Un p'tit air de rue
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Un p'tit air de rue

Projet de rue
 
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 Des histoires plus longues...

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JCS
L'homme à la valise
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HeLiuM
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HeLiuM


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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyDim 21 Déc - 16:59

After Hours 2


Elle était la femme d'un médecin très réputé dans tout le quartier, le docteur Rosenberg. Moi-même j'allais régulièrement le voir pour des consultations de routines. Je me rappelle qu'il faisait beaucoup de blagues, qu'il avait un charme que j'imaginais irrésistible pour la gente féminine. Le charme légendaire des médecins, lui, il l'avait. Il me rappelait Georges Clooney dans Urgences. En plus cocu, soit.

Mme Rosenberg venait de me faire passer un moment inoubliable. Et voilà que je me surprends à penser que je me trouve dans le lit du type qui me donnait des sucettes quand il me faisait des vaccins et que je ne criais pas. Mme Rosenberg serre son corps moite contre le miens et me caresse légèrement au creux des reins. Elle me regarde droit dans les yeux, un sourire coquin aux lèvres, et me demande mon nom.

- Paul.

- Et bien, Paul, tu es un sacré coup, fait-elle en riant aux éclats

Je la remercie et me lève pour récupérer mes vêtements. Alors que j'enfile mon caleçon, elle me pose une nouvelle question.

- Et moi, tu ne veux pas connaître mon nom ?

- Vous êtes Madame Rodriguez, j'ai répondu.

- Ne soit pas bête, Paul, répond-t-elle en riant encore.

Elle marque une pause alors que j'enfile mes chaussettes, puis me dit qu'elle s'appelle Emma.

- Enchanté, Emma.

J'enfile mon pantalon et reboutonne ma braguette, puis je farfouille mes poches pour retrouver mes clés.

- Pourquoi est-ce que tu es si pressé de partir ? dit-elle alors avec une moue boudeuse.

Je me tourne alors vers elle pour lui demander ce qu'elle a envie de faire. A mon grand désarroi, elle me répond qu'elle a envie de discuter. Ca ne m'enchante pas tellement, je suis assez fatigué. Il faut dire, la soirée n'a pas été de tout repos. Je me demande même comment j'ai pu avoir la force de baiser. Comme je n'ai pas envie de la vexer et que j'espère bien que ce ne sera pas la dernière fois que je partagerai sa couche, je décide de l'écouter.
- Tu sais, je t'ai souvent vu m'observer depuis ta chambre.

Voilà qu'elle me met mal à l'aise. Je n'ai pas vraiment envie de lui dire ce que je faisais quand je l'observais.

- Et je sais très bien ce que tu faisais en me regardant, ria-t-elle.

- Je n'ai pas vraiment envie de parler de ça, répondis-je en tournant les talons.

Elle me crie alors d'un ton qui sent presque le désespoir de ne pas partir. Je m'arrête et la regarde alors qu'elle me demande mon âge.

- J'ai 18 ans.

- Tu es la plus jeune personne avec qui je n'ai jamais couché. Et tu n'es pas parmi les pires performers ! L'inexpérience, c'est bien plus attirant que tu ne puis l'imaginer. Un corps jeune, innocent, vierge…

- Très flatté, je réponds.

Elle me sourit et, dans un geste enfantin, saisit un oreiller pour s'y lover. Cet interrogatoire me fatigue, je décide alors d'inverser les rôles.

- Quel âge as-tu, toi ?

- Ce n'est pas une question que l'on pose à une femme, me fait-elle, faussement outrée.

- Pourquoi tu trompes ton mari ?

J'ai enfin réussi à la faire taire. La voilà qui baisse les yeux, et je sens bien qu'à ce moment précis elle aurait voulu être toute petite. Je continue en remettant mes chaussures :

- Il est pourtant sympa Docteur Rosenberg. Tout le monde l'aime dans le quartier. Je suis sûr que des tas de femmes adoreraient être à ta place. Tu ne l'aimes donc pas, ton mari ?

Je prends un malin plaisir à mettre les pieds dans le plat. Remuer les consciences pas tranquilles, ça m'a toujours amusé.

- En plus, je ne suis pas le premier. Moi qui observe souvent tes fenêtres, je t'ai déjà vu avec beaucoup de mecs, parfois même plusieurs en même temps ! Une femme qui aime son mari ne fait pas ça.

- Mais j'aime mon mari ! s'écrie t – elle d'un coup.

- Ah, j'oubliai que les docteurs gagnaient beaucoup d'argent. Ca explique bien des choses.

Je pars dans un ricanement tout à fait méprisant tout en me demandant quel besoin j'ai à me montrer si cruel avec mon hôtesse. Après tout, elle ne m'a rien fait à moi. Enfin si, elle m'a fait beaucoup de choses, mais je ne peux pas lui en vouloir pour ça.

- Je comprends qu'on puisse penser que je suis une salope, rétorque t – elle doucement. C'est bien plus simple de s'imaginer que je suis une salope. Tu peux le penser si tu veux d'ailleurs, ça ne m'effleure pas. Mais pourtant j'aime mon mari. Je n'aurai pas fais des enfants avec n'importe qui.

Des gosses ? Ce qui veut dire que je viens de me taper une femme mariée et mère de famille. D'un coup, l'histoire me semble vaguement sordide.

- Oui, j'ai des enfants, deux enfants, elle continue. Te pose pas de questions ils sont en vacances chez leur grand-mère. Et je les aime aussi. J'aime ma famille, mais j'aime baiser aussi, qu'est ce que tu veux que je te dise. Et lui, il… Il ne me touche plus. Au moins depuis la naissance du dernier. J'ai envie de lui, c'est l'homme que j'aime, c'est lui qui arrive à me faire crier comme personne, tu vois ? Mais il me repousse. Parfois j'ai l'impression qu'il me hait.

Elle a les larmes aux yeux. Je me dis que c'est une bonne comédienne, mais qu'elle ne vaut pas qu'on reste jusqu'à la fin du film. Je me prépare à partir, et elle reprend son monologue :

- Il n'est pas normal qu'une femme du 21e siècle aille voir ailleurs quand son mari ne la touche plus depuis cinq ans ? Il ne fait aucune attention à moi, il part en voyage ou en congrès ou en je ne sais quoi tous les deux matins, me laisse les chiards à garder toute seule, et il ne se rend même pas compte quand je fais une dépression nerveuse !

Là-dessus, Mme Rosenberg pleure pour de bon. Moi, j'ai finis de réunir mes affaires, je lui souhaite bonne journée et direction la sortie. Et la voilà qui gueule :

- Hé ! Tueur de flics !

Mon sang ne fait qu'un tour. Des tas de questions viennent se bousculer dans ma tête, sans qu'aucune ne soit assez claire pour que je la formule. J'articule alors :

- Comment tu m'as appelé ?

- Tueur de flics. C'est bien ce que tu es, non, un tueur de flics ?
Je n'ai pas vraiment envie qu'elle aille le crier sur les toits. Ce genre d'exploit, je m'en vanterai fièrement si ça ne risquait pas de m'envoyer en taule. Alors je reprends mon calme et lui demande simplement :

- D'où tu tiens ça ?

- De nulle part, elle a répondu. Je l'ai deviné. Tu baises comme un flingue.

Je décide de prendre ça pour un compliment.


A suivre.
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HeLiuM
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyDim 21 Déc - 18:29

After Hours 3


Ca fait maintenant quelques mois que les deux flics jumeaux et M. Rodriguez ont été retrouvés morts. Le fait divers fait un battage médiatique du feu de Dieu, une enquête est entrain d'ouvrir tous les vieux dossiers concernant les infractions de M. Rodriguez ainsi que les bavures policières de ces dernières années. Les deux flics morts ont un sal passé, les chefs de police sont vus d'un sal œil et on pense même à un complot particulièrement crapuleux qui concernerait certains des fonctionnaires les plus hauts gradés et une partie de la mafia locale. Des secrets morbides sont quotidiennement révélés au public, des têtes tombent et des journalistes s'en donnent à cœur joie. Moi, je n'ai pas été inquiété.

Ca fait maintenant quelques mois qu'Emma Rosenberg ne couche plus qu'avec moi. Je suis désormais son seul amant, et ce n'est pas vraiment pour me déplaire. J'ai attrapé 19 ans il y a deux semaines, et c'est avec elle que j'ai fêté ça. Qui aurait pu croire que la femme du docteur Rosenberg tomberait amoureuse de moi ? Si j'avais toujours des amis, je me serai empressé de leur raconter tout ça dans les moindres détails. La première fois, quand la capote a craqué, quand on a arrêté la capote, la fois dans la cuisine, la fois où j'ai gardé ses mômes, les douches, dans la cage d'escalier, dans l'ascenseur, sur le toboggan du petit parc où on avait retrouvé le cadavre de M. Rodriguez. La fois où docteur Rosenberg est rentré de voyages plus tôt que prévu, aussi.

Il était deux heure du matin, elle et moi étions allongés dans son lit, nus, cela va de soi. On ne dormait pas puisqu'on regardait les clips de la nuit sur m6 sur l'écran plat géant de docteur Rosenberg. Alors que je lançais quelques remarques moqueuses à l'encontre de son mari et qu'Emma faisait semblant de se vexer, on a entendu la serrure se tourner rapidement. Mon premier réflexe a été de sauter du lit pour attraper mon caleçon qui se trouvait je ne sais où. Emma éteignit la télé, ce qui me plongea dans le noir total. Avant de faire semblant de dormir, elle me dit furtivement de me tirer par la fenêtre. L'idée me parut complètement stupide et assez dangereuse. Je préférai me cacher sous le lit histoire d'avoir un petit peu de temps pour réfléchir. Je fis en sorte de respirer doucement alors que le docteur entra dans la pièce en trombe. Il retira ses chaussures sans se baisser et s'affala sur le lit qui me donna un violent coup de latte sur le front.

- Bonsoir chéri, avait dit Emma.

- Bonsoir, a fait le docteur avant de ronfler.

Je me suis dis que c'était le moment pour me tirer de ce vaudeville minable. J'ai mit la main sur mon caleçon et me suis extirpé de sous le lit. Le docteur ronflait tellement fort que je n'ai même pas prit la peine de marcher sur la pointe des pieds, j'ai juste récupéré mes affaires le plus vite possible. Avant de quitter l'appartement, j'ai entendu Emma sangloter. Puis je suis allé dans la cage d'escalier, je me suis rhabillé et je suis rentré chez moi.

