caleçon.

Suzie mit un certain temps à trouver ses mots, et à peine prononça-t-elle un "je t'aime" pleins de trémolos que son nez se mit à saigner. Lester resta silencieux alors que Suzie cherchait désespérément un mouchoir. Lester répondit enfin ce qui serait les derniers mots de sa vie sur Terre :

- Je ne sais pas qui vous êtes, monsieur.

Quand il claqua la porte, Suzie se mit à trembler de peur, et, sans chercher à comprendre ce qui venait de se passer, dévala les escaliers, bousculant les voisins qui ne réagirent pas, et parti dans la rue en courant aussi vite qu'elle pouvait.

A nouveau seul, Lester se remit à sa place initiale et avala par les oreilles les radiations sonores qui sortaient de sa chaîne.




Lester resta là longtemps encore. Immobile. Seul. Sans manger ou boire.

Au bout de quelques jours, son corps se mit à se transformer dans d'atroces conditions. Sa peau devenait flasque, ses joues se mettaient à pendre sur son visage. Ses paupières inférieures étaient si lourdes qu'on distinguait clairement la chair rouge vive sous ses yeux. Son œil gauche laissa couler un liquide brunâtre avant de sortir de son orbite, alors que le droit explosa en faisant un petit "pof". Ses ongles se fendirent un par un pour finalement se dissoudre comme de la poussière. Sa bouche devint si sèche que sa langue se mit à se craqueler et à s'effriter. Son nez se détachait lentement. Ses cheveux tombèrent par centaines, et ses dents se déboitèrent les unes après les autres, laissant des plaies béantes et sanglantes sur ses gencives qui se ramollissaient.

Tout son corps fondait, et cela dura plusieurs jours. Dans les dernières heures de sa vie, alors qu'il ne ressemblait plus qu'à une larve flasque, il traina difficilement le reste de son anatomie en putréfaction jusqu'à la pochette vynil de METAL MACHINE MUSIC où il termina de se muer en une bouillie nauséabonde et répugnante.

Quand Suzie reprit ses esprits, ce qui lui prit plus d'une semaine, elle jugea bon de prévenir la police du drôle de manège qui se déroulait dans l'immeuble de Lester. Des agents débarquèrent alors pour découvrir, médusés, une vingtaine d'habitants de l'immeuble dans un état d'autisme inénarrable. Ils avaient apparemment perdu l'usage de la parole. Les policiers furent obligés de défoncer la porte de l'appartement de Lester, d'où sortaient encore les hurlements de METAL MACHINE MUSIC. L'un des agents éteignit la chaîne, ce qui soulagea toute la patrouille.

Tout ce qu'ils retrouvèrent du corps de Lester furent ses oreilles, encore fumantes et frétillantes, déposées sur la pochette noire foncée de METAL MACHINE MUSIC.



FIN
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... EmptyLun 27 Oct - 22:33

La Bête




I



En rentrant, j’avais pris l’habitude de sortir mon poste de radio du placard, tout juste en dessous de l’évier, et de le poser sur un tabouret près de la fenêtre. Je dépliais l’antenne, préparais mon café pour le soir et m’asseyais sur le carrelage en essayant de capter les stations de nuit en tendant mon bras tout juste au-dessus de la tasse. Il m’arrivait de les chercher pendant des heures, mais une fois trouvées, je pouvais goûter à mon café froid et parfois, - voire souvent, je ne m’en rappelle plus – je m’endormais à même le sol en oubliant d’éteindre. Mes journées filaient vite et je ne prenais pas le temps de connaître mes voisins. Si tout n’avait pas été dérangé, je me serais peut-être arrêté aux étages tout juste au-dessous du mien pour les découvrir, mais à ce moment précis de l’histoire, j’occupais davantage mes jours fériés à me reposer. Et à écouter la radio.


II



C’était un dimanche lorsque le bulletin d’information nocturne s’était trouvé interrompu par une coupure d’électricité générale, mais surtout par l’intervention du vieux d’à côté qui toquait à ma porte – mon poste était portatif, ce qui me permettait de le déplacer de la table au tabouret sans devoir me préoccuper de la prise. Il avait l’air tout excité et avait du me traîner jusque dans sa chambre pour me prouver que sa télévision ne marchait plus. C’est en essayant d’allumer ses lumières – j’avais l’impression qu’il avait toujours vécu dans le noir, c’est pour ça même que je lui avais proposé de lui donner mes quelques cierges qui moisissaient dans un des tiroirs de ma cuisine – qu’il s’était rendu compte du problème et, je ne sais plus comment, on s’était retrouvé dans le hall avec tous les autres habitants de l’immeuble.


III



Il y avait de tout, ça sortait même dans la rue, et ça venait même d’ailleurs. On entendait courir si fort dans les escaliers qu’on aurait cru qu’ils allaient craquer – ce qui ne me donnait aucune envie de remonter – et la porte d’entrée était grande ouverte, chose qui, en temps normal, ne m’aurait pas gêné. Et pendant que la mère des deux enfants du premier – je l’ai compris en regardant les gosses tourner autour de nous – a tenté son approche en me parlant du père parti en voyage et qui était, du coup, impossible de joindre, ils s’étaient tous rejoints – j’avais juste eu le temps de détourner la tête – en courant sur le trottoir d’en face. Il faut dire que je n’avais pas eu peur, le pan de l’immeuble qui avait grimpé de quelques mètres n’était pas celui où je logeais.


