Bon ça y est, j'ai tout bouffé, tout avalé Twin Peaks. Mon cher Art, c'est une expérience incroyable. Voici la chronique que j'en ai fait pour un site. Sans spoiler, qu'on se rassure.
Tout comme Tim Burton ou Tarantino, David Lynch est depuis quelques temps l’objet d’un effet de mode particulièrement énervant. Comprenez, vous devez aimer Lynch, sinon vous prenez le risque de n’être qu’un prolo inculte qui ne comprend rien au cinéma. Et si vous ne voyez pas de quoi je veux parler, c’est que vous n’avez jamais rencontré cette race étrange et inquiétante de cinéphiles avertis, qui ont juré de dire non à la drogue après Requiem for a Dream et de ne jamais être raciste après American History X, mais qui en revanche n’ont jamais renoncé à la connerie après La Cité de la peur. Ainsi, j’avais tourné le dos à Lynch, même si j’avais apprécié ses films, même si j’avais adoré Blue Velvet. Genre,
je ne veux pas être comme eux.
Mais ça, c’était avant que je ne découvre Twin Peaks. Il y a près de vingt ans, auréolé de son succès critique avec Blue Velvet, David Lynch écrit et produit cette étrange série en collaboration avec le scénariste David Frost. Malgré sa courte durée (30 épisodes), Twin Peaks deviendra l’une des plus grosses icônes de la télévision des années 90. Et pour cause, Twin Peaks, à l’époque, c’est du jamais vu, et aujourd’hui il est encore difficile de trouver une production télé comparable. X Files ? Mouais. Lost ? Hmmpf. En fait, le mot clé ici, c’est mystère. Aucune série n’a jamais réussit à être aussi mystérieuse que Twin Peaks.
Twin Peaks n’aurait pu être qu’une banale série policière un peu ennuyeuse, puisqu’initialement elle ne repose que sur la simple mais cruciale question « Qui a tué Laura Palmer ? » ( si ça vous fait penser à une bouffonnerie avec Kad et Olivier, sachez que ce n’est pas un hasard). Mais voilà, dès le premier épisode où l’on découvre le cadavre de la pauvre jeune fille d’à peine 17 ans, derrière cette ambiance pesante de deuil général, on sent que quelque chose de bien plus terrible se trame. Bien que l’impeccable et rassurant agent du FBI Dale Cooper s’occupe de l’enquête et veille au grain, le mal qui menace la petite bourgade de Twin Peaks semble bien trop monstrueux pour être anéanti.
Alors tandis que les intrigues se multiplient autour de nombreux personnages, Lynch enchaine les images bizzaroïdes et inquiétantes en gardant pudiquement ses secrets. On croise un géant donnant des indices qui frappent l’inconscient, un nain qui danse, un manchot flippant récitant un poème perturbant, des hiboux, un cheval blanc qui n’a rien à faire là… Et surtout, cet énergumène peu recommandable, aux longs cheveux gris et aux yeux froids comme la mort, qui apparait dans les visions de différents personnages pétrifiés de peur. C’est simple, celui là, dès qu’il apparait à l’écran, on est tétanisé. Qui est-il ? Existe-t-il ? Que veut-il ?
Mais l’étrangeté de la série ne s’arrête pas là. Parce que, à côté de ces passages de terreur inexplicable, il y a des gags burlesques parfois complètement crétins, de la romance parfois complètement ringarde, du Soap hystérique façon Dallas, du mélodrame déchirant, de la science fiction ; Twin Peaks ne se résume pas, il est un hybride complètement frappadingue composé de tout ce qui s’est fait et tout ce qui ne s’est pas fait à la télévision, exploitant toutes les possibilités d’un univers sorti d’un esprit malade, faisant vibrer toutes les cordes sensibles.
Si l’interprétation n’est pas toujours au top niveau, ce défaut est balayé par la présence d’actrices incroyables à la beauté magnétique (Lara Flynn Boyle, Shelly Johnson) par des rôles secondaires attachants (Ray Wise, Richard Baymer), mais surtout par le charisme unique de Kyle MacLachlan dans le rôle principal (l’agent Dale Cooper, donc). Lui, on aimerait qu’il existe, tant son personnage est discrètement émouvant, drôle, intelligent, et plus simplement… Sympathique. Demandez à toute personne ayant vu Twin Peaks s’il n’adorerait pas partager un café et une tarte aux cerise avec l’agent Cooper.
Bien sûr, Lynch gardera beaucoup de ses secrets, et on pourra débattre longtemps sur des faits non élucidés, des scènes si insolites qu’elles feront beaucoup pour la réputation peu banale de cette production époustouflante.
On n’aura pas fini non plus d’épiloguer sur la fin de la série, une conclusion si inattendue qu’on pourrait peut-être bien la qualifier de fin la plus osé et la plus tétanisante de l’histoire de la télévision. Je n’en dirai pas plus, bien sûr.
Mais ce n’est pas fini ! Car comme Lynch ne se fout pas de la gueule de ses fans (enfin, en tout cas, pas à chaque fois), il a fait les choses bien : deux ans après cette conclusion, se refusant à abandonner si rapidement son bébé aux archives télévisées, le réalisateur se sépare de David Frost et se lance dans l’écriture du prologue de la série pour le grand écran : Fire walk with me, la dernière semaine de la vie de Laura Palmer.
Sans Frost, les côtés les plus mielleux de la série disparaissent. Et dans un format plus permissif comme celui du cinéma, Lynch se lâche. Laura Palmer, dont le fantôme hante irrémédiablement la version télé, devient ici l’héroïne vivante d’un long métrage hallucinant de deux heures. Et dès qu’elle apparait, elle bouleverse à un point rarement atteint. Ses sept derniers jours ont bien sûr un aspect christique, le calvaire est aussi intense que l’est la beauté de l’actrice principale, Sheryl Lee. Le film est aussi plus violent, plus effrayant, plus dingue que la série. Il repousse loin les limites de la narration et de l’illustration, reléguant Mullholand Drive et Lost Highway (pourtant sortis bien après) comme les simples brouillons d’une folie créatrice flippante qui trouverait sa perfection là, dans les méandres à la fois poisseux et lumineux de ce chef d’œuvre ultime qu’est Twin Peaks, Fire walk with me. Ouahou, là, je ne sais plus quoi dire.
Malheureusement quasi-inexistant à la télévision, ce n’est qu’en louant ou en achetant (ou en téléch… euh, non, rien) Twin Peaks que vous aurez une chance de connaître ce paradis insolite. Et, à cette chronique longue comme un jour sans pain, je ne vois qu’une seule manière de conclure :
"Thru the darkness of Future Past
the magician longs to see
one chants out between two worlds
Fire - walk with me."