Le lendemain, Emma m'avait donné rendez vous dans un café quelques rues plus loin. Elle m'a dit que le docteur n'avait rien remarqué, et j'ai pensé qu'il n'était pas très perspicace. Elle m'a dit que son forum de médecin à Tokyo avait été écourté, et que le décalage horaire l'avait épuisé. Puis elle s'est remise à pleurer et m'a dit que la situation n'était plus possible. J'ai dit que j'étais d'accord.

- Ca devait bien arriver un jour, j'ai ajouté. On a déjà prit beaucoup trop de risques.

- Oui, il faut trouver une autre solution.

Surpris, je lui ai demandé si elle voulait qu'on continue notre relation, et elle a confirmé d'un signe de tête approbateur. Je lui ai donc dit qu'il allait falloir qu'elle quitte son mari. Elle m'a dit que non, parce qu'elle n'avait pas les moyens de s'occuper seule de ses enfants.

- Bin, t'as qu'à les lui laisser alors, j'ai répliqué.

- Non, je ne pourrai pas m'en passer, j'ai besoin d'eux.

- Mais enfin, tu ne les vois jamais. Ils sont tout le temps chez ta mère.

- Et ils s'y plaisent beaucoup.

J'ai levé les yeux au ciel. Puis j'ai demandé :

- Alors c'est quoi la solution ?

Elle a marqué une longue pause qui m'a donné envie de rentrer chez moi. Puis elle m'a balancé un regard solennel, et, en chuchotant, m'a dit un truc que j'aurai préféré ne pas entendre :

- C'est toi la solution, Tueur De Flics.

J'ai rigolé sans en avoir envie en lui disant que je n'aimais pas qu'on parle de ça, que c'était une histoire personnelle qui m'était assez douloureuse. Elle a continué :

- Si tu as tué un flic, tu peux bien tuer un médecin ?

Je lui ai répondu de fermer sa gueule.

- Personne n'est au courant de notre histoire. Personne ne te soupçonnera jamais. Tu tues mon mari, je fais la veuve éplorée, je garde les gosses et j'hérite. Aussi simple que ça !

Je lui ai répondu qu'elle était cinglée.

- De plus, on baiserait quand on voudrait, tu pourrais vivre à la maison et le capital de mon défunt époux nous permettra à chacun de vivre sans travailler à la chaine.

Je lui ai répondu que je ne tuerai personne.

- Bien, alors si tu ne le fais pas je te dénonce, Tueur De Flics.

Je lui ai dit que je préférais qu'elle m'appelle Paul.

- si tu ne m'en crois pas capable, tu te trompes, Paul, euh, je veux dire, Tueur De Flics

Je lui ai demandé pourquoi elle me faisait ça.

- Parce que je t'aime, et parce que je veux passer le reste de ma vie avec toi.

Je l'ai traitée de salope, elle m'a embrassé, puis m'a prit la main pour me trainer dans les toilettes du café, où elle a finit par me convaincre.


A suivre.
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Fildarm
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyMar 30 Déc - 13:39

Rouge Mécanique Partie 1


« Le goût du sang est métallique. Riche en fer, disent les chirurgiens. Quant tu le goûtes, au début, ça pique légèrement la langue : acidité vite évanouie, remplacée par des saveurs de rouille et d'acier. La créature gigotait encore. Ses spasmes rehaussaient la saveur du sang, exactement comme du poivre sur une entrecôte saignante. Vous savez, en Chine, on découpe les chiens vivants pour donner un goût particulier à la viande : le frisson de la douleur décuplerait l'expérience gustative. Et bien, ils n'ont pas vraiment tort. Ils ont même tout à fait raison. ». Propos d'Adrien de la Mazière recueillis par Michel Morsure, pour la revue Papilles, le 14 Janvier 2005.

Je marchai dans la nuit, me faufilant entre les recoins sombres des porches, passant de ruelle en ruelle. La traque, c'est excitant. Au début je chassais des animaux, et puis très vite, je me suis lassé. C'est tellement plus drôle d'entendre un être humain gémir : il supplie, bégaye des excuses, il promet. Ils font tous des promesses, lorsqu'ils voient la lame blanche se rapprocher du ventre. Et lorsque le couteau fouille les chairs, déchire les viscères et vient buter contre l'os, ils poussent des hurlements sauvages, effrayants. Un animal ne crie jamais comme ça. Il a comme une dignité, le respect pour le chasseur : tu m'as eu, d'accord, achève ta besogne, je m'avoue vaincu. Mais chez l'homme, il n'y a pas cette lucidité, cette résignation naturelle. Il préfère se débattre jusqu'à la fin, jusqu'au grotesque.
Je me souviens d'un type en particulier, un papi à qui j'avais coupé les jambes avec du fil à beurre. Le lendemain matin j'étais allé prendre l'air pour me restaurer, sans prendre la peine de fermer la porte à clé. En revenant de la boulangerie, un croissant dans la bouche, j'ai découvert le vieux dans l'escalier rampant comme une grosse limace. Une longue trainée baveuse et rouge courait de mes appartements à ses moignons sanguinolents. Il était livide, exsangue, pâle comme un mort. Lorsque je l'ai surpris il n'a même pas tressailli ; il répétait seulement : "plus que quelques marches, plus que quelques marches". Aucune dignité. Je l'ai trimballé jusqu'à ma chambre par un bras, et avec un katana, je lui ai sectionné les deux mains. Il a mis une heure avant de se vider. Puis le silence...

Ces pensées me revenaient, alors que je filais l'ivrogne dans la nuit. Le suivre n'avait rien de bien compliqué : il était si saoul que je pouvais le repérer à l'odeur. Il dégageait de puissantes effluves de picon et de mauvais whisky. Je me figurais le goût acide, rance et puissant qui devait régner dans sa bouche. Je tressaillis de gourmandise. Mécaniquement, je sortis une petite bouteille aux reflets d'argent sur laquelle était gravée une sentence : "Les vapeurs du sommeil n'emportent que les rêves". Je l'ouvris et déversai une longue rasade sur un mouchoir en lin blanc. Le tissu imbibé pendait maintenant de ma manche droite. La proie titubait, hurlait des injures. Plusieurs fois, elle manqua de tomber par terre. Et souvent, comme pris de démence, elle se mettait à rire. Le sot, s'il savait... A un moment, il s'est appuyé contre un mur, la tête dirigée vers le bitume avant de pousser de puissants rots de bête avinée. Il vomissait. C'est là, par derrière, que je l'ai chloroformé. Il est tombé dans un bruit mou. Un long filet de liquide brunâtre s'écoulait lentement de mes doigts. Je l'ai léché. Acide.

Pendant une heure et demie, j'ai supporté le poids du poivrot hissé sur mes épaules. Les personnes que je rencontrais ne s'étonnaient pas de me voir ainsi. La plupart me lançait des regards amicaux, l'air de dire : "En voilà un bon gars, il prend soin des sans-abris". Une jeune femme accompagnée de son ami me proposa même d'héberger le clochard chez elle jusqu'au petit matin. Je refusai net. De quoi se mêlaient t-ils ? Est-ce que je vous pique votre bidoche, moi ? Voleurs, fadas, filous ! Voilà du gibier qu'ils n'auront pas. Je la voyais d'ici, la petite blonde avec son joli sourire, mordre à pleines incisives le mollet de mon ivrogne ! Pendant ce temps la, le mari suçoterait les doigts, son morceau préféré... "Pas touche !", que je leur ai lancé. Ils avaient l'air furieux. Une fois chez moi, à côté de Pont Marie, je l'ai installé sur une chaise, puis je l'ai ligoté, bâillonné. A certains endroits, les cordes étaient si serrées que les membres saignaient. Avec une petite cuillère, je raclai l'hémoglobine et la fourrai dans ma bouche comme un bon miel d'acacia. La double-saveur métallique du sang et de l'ustensile en argent me réconfortèrent. Un délice. Enfin, las d'avoir transporté le corps, rompu de fatigue, j'allai me glisser dans mon lit. Et je m'endormis.

Le soleil avait pénétré la chambre, l'inondant d'une lumière crue. C'était l'Hiver : le temps des rayons blancs et frais. Par une fenêtre, je voyais des enfants jouer à cache-cache dans le parc d'à côté. Leurs rires parvenaient faiblement jusqu'à moi. Je souriais, envahi d'une tendre euphorie. On était Dimanche. Mon ventre gargouilla : il était temps d'aller prendre une collation. Je passai dans la cuisine dallée de marbre et préparai deux tartines à la confiture de griotte, que j'arrosai entre deux bouchées d'un grand verre de canneberge.
Un halètement saccadé de rongeur troubla mon repas. Il me regardait d'un air pitoyable, son nez dégoulinant de morve, le teint gris de saleté. Quelques morceaux à moitié digérés constellaient son manteau noir. Il avait du rendre à nouveau. Je le réprimandai : "Petit porc, tu pourrais te conduire dignement !". En guise de réponse, il gigota ridiculement sur la chaise, en soufflant très fort dans son bâillon. Une odeur forte d'urine me parvint : il s'était pissé dessus. "On ne t'a pas appris les bonnes manières ?", hurlais-je, furibard. Et je lui décochais un violent coup sur la cuisse qui le projeta à la renverse. Incommodé par l'odeur, mais tout de même touché par son désarroi, - ses petits cris s'étaient mués en plaintifs gémissements - je décidai de le remettre en place. Très doucement, avec beaucoup de précaution, je le redressais à la verticale. Ses yeux exprimaient de la peur et de la gratitude. Une envie de prendre l'air me prit, et je lançai : "A tout à l'heure, je sors !". Aucun son ne sortit du bâillon.

Une brise caressait mes oreilles, s'engouffrant dans mes longs cheveux blonds. C'était un Janvier clément. Je regardais le soleil, boule de froid lumineuse, aveuglante. Je détournai les yeux. Son image restait imprimée dans ma rétine, reproduisant de loin en loin, la forme d'un astre éclatant. A chaque battement de paupière, l'image palissait. Elle disparut tout à fait, engloutie par les courbes grises des rues. Le rire des enfants émanait toujours du petit parc, là où les chênes avaient perdu leurs feuilles. Je me posai sur un banc, et contemplai le spectacle de ces bambins insouciants. Ils s'attrapaient, se coursaient les uns les autres, dansaient une ronde autour d'un arbre décharné. Les muscles de mon visage se tendirent peu à peu. C'était comme si de longs câbles invisibles tiraient sur les commissures des lèvres. En même temps qu'une allégresse montait, un ressac douloureux refluait dans mon ventre. Le sourire s'éclipsa. Un néant m'emportait et les rires des enfants se firent lointains, échos perdus. Je sortis la bouteille aux reflets d'argent, puis tirai un mouchoir de ma poche. Il était en lin. Tout se troubla autour de moi, et les cris des bambins s'évanouirent tout à fait.