IV



Je m’étais fait hébergé cette nuit-là – et d’autres sûrement, si je n’avais pas décidé de rentrer chez moi – par la salle commune de la mairie du quartier, où d’autres résidents d’autres rues avaient eux aussi vécu le même problème. J’avais eu alors la chance – ou non, je veux dire par là qu’à ce moment précis, je maudissais plutôt les circonstances – d’assister aux bavardages des personnes qui m’entouraient, ce qui avait su garder une forte influence sur mon sommeil, qui fut en somme assez court. Eux n’avaient pas dormi, d’autant plus que leurs hypothèses se faisaient de plus en plus absurdes, scindant la masse en plusieurs groupes – j’avais eu la fâcheuse idée de choisir le lit à côté du groupe des grandes bouches, les plus secoués.


INTERLUDE



J’avais décidé le lendemain de retourner chez moi, pour ne pas gêner la municipalité – j’avais surtout pensé à finir mes provisions de la semaine, nous étions lundi et j’avais pris du retard – et c’est en arrivant sur le pas de ma porte qu’une foulée de gardiens de la paix et de la cité m’ont obstrué le passage en me posant tout un tas de questions. J’avais alors profité de leur dos tourné – j’avais échappé à un calvaire – pour pénétrer dans mon immeuble, et décidant de descendre à la cave – l’escalier était bloqué par de lourdes planches de bois –, j’avais pris soin de ne pas laisser de traces derrière moi – l’insistance des gardiens m’avait déjà fait perdre assez de temps. Mais en fouillant – enfin ! – dans mes cartons de conserves, ils s’enfoncèrent d’eux-mêmes dans le sol en ouvrant une brèche de quelques mètres – ce qui, compte tenu des multiples situations qui s’étaient présentées à moi jusqu’à maintenant, m’avait profondément ennuyé. Soucieux de perdre mes dépenses, je m’étais alors mis à la tâche d’agrandir le trou – ce qui n’était, en définitive, pas bien compliqué, étant donné que j’avais descendu ma mallette à outils le mois dernier – et, rapidement, il fut assez élargi pour que je m’y engouffre.


I



Bien heureusement, j’avais pris le soin de poser une échelle derrière moi, de façon à ne pas rester bloqué en bas. Si je m’étais douté que je ne serais jamais remonté, j’aurais sûrement pensé à tenter de recouvrir le trou tout juste au-dessus de moi – qui, entre nous, n’était finalement pas si grand. C’était en prenant le carton de conserve que j’étais resté des heures à les contempler. Elles vacillaient et s’entrechoquaient parfois, poussées par les secousses. Et à les regarder danser, je m’étais rendu compte – au bout d’un certain temps que je ne pourrais définir – que ce n’était pas leur tintement que j’écoutais. C’était la radio.


II



Le bulletin d’information nocturne résonnait jusqu’à moi et mon souci de découvrir la source de son émission m’avait alerté quant au petit couloir qui s’enfonçait dans l’obscurité. Je ne pensais plus à remonter, et avançant doucement – j’étais véritablement poussé par la curiosité – en tenant mon carton dans les bras, je pouvais entendre le monde qui s’agitait en haut, dans l’immeuble. Je tâtais le sol avec mes pieds pour éviter de me tordre je ne sais quoi, ce qui m’était, en définitive, profitable compte tenu du long escalier que j’avais fini par descendre. Les échos du monde extérieur laissaient la place, petit à petit, au vacarme grandissant de l’émission de la radio. Les murs commençaient à s’effriter d’eux-mêmes, et je ne sais plus comment, je m’étais retrouvé dans une gigantesque salle souterraine soutenue par plusieurs piliers.


III



Tout tremblait tellement fort, j’avais l’impression que je me ferais engloutir d’un moment à un autre par l’effondrement du plafond. Je ne pouvais plus reculer. Et c’est en explorant davantage l’endroit que j’avais enfin aperçu la réponse au phénomène. Un homme se trouvait debout sur un grand échafaudage avec son poste de radio à ses côtés. J’avais pensé le gravir, mais je ne voulais pas abandonner mes conserves, aussi était-il descendu lorsqu’il avait capté ma présence. En m’invitant à s’asseoir à même le sol, il s’était emparé de ma nourriture et me faisait comprendre qu’il voulait la partager avec moi. Et lorsqu’il eut enfin l’intention de me parler, la salle s’était élargie de plusieurs mètres en poussant un grondement qui paraissait en parfaite concordance avec la musique de présentation du reportage matinal. Et couvrant les nuisances sonores, il m’avait enfin tout expliqué.


IV


Et bercé, je m’étais endormi.




L'homme à la valise.
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