« Ohé, vous m'entendez monsieur ? Il est 20 heures, faut partir ! ». Un type était penché vers moi, sûrement le gardien du parc. Hébété de sommeil, les mains bleues de froid, je me levai sans mot dire et cachai la flasque à chloroforme dans la poche interne de mon manteau. Je ne tremblais pas. La nuit était tombée, découvrant quelques points lumineux mobiles dans le ciel. Des satellites, je pensais. La seule chose qu'on trouve en levant la tête, ce sont des avions et des satellites. Où il sont passés, les vrais corps célestes ? En tournant la tête, je vis une grosse bouille informe de bébé clignoter dans un panneau publicitaire, la bouche pleine d'une compote écarlate. Une odeur forte de carburant me frappa le nez et je songeais : foutu monde, vrai, je suis encore moins détraqué que lui !


Dernière édition par Fildarm le Mar 30 Déc - 14:02, édité 2 fois
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Fildarm
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyMar 30 Déc - 13:40

Rouge Mécanique Partie 2


En rentrant chez moi, le domestique me salua dans l'entrée. Il s'appelait Edmond et logeait au sous-sol. A 65 ans, il avait suffisamment de vigueur pour cuisiner, faire le ménage et à l'occasion, porter le corps inerte d'une victime au trou. Ça ne l'ennuyait pas. Bien au contraire, ça le distrayait. Il me disait souvent : « Fossoyeur, c'est un métier ! Et comme ça, je sers les vivants et les morts ! Pas de régime préférentiel ». Il avait même déclaré, une fois : « C'est un honneur de guider un homme à sa dernière demeure. Elle n'a pas le panache d'un cercueil, certes. Et la vermine y pullule. Mais enfin, le résultat est le même : les chairs finissent par pourrir et les os disparaître. Entre une poubelle et un sarcophage, quelle différence ? ». Au-delà des services qu'il me rendait, je l'appréciais pour l'intérêt qu'il portait aux armes blanches : une passion contractée jeune, à l'époque où je maniais le sabre et le fleuret durant les compétitions d'escrime. Je n'ai jamais rien gagné. Trop nerveux, jugeait l'entraîneur. En guise de consolation, à chaque anniversaire, Edmond m'offrait une curiosité. L'an passé il avait importé un kriss de Mandchourie. La lame ondulée du couteau, utilisée dans les cérémonies religieuses ou les rites initiatiques, me fascinait. Sa forme serpentine présageait une douleur sournoise et violente, à la manière de ces vipères tapies dans les recoins de la rocaille, bondissantes, prêtes à frapper. De longues heures, j'avais contemplé les lumières se reflétant sur le couteau en prisme enchanteur. Je m'oubliais dans la lame, et il me semblait distinguer à la pointe tire-bouchonnée, un crochet suintant de venin. Un venin violet coulant sur un plancher de brume... Les armes offertes par Edmond se trouvaient toutes dans une armoire vitrée, face à la porte d'entrée. On y trouvait un poignard en ivoire provenant du Mali, deux katanas japonais datant de l'ère Edo, une claymore en argent, et le kriss.... Ces objets symbolisaient ma puissance, et je tenais à ce que mes invités en prennent la mesure, bien qu'ils ne soient sensibles dans la plupart des cas, à la beauté de ces engins. Je ne possédais pas d'armes à feu, que je considérais vulgaires, sans panache. Quelques instants durant, je contemplai le kriss. De mémoire, ni Rembrandt, ni Matisse, ni tous les autres n'avaient approché cette sensation d'extase et de bien-être que je ressentais en regardant la lame mandchoue. « Je suis heureux que le kriss vous plaise, monsieur », me dit Edmond. Je le regardai d'un air indifférent, et acquiesçai en signe d'affirmation. Il se retira sans bruit, un léger sourire flottant sur les commissures. Et je m'arrachai au spectacle du Kriss pour gagner mes appartements.


Lorsque j'ouvris la porte en chêne massif, de terribles exhalaisons s'échappèrent de l'entrebâillement. Les odeurs m'écœuraient et me vrillaient le crâne en ondes effroyablement nauséeuses. Il tremblait de tout son long, le regard fou. Son bâillon formait une bulle d'air au niveau de son menton. Il expirait l'air de traviole, contrit de peur. Le dégoût tourna en colère aveugle, et j'éclatai sauvagement : « Comment, tu t'es chié dessus ? Coquin, salopard ! Mais tu vas nettoyer tout ça ! ». Je pris un couteau dans un tiroir de la cuisine et d'un coup sec, sectionnai le bas de son pantalon. De longs filets de merde coulèrent, liquides. Je pris la petite cuillère qui m'avait servie la veille, puis raclai consciencieusement la raie culière barbouillée de crotte. Le clodouche faisait vibrer la chaise, remuant ses grosses fesses rouges d'ivrogne. D'un geste, je lui tendis la cuillère, après lui avoir arraché le bâillon : « Ouvre la bouche ». Il refusa de la tête en disant : « Jamais, Ja... Jamais ! ». Erreur. De la main gauche, je lui administrai un violent soufflet sur l'arrête du nez. Brisée net. Je lui montrai à nouveau la cuillère : il accepta dans un concert de sanglots, les lèvres rougies de sang. Je répétai l'opération plusieurs fois, hurlant : « Du bon Blédina, du bon Blédina ! ». Je raclai moi-même les cuisses maculées de merde et portai la cuillère à ma bouche. Le goût affreusement douceâtre me fit vomir à longs traits. Furieux, dégoûté, je pris le manche et crevai l'œil gauche de l'ivrogne. Il poussa un cri de dément. Ces effusions durèrent jusqu'au petit matin. Exténué, je m'endormis à l'instant où l'aurore pointait faiblement dans le lointain.

Les rayons blancs de Janvier inondaient la salle de séjour. Mes paupières lourdes et closes ne parvenaient pas à filtrer la lumière crue. J'ouvris les yeux. Devant moi, le cadavre de l'ivrogne pourrissait. Ses membres avaient été sectionnés tandis que son œil unique continuait à jeter des regards d'épouvante. Une quinzaine de mouches gambadaient sur les moignons. Machinalement, je pris le corps et l'amenai dans la cuisine, d'où je tirai un grand sac plastique noir. J'y glissai la charogne, en même temps que je battais fort des mains pour disperser la nuée d'insectes. Puis je scellais le sac de multiples nœuds. En regardant l'objet lourd et massif, une lassitude m'envahit. J'avais envie d'embrasser le néant, en finir avec les trépidations de la vie. La nostalgie du vide... Je me figurais pendre au bout d'une corde, avec l'ironie du bourreau. Il paraît qu'on jouit, lorsque l'étouffement arrive à son apogée. J'ouvris la véranda pour aérer la pièce. Le vent frais dispersa toutes pensées et je me sentais aller mieux. Cet apaisement dura quelques minutes. Puis je réalisai qu'aucun enfant ne jouait dans le parc. On était Lundi. Une colère noire monta du fond de mes entrailles, terrible, impérieuse. Je passai dans la salle de bain, et me frottai vigoureusement les mains, les bras, le ventre et toutes les parties du corps. Une fois propre, j'enfilai un pantalon à pinces rouge muni de larges poches, assorti d'un costume noir rayé de lignes pourpres très saillant à l'intérieur duquel je disposai la flasque de chloroforme. J'hissai le sac plastique sur mon dos et dévalai les escaliers. J'eus un moment d'absence devant la vitrine. En passant l'entrée de l'immeuble, le domestique me lança : « Monsieur ne souhaite t-il pas chasser avec son père ? Nous sommes le 12... Vous savez bien que cela lui ferait plaisir. ». « Pas aujourd'hui Edmond, pas aujourd'hui... », lui répondis-je. « Très bien, dit-il, je lui communiquerai ». Son regard fixa le sac et il comprit. « Je t'accompagne cette fois-ci », lui lançai-je. Edmond prit l'objet lourd, puis j'ouvris la porte d'entrée. Ensemble, nous quittâmes l'hôtel particulier.

Dehors, la Seine réfléchissait les rayons du soleil sur les immeubles hausmaniens. Nous traversions le Pont Marie pour atteindre les parallélépipèdes métalliques, non loin de l'hôtel de ville. D'un coup de rein, Edmond déposa le sac dans la poubelle, entre une canette barbouillée de jus noir et un sandwich avarié. Personne ne fit attention au bruit sourd et mou du corps inerte cognant contre la paroi. Nous restâmes quelques secondes devant le cube verdâtre béant. Un instant, je vis Edmond marmonner quelque chose, la tête inclinée bizarrement vers la ciel. Cette posture m'inspira une sensation de malaise, et je quittai le domestique sans mot dire. Au bout de quelques pas, j'entendis un « clap » sonore retentir. Une vague douce-amère se propagea de mon ventre jusqu'aux reins. Je pris la direction du jardin du Luxembourg. La population, insouciante, vaquait à ses occupations. Les gens s'affairaient, pédalant sur leurs vélos, le torse fier, la mine conquérante. D'autres engloutissaient sandwichs, salades ou paninis. Plusieurs cravatés sortirent de la maison Daloyau, un tupperware contenant un bout de homard cuit dans du chocolat noir et du jus de groseille. Ces gens la n'avaient pas bon goût. A donner dans la finesse, on finit par être grossier. Un peu de jambon rose et gras sur un bout de pain, ça permet de rééquilibrer l'échelle des valeurs gustatives. L'image d'un bras humain fumant d'une insupportable odeur me revint subitement. La sensation de tout à l'heure revint m'oppresser, plus puissante. Les tempes et les paupières me brûlaient atrocement. Il fallait que je trouve des enfants, vite.

J'errai dans le quartier sans trouver de bambins riants, heureux. C'était le début de la semaine, et ils devaient crouler sous les devoirs après la période de Noël. J'arrivai enfin dans la rue Madame, devant l'école primaire Bossuet. A 16 heures trente, ils s'échappèrent de l'établissement en horde informe. Ils souriaient, s'esclaffaient, riaient. Leur visage émettait une sorte de rayonnement chamarré, plein de joie, de sourires et de cris. Leur innocence me faisait l'effet d'une soupe tiède et réconfortante dans le ventre, un breuvage miraculeux saturé de bulles pétillantes. Deux larmes coulèrent sur mes joues. « Ça va monsieur ? ». Un petit garçon, peut-être âgé de six ans, deux émeraudes à la place des prunelles, me regardait avec étonnement. En moi, un ressac doux allait et venait. Mes lèvres esquissèrent une forme et j'allai répondre lorsqu'une vieille buse saisit violemment le bambin en disant : « William, on ne parle pas aux inconnus ! ». Elle partit avec le petit sans me regarder. Alors quelque chose se produisit. Une incroyable lourdeur saisit mes jambes et dans ma poche droite, je sentai un objet peser de tout son poids. Le kriss mandchou. Sournoisement, par reptations, je me mis à filer la matrone. Puis. Arrivé à la hauteur de son cou, je brandis la lame. Le petit garçon se retourna et dit : « Regarde maman, c'est le monsieur de tout à l'heure ». Elle me vit, et l'horreur effara son œil bleu. Je frappai trois coups secs à la jugulaire. Elle tomba la tête en avant, comme on fait lorsqu'on saute du plongeoir, à la piscine. William resta immobile un temps, puis se précipita sur le corps inerte de la mère, répétant « Maman, maman, maman ! ». Ce fut trop pour moi et je m'échappai de la rue Madame en courant, pressé par les cris de l'enfant.

Les rayons blancs de Janvier illuminaient ma rage et mon désespoir, alors que je détalai dans Paris. Tout s'enchevêtrait dans ma tête en racines noueuses et rugueuses. Un mal de tête inhumain m'écrasait le front, les tempes. Je courais, je courais. Je voulais fuir, fuir tout, même l'ombre qui me suivait. Alors, en passant devant chez moi sur l'île de la Cité, la vue du parc m'apaisa. Je diminuai ma course, et pénétrai dans le jardin. Enfin je m'installai sur le banc. Il n'y avait personne. Au loin, une sirène retentissait, terrible. Je cherchai quelques instants dans la poche interne de mon costume et saisis la bouteille argentée. La sentence inscrite dessus, « Le sommeil n'emporte que les rêves », m'arracha un demi-sourire. Je n'avais pas de mouchoir. Le bruit de la sirène s'approchait. Et plus le son s'amplifiait, plus je voyais la tête de William déformée par la peur et l'horreur. N'y tenant plus, je versai le contenu de la bouteille sur mes cheveux. Le bruit se fit lointain, les rayons blanc de Janvier s'obscurcirent. La figure du bambin disparut. Et j'entrai enfin dans le réconfort d'un songe sans rêve.
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyJeu 29 Jan - 18:16

After Hours 4



Et puis finalement, les jours sont passés, et je n’ai rien fait. Emma semblait avoir oublié son idée insensée et la vie suivait anormalement son cours. Je voguais entre mon appartement et le sien, passais mes journée à flâner en attendant qu’elle eut finit de faire ses courses, d’aller voir son gynécologue ou d’aller dire coucou à ses gosses. Si je ne l’accompagnais jamais, c’est parce que ni elle ni moi ne voulions être vus ensemble, et aussi parce que je n’avais aucune envie de l’attendre à l’entrée d’un quelconque magasin de minettes où elle chercherait désespérément une jupe qui lui donnerait quelques années de moins. Je lui disais souvent qu’elle était très belle, plus belle que les merdeuses de mon âge, pas parce qu’elle avait envie de l’entendre, mais parce que je le pensais. N’empêche, Emma semblait aussi malheureuse qu’au premier jour où je l’avais rencontrée.

Lorsque son mari rentrait d’un séminaire et qu’elle devait me dire de rentrer chez moi, ça lui déchirait le cœur. Elle pleurait à chaudes larmes à chaque fois, si bien que je me suis demandé si le docteur Rosenberg ne battait pas sa femme. Mais il n’y avait, sur le corps et sur le visage d’Emma, aucune marque pour en témoigner. Je ne lui demandais jamais de me confier sa souffrance, car je n’avais pas envie qu’elle me reparle de tuer son mari. Et puis, je n’avais jamais été une oreille attentive.

A la fin d’une journée que j’avais passé seul chez elle à regarder des idioties sur ses chaînes câblées, Emma débarqua en trombe en ouvrant la porte avec une brutalité que je ne lui connaissais pas. Surpris, j’ai baissé le son et lui ai demandé ce qui n’allait pas. Elle garda le silence et alla s’enfermer dans la salle de bains.

Au bout d'une trentaine de minutes, je me suis demandé ce qu'elle pouvait bien fabriquer. Je suis allé jusqu’à la porte de la salle de bains. J’ai toqué, j’ai demandé ce qu’elle fichait enfermée là dedans, et elle ne m’a pas répondu.

- C’est bien, continue de faire la gueule, j’ai dit. Quand t’auras finit, tu viendras me rejoindre, je suis dans le salon.

Je suis reparti regarder la télé. A la fin d’une débilité brise crâne du genre Vidéo Gag, c'est-à-dire une quarantaine de minutes plus tard, je suis retourné la voir. La porte était toujours fermée à clef. Pas un bruit ne sortait de la salle. En jetant un œil en bas de la porte, je pus constater que la lumière y était allumée. Cette fois-ci, j’ai parlé sur un ton exaspéré, histoire qu’elle s’imagine que son petit jeu ridicule me faisait vraiment de l’effet. Puis, pour me moquer d’elle, j’ai ajouté :

- J’espère au moins que tu as prit un bon livre avec toi, histoire de ne pas t’ennuyer.

Comme il se faisait tard, que j’avais faim et qu’elle ne se décidait pas à ouvrir, j’ai décidé de m’en aller. C’est au moment où j’enfilais ma veste que les plombs ont sauté.
- Et merde, j’ai fait.

Dans l’obscurité, je longeais les murs des mains pour atteindre la chambre à coucher. Il y avait une petite lampe torche dans l’un des tiroirs de la commode à droite du lit, je le savais puisque c’était aussi là qu’Emma rangeait ses préservatifs. Une fois la torche en main, je me mis en tête de trouver le compteur d’électricité.

- Emma, il est où le truc pour remettre l’électricité ?

Comme elle ne me répondait toujours pas, je lui ai dit, avec une exaspération non feinte cette fois-ci, qu’elle n’était vraiment qu’une pauvre conne. Mais à peine deux pas plus tard, une vision d’horreur me traversa l’esprit. Je fis marche arrière et me mis à tambouriner à la porte derrière laquelle Emma était sensée me répondre.

- Emma, ouvre ! Qu’est ce que t’as foutu ? Ouvres moi la porte ! Me dit pas que la panne c’est ta faute ?

Une quinzaine de jurons me sont passés par la tête alors que je me précipitais vers la cuisine afin d’y trouver un couteau pointu avec lequel j’aurai put trafiquer la serrure. Mais de retour à la salle de bains, je ne parvins pas ouvrir. Je lâchai le couteau et, sans trop y croire, mis des coups de pieds dans la porte de toutes mes forces. Je fonçai dedans à maintes reprises, et, à ma grande surprise, la serrure céda.

D’instinct, j’ai dirigé le faisceau de lumière vers la baignoire. Celle-ci était remplie, le fer à friser d’Emma y flottait. Celui-ci était branché, juste à côté d’Emma, qui, parfaitement sèche et en bonne santé, me regardais droit dans les yeux comme si la lampe ne l’éblouissait pas.

- Il faut au moins ça pour te faire réagir, me dit-elle.

Je débranchai alors le fer d’un geste enragé en demandant une nouvelle fois où se trouvait le compteur.

Une fois l’électricité revenue, j’étais retourné sur le canapé du salon. Les bras croisés et le teint pâle, je tenais toujours la lampe torche dans une main et le couteau dans l’autre. Je tremblais encore de l’expérience que je venais de vivre. Je n’avais jamais ressentit une chose pareille. Quand mes parents sont morts dans un accident de voiture et que cela m’a été annoncé je ne sais même plus comment, je n’avais pas eu de réaction. Quand j’ai comprit qu’il n’était pas normal que mon éducateur à la Ddass vienne me tripoter la nuit, je n’ai pas eu de réaction. Quand j’ai vu le cadavre de M. Rodriguez, que j’ai tué un policier et que son frère jumeau s’est suicidé devant moi, je n’ai rien ressentit non plus. J’ai comprit ce soir là que j’étais amoureux.

Emma est entrée dans le salon et m’a dit que je faisais une sale tronche. Je lui ai répondu que c’était logique, vu ce qu’elle venait de me faire vivre. Elle s’est mise à rire. Elle avait un rire incroyable. Mais les circonstances ne m’ont pas donné envie de rire avec elle. Furieux, je me suis levé pour me diriger vers elle.

- Ca te fait rire ? J’ai cru que tu étais morte et ça te fait marrer ?

- Je ne rigole pas par cruauté, elle me répondit dans un sourire. Je suis juste heureuse que tu tiennes à moi.

J’ai sentit la colère bouillir en moi comme jamais. J’ai serré le poing sur mon couteau et lui ai tendu en la menaçant.

- Tu veux te tuer ? Mais fais le donc, ne te gêne pas pour moi. Attends au moins que je me tire d’ici.

En lâchant le poignard, je me suis dirigé vers la sortie, bien que l’envie de rester et de la prendre dans mes bras me tiraillait. C’était merveilleux et détestable à la fois. Je sentais pour la première fois de ma vie que je tenais à une personne plus qu’à moi-même. Je haïssais l’idée qu’Emma puisse avoir un ascendant sur moi. J’ai ouvert la porte et Emma s’est alors jetée sur moi. Elle m’a prit dans ses bras, m’a serré très fort et ma embrassé. Elle m’a supplié de ne pas m’en aller. Comme j’avais envie d’être supplié encore, je l’ai repoussée et j’ai continué à m’éloigner d’elle. Elle s’est mise à pleurer, encore, et je me suis dis que décidément, elle pleurait beaucoup. Puis elle a commencé à hurler dans le hall. Je me suis retourné pour lui dire que c’était inutile, et elle m’a alors lancé :

- Reviens ici, Tueur de Flics !

J’ai fait demi-tour et je l’ai attrapée. Je lui ai mit une main sur la bouche pour qu’elle se taise, l’ai ramenée dans l’appartement et j’ai fermé la porte. Je l’ai regardée droit dans les yeux et lui ai dit :

- Je déteste que tu m’appelles comme ça.

- Embrasse-moi, Tueur de Flics.

Au lieu de l’embrasser, je lui ai mit une claque, qu’elle m’a rendue aussitôt. Abasourdi, je n’ai pas réagit tout de suite, alors qu’elle me dit d’une voix tremblante qu’on n’en serait pas là si j’avais tué son mari comme elle me l’avait demandé. Je lui ai dit qu’elle ferait mieux de s’occuper de ses gosses avant de faire tuer leur père. Elle a alors saisit le couteau que j’avais lâché. Elle m’a regardé, et je lui ai demandé :

- Tu vas faire quoi avec ça ? Me tuer ou te trancher les veines ?

Elle a continué de sangloter en brandissant le couteau vers moi. Sa main était molle et tremblante. Je l’ai fixée, et ai secoué négativement la tête d’un air désolé. Toute cette violence m’avait épuisé, et voilà que des larmes me montèrent aux coins des yeux. Emma a reposé le couteau et a enfouit son visage dans ses mains. Je l’ai prise dans mes bras et lui ai dit doucement de se calmer. J’ai saisit son visage trempé entre mes mains et je l’ai embrassée. Elle eut un petit rire nerveux et me rendit mon baiser. Elle m’étreignit et je lui chuchotai à l’oreille :

- Si tu veux que je le tue, alors je le tuerai.

Elle eut un mouvement de recul, et plongea son regard plein de méfiance dans le mien. Et quand elle comprit que je ne plaisantais pas, elle m’étreignit plus fort encore.

A suivre.
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyDim 22 Mar - 23:28

After Hours - Interlude -


Il était tôt lorsque je me suis réveillé le lendemain. Emma dormait encore à poing fermé, tendrement lovée contre moi. J’ai fixé le plafond pendant une dizaine de minutes avant de me lever le plus discrètement possible. Je n’ai pas prit de douche, je me suis habillé avec les mêmes vêtements que la veille. Je me suis rendu dans le séjour et me suis mit à fouiller la bibliothèque, à inspecter minutieusement la paperasse répandue sur la table basse, à ouvrir les tiroirs du bureau du docteur Rosenberg. Ce n’est qu’au moment où je saisissais une enveloppe adressée à son cabinet que j’ai trouvé ce que je cherchais.

Docteur Serge ROSENBERG
15 Avenue des Sept Douleurs


J’ai mit l’enveloppe dans ma poche et je suis sorti. En mode automatique, j’ai marché sans penser à rien. Le soleil se levait doucement, la ville s’affairait et commençait à ressembler à une fourmilière. Je faisais mine de me promener, mais dans le fond, je n’étais pas dupe de mes intentions. Lorsqu’un clochard me pointa du doigt en me regardant droit dans les yeux en marmonnant quelques mots imperceptibles, j’eus le sentiment trouble qu’un bras de fer mental s’opérait en moi, et que je ne pouvais rien contrôler. Ce doigt prophétique et accusateur que me tendait le clochard me désignait comme l’objet de la convoitise du bien et du mal. J’allais commettre un meurtre déraisonné et inutile, tout en remarquant que la journée était belle et que je ne me baladais pas assez souvent dans ce quartier.

Pourtant, je le connaissais par cœur, ce quartier. Je connaissais ses commerces, ses ruelles, j’avais même pas mal d’anciens amis qui habitaient le coin. J’avais passé une partie de mon adolescence à trainer sur ces trottoirs au lieu d’aller à l’école. Je volais des magazines pornos dans la librairie qu’un vieux con tenait, j’allais boire des bières dans la brasserie de la rue principale, j’allais jouer au foot sur la pelouse du parc Jaurès avec d’autres adeptes de l’école buissonnière. C’est dire si je connaissais l’endroit. Je savais pertinemment où se trouvait l’avenue des Sept Douleurs, où j’envisageais d’assassiner le docteur Rosenberg. Je le savais, puisque c’était là où jadis je foutais ma vie en l’air en m’abandonnant aux joies de la débauche juvénile. Puisque c’est là où J’avais scellé mon avenir en faisant déjà preuve d’un effarant manque de motivation et de passion. Ce jour-là, c’est aveuglé par une passion fulgurante que je m’apprêtais à supprimer un type qui ne m’avait jamais rien fait.

Emma avait fait naître en moi quelque chose qu’on peut nommer la « conscience », ou bien la « compassion », voir l’ « humanité ». Et cette même Emma exigeait de moi de mettre mon humanité de côté afin de ne pas me retrouver en taule pour avoir tué un agent, voir deux agents de police. Et voilà que je réalisais pour la première fois que j’étais un assassin. Un assassin pitoyable qui allait tuer encore dans le but de corrompre un témoin. Mais quel témoin.

Emma avait changé ma vie. Etre l’homme de sa vie était tout ce qu’on pouvait me souhaiter de meilleur, dans l’hypothèse que quelqu’un, quelque part, puisse me souhaiter du bien. C’est parce qu’elle est entrée dans ma vie que je ne suis pas qu’un délinquant immature, c’est parce qu’elle entrée dans ma vie que je me suis mit à aimer et c’est parce qu’elle est entrée dans ma vie que je suis devenu un homme. Tuer pour elle est la moindre chose que je pouvais faire pour la remercier. J’aurais pu massacrer tout le personnel d’un hôpital pour Emma. Alors, un médecin…

Perdu dans mes pensées, je suis arrivé au 15 avenue des Sept Douleurs, sans vraiment m’en rendre compte. Je me suis posé l’ultime question, la définitive, la seule. Dois-je tuer un innocent pour sauver ma peau et chérir l’amour de ma vie au détriment de ma conscience morale ? La question m’a parue barbante et un peu trop longue.

J’ai conclut que je réfléchissais beaucoup trop. A 9h30 du matin, je sonnais à l’interphone du docteur Rosenberg.

A suivre.


Dernière édition par HeLiuM le Jeu 2 Avr - 18:51, édité 1 fois
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Fildarm
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyMer 1 Avr - 2:03

White Sparkle



Lorsque la résistance chauffe et que le flash s'enclenche, tout devient blême et se fige. La peau des photographiés blanchit, se meut en cire lisse. Éclair fugace. Le flash, formidable formol : il capture la silhouette et le détail, se répand sur les vêtements, glisse mollement sur les imperfections des poseurs. En colle immatérielle, il emporte sourires, grimaces et têtes graves. Puis par petites incrustations, le sombre disperse la lumière nacrée. Les ténèbres reviennent, impérieuses. Le monde reprend son cours.

J'aime le métier de photographe. Depuis quatorze ans, je travaille en free-lance dans le monde de la nuit parisienne. Rues crasses, bars interlopes, caniveaux du gotha : rien ne m'attire plus que le louche. Armé de mon Leica R, je porte la lumière où règne l'obscurité. Dans le milieu on m'appelle White Sparkle. Je n'utilise que le flash. Poivrots dandys, ombres sculpturales, règlements de compte, orgies de rue : je shoot l'insolite et le drôle, l'épique et l'improbable.

La passion m'est venue tout petit, alors que j'accompagnais mes parents au restaurant. L'établissement n'avait rien d'extraordinaire, et pourtant je me souviens de tout : le salut obséquieux du patron, mes frites mouillées de graisse, l'éclairage défaillant. Surtout, je garde en mémoire un type étrange, très fin, le visage pâle aux mâchoires anguleuses. A son cou pendait un objectif. Il voulait nous prendre en photo contre quelques pièces. Mes parents acceptèrent puis me demandèrent de fixer le drôle d'appareil. Le « clic » sonore retentit et un éclair lumineux nous recouvrit comme un drap blanc. Quelle ne fut pas ma surprise ! J'étais fou de curiosité, je voulais savoir comment marchait l'engin. Mais l'homme n'avait pas de temps à m'accorder : il continua son travail dans le restaurant. A chaque flash, je sursautai, heureux, rempli d'allégresse.

Bien des années plus tard, j'arpentai Paris carte de presse en poche, à l'affût du cliché potentiel. Une nuit, un événement changea le cours de mon existence. Alors que je déambulais dans les rues, mon regard fut attiré par un halo éclatant : une grande femme vêtue de blanc marchait sous les lampadaires, l'air Cléopâtre, absolument madone. La lumière crue se réfléchissait sur elle et diffusait une aura ivoirine dans les ténèbres. Je la pris en photo, et le flash fut absorbé par elle : l'éclair se changea en projection noire, reproduisant l'effet d'un stroboscope. Et sur l'écran numérique : rien. Comme si je n'avais pris aucun cliché. J'ajustai mieux l'appareil, réglai le flash et répétai l'opération. Cette fois-ci aucun éclair ne fusa. Le formol ne fonctionnait plus. A quelques pas, la femme s'arrêta de marcher et tourna lentement la tête vers moi. Enfin elle plongea ses yeux dans les miens : iris argentés, cils blancs, visage constellé de croûtes verdâtres. Jamais vu un être pareil. Je restai immobile. Ses longs cheveux semblaient onduler dans la demi-pénombre de la rue. Et elle disparut.

C'était il y a sept ans, dans une artère du Marais, peut-être rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Je ne sais plus trop. En revenant chez moi le matin-même, je vérifiais si l'appareil marchait : il fonctionnait à merveille. Alors que les rayons du soleil se répandaient dans mon petit appartement de la rue Tombe-Issoire, je m'endormis sous les draps. Mon sommeil fut hanté d'angelots à tête de serpents.

Illusion, folie ? Je ne saurais dire. Mais pas une semaine ne passait sans que son visage m'apparusse en rêve ou dans la réalité. Oui, même éveillé, entre deux photos, je sentais une lueur irradier dans la nuit noire. Un tic nerveux inclinait ma tête vers la direction du foyer lumineux, mais il ne s'agissait que de la flamme d'un briquet, où de la lumière d'un phare passant dans la pénombre. Ces feux-follets imaginaires me tourmentaient, si bien que je commençais à redouter la tombée du jour.

Au fil des mois, mes peurs s'amplifièrent. Pendant que j'errais dans les rues, je guettais fébrilement le soleil se coucher. Et lorsque le vacillement de l'astre survenait, quelque chose de mou s'ébranlait dans mon ventre : un frisson glacial agitait tous mes membres. Alors les lampadaires s'allumaient, projetant leur lumière crue sur mon visage effaré. Je me mettais à courir dans le clair obscur du dédale parisien, les mains resserrées sur mon Leica R comme un dévot sur sa croix. Partout, il me semblait distinguer de longs serpents flasques et laiteux sortir des caniveaux, ondulant, trainant derrière eux une masse énorme : le visage de mes cauchemars apparaissait, mélange de beau et d'horrible. Et cette tête affreuse, sans raisons, se mettait à s'esclaffer d'un rire aigu, monstrueux. J'appelais à l'aide mais personne ne répondait. J'étais seul face à la créature. Horrifié, je me réfugiais dans une ruelle sombre et sordide, plongée dans les ténèbres. Le noir m'apaisait, je m'y sentais en sécurité. Dès qu'une lumière surgissait au bout de l'impasse, un mouvement de panique s'emparait de moi : je plaquais mes mains sur les yeux et me recroquevillais en position fœtale. Je pouvais m'endormir comme ça, puis me réveiller au petit jour, soulagé, mais terriblement fatigué des tourments de la veille.

Même après sept années, le visage de la Vierge Sombre, comme je l'appelais désormais, venait me rendre visite. Je continuai pourtant d'arpenter boulevards et ruelles enténébrées, résolu à braver ma peur, refusant de céder mon gagne-pain pour une angoisse absurde. Je me répétais pour me rassurer : « Vierge sombre, je te capturerai. Oui, le flash t'emprisonnera ! Et le monde saura qui tu es ! On te traquera, et tu ne viendras plus me hanter ! Foi de White Sparkle ! ». D'ailleurs, la passion du métier revenait, et je reprenais plaisir à flasher des scènes improbables, à capturer d'un éclair des mouvements inappréciables à l'œil nu. La vie reprenait : je recevais de nombreuses commandes. Le nom « White Sparkle » dépassait la sphère du milieu journalistique et atteignait le grand public. J'étais sollicité par les rédactions les plus prestigieuses du monde entier. Selon les médias anglos-saxons : j'étais devenu débusqueur de l'invisible, enfin, l'âme de Paris.

Un jour, quelqu'un vint frapper à la porte de mon appartement rue de la Tombe-Issoire. Une voix aigüe s'éleva derrière l'entrée : « Monsieur Persset, je viens de la part du groupe Cold and nice. Avez-vous quelques instants à me consacrer ? ». Intrigué par le nom de la société, j'ouvris la porte : un petit bonhomme apparut, les yeux très bleus, les sourcils roux. Immédiatement, sa pâleur me frappa. Il me tendit une main maigre aux longs doigts fins que je serrais d'un mouvement. Sa poigne était puissante. D'emblée je lui dis : « On ne m'appelle jamais par mon vrai nom. White Sparkle, c'est très bien. ». Le type acquiesça avant de demander : « Connaissez-vous L'Ice cube ? ». Jamais entendu parlé. Il prit un air important et ses yeux devinrent deux petites billes couleur lapis-lazuli : « C'est un nouveau concept de boîte de nuit. Imaginez, à la place d'un bar en zinc : une surface de glace. Le client boit un cocktail à moins dix degrés. Dépaysement garanti ! J'aimerais que vous preniez quelques clichés du lieu. Rémunéré gracieusement, bien sûr ». Il me tapota dans le dos et me glissa dans l'oreille : « Le thème de ce soir : « African iceberg ». Des danseuses noires viennent s'effeuiller sur un podium... givré ! Vous ne le regretterez pas ». Sur ce, l'homme me laissa la carte du lieu avant de me serrer une nouvelle fois la main. Il partit aussi vite qu'il était venu. Pour je ne sais quelle raison, l'entrevue me laissa un drôle de frisson dans l'échine. Je jetais un coup d'œil au prospectus : on y voyait une femme de dos, les reins noirs et cambrés contrastant avec le blanc immaculé d'une estrade de glace. Les lettres rouges « African Iceberg » s'étalaient sur toute la largeur du tract. L'endroit avait l'air tout à fait douteux. Exactement ce que je recherchais.

Le soir même, vers une heure du matin, je me présentais devant l'établissement Leica R au cou. Deux gorilles à dread locks filandreuses me laissèrent passer. En entrant, un bruit de musique électronique me vrilla immédiatement les tympans. Bien qu'adepte du monde de la nuit, je ne m'étais jamais fait à ces rythmes binaires et puissants. Une piste géante était foulée par une multitude de danseurs aux mouvements souples et saccadés. Au milieu de la foule, le petit homme roux de tout à l'heure apparut, un sourire débordant de canines, façon hyène affamée, avant de m'apostropher vivement : « Oh, Monsieur White Sparkle ! Je savais que vous viendriez... Saperlotte, mais j'y pense ! Me suis-je déjà présenter ? Non ? Vite, réparations : Je me prénomme Patrick O' Donnell. Entre intimes, on m'appelle Pod. Vous voyez, les initiales... ». Il m'adressa un clin d'œil complice et continua : « Comme vous pouvez voir, ici, point de glaçons, excepté dans les verres. L'Ice Cube est séparé en deux parties. La première est tout à fait ordinaire, c'est la seconde qui nous intéresse. Pour accéder au bar de glace, le client doit montrer patte blanche si j'ose dire, en payant un forfait à la demi-heure. 45 euros pour trente minutes, gratuit pour les V.I.P. Évidemment, pour vous : libre entrée ! Suivez moi ! ». Ses longs doigts s'emparèrent des miens et Pod m'entraîna au fond de la boîte où se trouvait une petite porte à poignée d'argent. Il la poussa et nous nous retrouvâmes dans une pièce exigüe. Le membre de la société Cold and nice m'indiqua : « Nous nous trouvons dans un sas en quelque sorte. Il permet d'éviter un choc thermique entre les deux salles ». Il me jaugea un instant de la tête au pied avant de déclarer : « Vous êtes trop peu couvert, il vous faut des fourrures ». Il claqua des doigts et une hôtesse apparue, les cheveux très noirs, impeccable dans un costume deux pièces. En quelques secondes, la jeune femme avait sorti gants, manteaux et bonnets sur mesure. O'Donnell dit alors : « C'est bon, on peut y aller ». Il poussa la seconde porte, encore plus large que la précédente, et ce que je vis me stupéfia.

Un bar givré s'étendait devant moi. Les sièges, les tables, les podiums : tout était en glace. Des diodes électriques avaient été disposées dans les glaçons géants pour les colorer. Le blanc virait aléatoirement du bleu au rouge, du rouge au vert. Les lumières chamarrées se diffusaient allègrement d'un élément à un autre, facilitées par les reflets miroitants de la glace. L'impression d'entrer dans un palais multicolore, magique. Et surtout, le froid prenait gorge et nez, attaquait chacune des extrémités du corps. Je sentais mon être entier se raidir, soudainement vivifié par la chute de température. Au lieu de voir des danseurs dénudés se frotter sexes et nombrils, comme de coutume, je trouvais une masse voûtée sous le poids des pelisses, houppelandes et autres pèlerines. Je pris un premier cliché de ce nouveau genre de fêtards. « Pas mal, hein ? m'invectiva O' Donnell. Prenez donc une petite vodka, ça va vous réchauffer ! Et prenez place sur une « frozen chair », le spectacle va commencer... ». Les lumières s'éteignirent progressivement, plongeant la salle dans l'obscurité la plus totale. Je distinguais seulement les souffles chauds des spectateurs s'éteindre en faible vapeur dans l'espace. Alors, un halo blanc illumina le podium sur lequel se trouvait une danseuse à la peau d'ébène. Elle était revêtue d'une fourrure blanche immaculée, contrastant violemment avec la noirceur de son teint. Ce fut comme un coup porté droit au cœur. D'un trait, je vidai la vodka apportée par Pod. La femme commença à onduler, gracieuse, quasi reptilienne. Malgré le froid, je sentais des goutes de sueur ruisseler dans mon dos. Mon esprit se troublait, captivé par le spectacle. Le sombre et le lactescent s'emmêlaient dans la danse endiablée de la strip-teaseuse. Alors, je vis très nettement dans un reflet du podium, une tête étrange passer d'un coup de vent. Je me retournai. Et, je la vis. La Vierge Sombre. Le visage ravagé de croûtes, les cils blancs, les iris argentés, les cheveux longs toujours mouvants. Elle me fixait et j'étais médusé, pétrifié de terreur. Elle s'approcha, jusqu'à ce que son corps soit à quelques pas du mien. Des nausées me nouaient la gorge, je ne pouvais crier. Alors La Vierge Sombre se mit à hurler d'un rire sifflant, aigu, comme font les serpents à sonnette avant de mordre. Un coup de sang me réveilla, instinct de survie, et je brandis le Leica R, armant le flash dans la seconde. Un éclair recouvra la pièce entière comme un drap blanc. Le rire du monstre se mua en déchirement sonore et je m'enfuis en courant, bouleversé d'effroi. Dans ma fuite, j'entendis quelqu'un me crier : « Mais que faîtes-vous, vous partez déjà ? Revenez ! Revenez ! ».

Je fendais l'air dans la nuit parisienne, toujours recouvert de la fourrure de L'Ice Cube. J'étais en nage. Derrière moi, il me semblait entendre des pas lourds et saccadés. Le cri de la Vierge Sombre se joignait au concert de mes angoisses, augmentant la vitesse de ma course. Les chiens de l'enfer à mes trousses ne m'auraient pas plus effrayé. Une seule chose me contentait, dans cette magistrale débâcle, je l'avais prise en photo. Oui, je l'avais eue, elle, la farouche, l'insaisissable ! Bientôt le monde saura, oui, il saura ! Je jubilais intérieurement. La peur et l'angoisse tournèrent en triomphe : la Vierge Sombre se consumera dans l'éclat médiatique ! Finies, les faveurs de la nuit, les cachettes nocturnes ! Vaincue, vaincue ! Chez moi, rue de la Tombe-Issoire, je reliai directement l'appareil à une imprimante, prêt à porter le cliché aux rédactions dès le lendemain. Sûr, ils verront que j'ai rien trafiqué ! Tout cela est vrai. Sur l'écran numérique, le visage du monstre apparaissait en haute définition, croûtes apparentes. Le bruit de la machine s'activa. Et le cliché apparut. Un cri de stupéfaction sortit de mon tréfonds. Il n'y avait rien. Rien, rien. Rien que du noir.
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyJeu 2 Avr - 18:46

After Hours 5


Le docteur Rosenberg m’a reçu avec toute l’amabilité dont il était capable. Le docteur Rosenberg était comme ça : il n’avait jamais à se forcer pour être agréable. Il arborait une blouse d’un blanc impeccable, un stéthoscope autour du cou et un hallucinant sourire de playboy comme on n’en voyait qu’à Hollywood. C’était le fantasme personnifié de toutes femmes ayant dépassé la vingtaine. Il ne m’intimidait pas vraiment, je me demandais simplement par quel miracle Emma était venue me chercher. Parce que, franchement, à côté du docteur Rosenberg, je ne tenais clairement pas la route.

- Installes toi, Paul ! m’a-t-il dit gentiment.

J’étais plutôt flatté qu’il se rappelle de moi. Je n’étais pourtant pas allé le consulter depuis un bail. Il est vrai que la plupart des médecins sont physionomistes et ont tendance à se rappeler de leurs patients. Mais tout de même, je ne me souvenais même plus de la dernière fois où j’étais allé dans son cabinet, et sûrement que depuis, j’avais bien changé.

- Et bien, c’est le calme plat ce matin ! Tu es mon premier patient et la salle d’attente est vide ! Si plus personne ne tombe malade, je vais me retrouver au chômage…

Sa remarque désopilante lui donna une nouvelle bonne raison de m’exposer ses fossettes ravageuses. Je me suis mis à rire, même si je ne trouvais pas ça très drôle. Mais qui aurait eu envie de vexer un homme aussi charmant que le docteur Rosenberg ?

- Alors, Paul, dis moi ce qui t’amène ?

« Je viens assassiner le mari de mon amante », j’ai pensé. Mais je ne pouvais décemment pas lui répondre ça. Et voilà que je me rendais compte que j’étais venu tuer un homme sans même prendre le soin de me préparer. Je n’étais pourtant pas du genre impulsif, mais j’ai à vrai dire toujours fait confiance à mes réflexes, assez phénoménaux je dois avouer, pour me sortir de situations embarrassantes. Or, ceux-ci ne m’étaient utiles qu’en cas d’agression. En allant rencontrer le médecin, je n’avais pas réfléchis à l’aspect technique du meurtre. Voilà que dès la première question bateau inhérente à tous docteurs, je me retrouvais piégé comme un débutant. Enfin, après tout, j’étais un débutant. Au moins, peut-être le tribunal ne jugera t-il pas cela comme un meurtre prémédité ?

Alors que je sombrais dans des pensées infertiles, le docteur me tira de ma rêverie :

- Paul ? Quelque chose ne va pas ?
- Un mal de gorge, j’ai répondu.

Par reflexe, évidemment. C’est ce que je disais à mes professeurs au collège, afin de quitter la classe et d’aller rejoindre une fille dont j’ai oublié le nom pour la tripoter dans les toilettes. C’est le jour où j’ai été attrapé que j’ai été viré pour la première fois d’un établissement.

- Oui, un terrible mal de gorge. Ca me lance terriblement, voyez, j’ai beaucoup de mal à avaler ma salive. C’est extrêmement pénible.

Alors que me je mettais à cabotiner comme un protagoniste de Vaudeville, le docteur Rosenberg, l’air toujours aussi assuré, fit un signe de tête qui signifiait « je vois » et me répondit :

- Et bien, je suis sûr qu’on peut mettre un terme à ce vilain mal de gorge.

Il me parlait encore comme si j’avais huit ans. Il m’a fait ôter mes chaussures puis m’installer sur le matelas recouvert de plastique blanc. Il a enfilé des gants stérilisés et s’est retourné pour fouiller dans son tiroir rempli d’instruments métalliques en tout genre. J’ai soigneusement observé ces objets, mais aucun ne me convenait vraiment : les objets pointus étaient bien trop petits pour me permettre de l’anéantir efficacement. Ils m’obligeraient à commettre un crime particulièrement barbare, et ça je n’en avais pas vraiment envie. Il me fallait une arme assez redoutable pour qu’il tombe raide mort au premier coup, ce qui m’aurait permit de ne pas trop salir mes vêtements et ainsi de passer le plus inaperçu possible en ressortant.

Il se retourna vers moi et me demanda d’ouvrir grand ma bouche, ce que je fis. A l’aide d’un bâtonnet en plastique, il m’aplatit la langue est scruta le fond de ma gorge avec une petite lampe. Je me demandais si ce n’était le moment de lui mettre un terrible coup de pied aux testicules afin de le surprendre – et de lui faire très mal - puis de saisir l’un des horribles bibelots en marbre que des patients satisfaits avaient dû lui offrir et qui trainaient sur le bureau pour lui asséner des grands coups sur le crâne. Mais cela aurait été beaucoup trop bruyant, bien sûr.

Le docteur se redressa et me lança un drôle de regard.

- Ta gorge n’est pas du tout enflammée, il m’a dit.

Bien sûr, puisque j’avais menti. Je commençais franchement à me sentir idiot. J’avais hâte d’achever le docteur Rosenberg avant qu’il ne se rende compte de la supercherie.

Alors qu’il me priait d’enlever mon t-shirt pour écouter mes battements de cœur, je me demandais si je pouvais l’étrangler avec son stéthoscope. Au moment où il s’y attendrait le moins, je lui arracherai l’instrument des oreilles d’un coup sec, ce qui lui causerait déjà une terrible douleur au niveau des tympans. Il n’aurait pas le temps de s’en remettre que je lui collerai mon poing dans la figure, et alors que son nez cassé se serait mit à pisser le sang, je lui serrerai la gorge avec le stéthoscope, si fort qu’il en cracherait du sang et s’effondrerait sur le sol sans même avoir poussé de dernier cri.

Pendant un bref instant j’ai pensé que cela pouvait être une bonne idée. Mais le temps que je me décide à la mettre à exécution, le docteur Rosenberg avait déjà enlevé son stéthoscope. Il s’assit derrière son bureau, joint ses deux mains devant son visage et prit un air pensif. Hébété, j’ai commencé à imaginer de nouveaux plans absurdes, mais le docteur me stoppa net dans ma réflexion. Après un bref soupir, il demanda :

- Paul, as-tu mal à la gorge à ce point ?
- Et bien… Oui.

Cette fois-ci je ne cabotinais plus du tout. J’avais beau prendre l’air le plus assuré possible, j’étais complètement déstabilisé. Je sentais disparaître mes chances de terminer mon existence avec Emma, de voir notre vie commune sans encombres, loin d’ici, dans un autre pays, la voir sourire pour toujours, lui faire l’amour tous les jours… La culpabilité et la colère m’envahissait, l’impuissance dont je faisais preuve m’écœurait. J’osais à peine regarder le médecin dans les yeux. Je sentis les larmes me brouiller la vue, et la haine que j’éprouvai pour moi-même s’accentua encore. Quand je remontai la tête et affrontai enfin le regard du docteur Rosenberg, celui-ci m’observait avec plein de compassion.

- Paul, es-tu bien sûr d’être venu ici pour cette raison ? Ou as-tu autre chose à me dire ?

Assis comme un imbécile sur ce stupide matelas, le torse nu et essayant de ravaler mes larmes, j’eu envie un instant de tout lui avouer, de me laisser aller à une confession absolue, d’enlever ce poids intolérable qui meurtrissait mes épaules. Mais je n’en fis rien, j’aimais trop Emma pour ça. J’avais aussi un reste de fierté mal placée qui me condamnait au silence. Le docteur se laissa alors aller à un monologue dont il avait le secret.

- Tu sais Paul, j’ai beaucoup de patients qui viennent ici sans être malade, je veux dire, malade physiquement. Il y a des gens qui viennent ici juste parce qu’ils ont besoin de réconfort, ils ont besoin que l’on s’occupe d’eux, simplement. Notre monde ne fait pas de cadeau, n’est ce pas ? On peut s’entraider, non ?

J’ai secoué la tête pour dire oui, oubliant en même temps mon envie de pleurer, comme par magie.

- Si tu as besoin de me dire quelque chose, si tu as un poids sur le cœur ou sur la conscience, tu peux tout déballer ici, ça ne sortira pas de ce cabinet, et surtout, ça te fera du bien.

Comme je ne trouvais rien de croustillant à lui raconter, le docteur se leva et s’assit à côté de moi, sur le lit réservé aux patients. Un frisson me parcouru le dos.

- Regardes toi, tu as la chair de poule, me dit-il en riant doucement.

Il mit l’un de ses bras autour de mes épaules, et effectivement, cela me réchauffait. Le docteur Rosenberg savait décidément se faire attentionné et protecteur. Je me suis aussitôt imaginé le nombre de femmes qu’il avait dû réussir à charmer avec son côté irrésistiblement paternel. Comme je ne parlais toujours pas, il m’interrogea.

- Tu as un problème à la maison en ce moment ? Ou bien c’est l’école ?

Ca faisait bien longtemps que je ne mettais plus les pieds à la « maison ». Mes parents adoptifs avaient abandonné tout espoir de faire de moi un exemple pour les générations à venir. D’ailleurs, je ne me rappelais même plus de leur prénom. J’avais tellement prit l’habitude d’être indépendant que je n’avais aucun souvenir de l’époque où j’avais un « foyer ». En fait, j’avais même l’impression d’être né le jour où j’ai découvert monsieur Rodriguez mort.

- Une histoire d’amour peut-être ?

Je n’ai pu m’empêcher d’esquisser un sourire. En fait, j’ai même dû étouffer un petit rire, qu’il ne manqua pas de remarquer. Il pouvait être aussi séducteur qu’il le voulait, docteur Rosenberg. Pour le moment, en tout cas, c’est moi qui baisais sa femme.

- Tu étais proche de monsieur Rodriguez, non ?

Je reçu la question comme une baffe en pleine gueule. Je tournai la tête vers lui et remarquai qu’il avait encore rapproché son visage du mien. J’ai tenté de répondre avec le plus grand calme.

- Proche ? Non, pas proche… Pourquoi vous me demandez ça ?
- Je t’ai souvent vu avec lui dans des bars. Tes amis et toi étiez souvent avec lui, peu avant sa mort.

J’eu un mouvement de recul alors qu’il s’était mit à me caresser doucement le bras.

- Et alors ? Qu’est ce que ça peut faire ? Quelle importance ? j’ai bégayé
- Ne t’en fais pas, Paul. Tu n’as pas à te sentir coupable.

La terreur m’envahit. Les flics jumeaux, Rodriguez empalé sur la grille du parc, le docteur Rosenberg savait tout. Je voulu jouer l’innocent, mais je sentais la crédibilité m’échapper.

- Mais enfin, coupable de quoi ?
- C’est normal qu’il te manque, il m’a chuchoté.

Je m’apprêtais à articuler « Quoi ? », mais les mots se sont étranglés dans ma gorge. Le docteur saisit mon visage entre ses mains chaudes, et sa voix adopta une intensité perturbante.

- Je sais ce que tu ressens. Ce n’est pas anormal. Monsieur Rodriguez avait des défauts, mais c’était un homme bien. Il ne méritait pas un tel sort, aucun de nous ne mérite un tel sort ! Toi non plus, Paul !

Alors que j’essayais en vain de traduire les inepties que le docteur racontait, celui-ci m’embrassa à pleine bouche. J’ai eu un instant envie de le repousser violemment et de l’assassiner sur le champ comme je l’avais prévu. Mais je n’en fis rien. Après tout, qui refuserait un baiser du docteur Rosenberg ?

Quand il quitta enfin mes lèvres, ses yeux étaient tous embués de larmes. Il ne fallait pas réfléchir bien loin pour comprendre pourquoi il ne touchait plus Emma. « Comme leurs enfants doivent-être équilibrés ! » pensais-je, ironiquement. Puis je me suis levé à la hâte, j’ai récupéré et enfilé mon t-shirt, oubliant complètement l’objectif pour lequel j’étais venu ici. Emma allait être terriblement déçue, mais il m’était impossible de tuer ce pauvre bougre de Rosenberg.

- Et bien docteur, merci beaucoup pour cette… Séance. Je vais beaucoup mieux !

Je lui ai tendu la main, et le docteur Rosenberg me la serrée, tout en me fixant du regard. Il souriait mais ses yeux trahissaient une profonde déception. Il insista pour me raccompagner à la sortie, ce à quoi je répondis en haussant les épaules.

Lorsque nous traversâmes la salle d’attente, un homme se tenait assis sur l’une des chaises, les yeux fermés. Surprit par le bruit de nos pas, il tourna brusquement la tête vers le docteur et lui jeta un regard terrifiant. Son allure était inénarrable : ses vêtements étaient odieusement sales, d’un jaune pisseux et délavé qui laissait imaginer les choses répugnantes qu’on avait dû leur faire subir. Son corps était d’une maigreur impressionnante, ses bras étaient couverts de cicatrices morbides, ses chaussures étaient en lambeaux. Ses cheveux, bruns et plutôt courts, étaient atrocement gras, ses joues creuses, tandis que son visage avait la pâleur d’un cadavre que l’on venait de tirer de son sommeil.

- Tiens, finalement, tu as changé d’avis ! déclara Rosenberg à l’énergumène, ce qui me parut complètement surréaliste.

En guise de réponse, cette chose à moitié humaine sortit un couteau de boucher de son affreuse veste et se jeta sur le docteur. Le docteur fut transpercé plusieurs fois au niveau de la poitrine et de la gorge, tandis que je restais en arrière, ahurit par cette scène d’une violence phénoménale. La lame allait et venait à une vitesse étourdissante, le visage de l’assaillant restait crispé, la mâchoire serrée, tout son corps tendu, et seul son bras s’activait en usant de son poignard comme d’un marteau-piqueur. Le docteur n’avait même pas poussé un seul cri que l’individu l’avait déjà réduit en charpie, un vulgaire amas de viande putride arrosant les murs à grandes giclées de sang rouge vif. Lorsqu’il eut fini sa besogne, le tueur tourna sa tête vers moi. Son visage éclaboussé semblait avoir subit tous les sévices du monde. Je n’avais jamais vu de cernes aussi profonds et un rictus si haineux. Puis il jeta son arme et partit à toute allure avant même que je n’ai le temps d’avoir peur.

Les murs étaient si recouverts de sang que c’en était grotesque. Mon t-shirt était trempé d’hémoglobine, et je sentais que mon visage était tout autant barbouillé. J’ai regardé un moment ce qu’il restait du docteur. J’essayai de me rappeler ce qu’était jadis son visage. Je ne distinguai plus rien de l’ancien Rosenberg, celui qui souriait comme George Clooney, celui à la voix douce et rassurante.

Jusqu’à ce qu’un nouvel inconnu pénètre la pièce. Cette fois-ci il s’agissait d’une vieille femme à l’aspect tellement normal qu’elle en était ennuyeuse. A la manière dont elle nous regarda, moi et le cadavre du docteur, et à la manière dont elle se mit à hurler à pleins poumons, j’ai compris qu’il s’agissait cette fois-ci d’une patiente habituelle, déçue de ne pas avoir droit à sa consultation hebdomadaire.

Je suis alors sorti par besoin de prendre de l’air. J’ai erré quelques minutes, en tentant de mettre à jour tous ces nouveaux paramètres inattendus. Ma raison est revenue lorsque j’ai enfin réalisé que les passants m’observaient d’un air horrifié parfaitement justifié. La dernière fois que j’avais été autant recouvert de sang, c’était le jour de la mort de Rodriguez et des deux flics jumeaux.

J’ai alors fait la seule chose qui me restait à faire : je suis parti chercher Emma pour fuir.


à suivre.
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MessageSujet: Re: Des histoires plus longues...   Des histoires plus longues... - Page 2 EmptyMer 10 Juin - 17:01

After Hours - Interlude 2 -


Sur le chemin du retour, j’avais l’impression que la ville entière avait les yeux rivés sur moi. En fait, ce n’était pas qu’une impression : à mon approche, les passants s’arrêtaient subitement, et me regardaient d’haut en bas en constatant mon aspect déplorable. J’accélérai le pas sans pour autant courir, de peur d’attirer l’attention sur moi et de créer un vaste mouvement de panique, comme si ce n’était pas déjà fait. J’essayai aussi de ne penser à rien afin de ne pas ralentir mon parcours, mais les questions me martyrisaient le cerveau. Et les réponses brillaient par leur absence.

Qui était cet énergumène psychopathe qui venait de massacrer le docteur Rosenberg sous mes yeux ? Tout cela ressemblait à un complot particulièrement pervers. Dois-je souligner l’ironie de la situation ? J’étais suspect numéro un d’un meurtre que j’avais prémédité mais pas commis. Et un meurtre particulièrement atroce, de surcroit. Si l’on ajoutait à cela la réputation angélique de la victime, on peut supposer que le tribunal ne m’aurait fait aucun cadeau. Je me voyais mal clamer mon innocence en rejetant la faute sur un être que je ne pourrais même pas décrire comme humain.

« Monsieur le juge, malgré les témoignages de la bonne dizaine d’individus qui m’ont vu sortir du cabinet couvert de sang, je vous assure que l’assassin est un homme-rat particulièrement repoussant. Il a disparut à une vitesse ahurissante, comme s’il avait regagné un trou de souris dans lequel il est probablement entrain de mijoter un autre massacre. » Qui prendrait cela au sérieux ? Personne, évidemment.

Une femme qui tenait un enfant par la main avec un énorme cartable croisa mon chemin à une intersection. Elle poussa un cri strident et couvrit les yeux du marmot de ses mains. Un homme noir d’une cinquantaine d’années se stoppa net pour me fixer d’un regard apeuré, tout en murmurant quelques mots imperceptibles. Je vis à nouveau le clochard que j’avais rencontré à l’aller, qui ne semblait guère étonné par mon aspect mais le désapprouvait franchement. Une bande d’étudiants qui avaient mon âge se mirent à commenter mon allure sinistre avec un langage que je ne comprenais même plus. Lorsque que je leur lançai le regard le plus glaçant possible, ils sursautèrent avec un étonnant sens de la synchronisation et partirent en courant. Pendant un instant, la réaction des passants m’amusa. Je fis même volontairement tressaillir d’horreur une des nombreuses vieilles dames que je croisai en lui criant un « bouh » brutal et soudain. Avoir une apparence terrifiante était une expérience assez drôle, je dû le reconnaître.

Mais alors que mes pieds me dirigeaient machinalement chez Emma, les questions m’assaillirent une nouvelle fois. Qu’allais-je dire à Emma ? Qu’allait être sa réaction ? Peut-être allait-elle regretter d’avoir commandité le meurtre de son mari. Peut-être allait-elle m’en vouloir à mort. Mais, après tout, je ne l’avais pas tué, son mari. Je pourrais lui dire simplement la vérité. Encore fallait-il qu’elle me croit. Et si elle me croyait ? Peut-être que ma lâcheté la décevrait définitivement. Peut-être qu’elle cesserait de m’aimer et peut-être que je me retrouverai fugitif et solitaire. Et si elle m’avait trahit ? Et si elle s’était servie de moi, si elle m’avait manipulé ? Cette manie de réfléchir au mauvais moment m’exaspérait.

L’heure était à l’action, et alors que j’arrivai dans sa rue, je me mis à courir pour rejoindre sa porte. Je composai le code du portail à toute vitesse et grimpai les escaliers quatre à quatre. Quelle que soit sa réaction, Emma viendrait avec moi, et s’il fallait que j’utilise la force, qu’il en fût ainsi. Dans une telle situation, je ne pouvais me permettre de la laisser sur place, c’était trop risqué. Et puis, après tout, tout était de sa faute. Je ne me serai pas impliqué dans une telle histoire si elle n’avait pas fait en sorte que je l’aime autant. Elle avait ses responsabilités, désormais.

Arrivé à son étage, j’appuyai plusieurs fois sur sa sonnette. Je n’eus plus vraiment le temps d’appréhender sa réaction puisqu’elle ouvra la porte au bout d’une petite poignée de secondes. Là, on s’est regardé silencieusement quelques instants, moi essoufflé, et elle hallucinée. Bien sûr, elle comprit sur le champ qu’elle était veuve dorénavant. Après un temps qui me parut interminable, elle sauta dans mes bras et me serra très fort. Je pris la décision à ce moment là de ne pas lui dire la vérité. Il nous fallait fuir, et vite.

- Je t’aime, articula-t-elle doucement.
- J’ai le temps de prendre une douche ?


A suivre.
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